L’avenir de Fukushima relève de la divination

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La catastrophe japonaise. Tout va mal, mais à quel point? Il n’y aura pas de second Tchernobyl (les experts sont unanimes), mais qu’en sera-t-il?

La catastrophe japonaise. Tout va mal, mais à quel point? Il n’y aura pas de second Tchernobyl (les experts sont unanimes), mais qu’en sera-t-il? L’économie mondiale survivra-t-elle à la "secousse japonaise" ou s’effondrera-t-elle pour replonger dans la crise comme en 2008? Faut-il abandonner l’énergie nucléaire ou attendre? Acheter de l’iode, des compteurs Geiger, ne pas manger de sushis (précisons tout de suite qu’il ne faut faire ni la première, ni la deuxième, ni la troisième chose)? Il est clair que tant que le Japon est secoué, personne ne se portera mieux. Pourvu seulement que la situation de s’aggrave pas.

Tous les pronostics concernant l’avenir de l’économie mondiale et de l’énergie nucléaire relèvent aujourd’hui de la divination. De la cartomancie avec un jeu de cartes incomplet. Il n’existe pour l’instant aucune certitude. Pas plus que de modèle ou de machine de pronostication, où il serait possible d’introduire la catastrophe japonaise et d'en sortir un produit fini.

Les difficiles évaluations des malheurs japonais

Si l’accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima-1 n’était pas survenu, les conséquences du tremblement de terre japonais pour l’économie du monde et pour le Japon auraient pu être calculées assez facilement.

Les cataclysmes naturels sont généralement suivis par des récessions économiques, que les économistes japonais et européens qualifient de V-récessions. Par analogie avec la lettre V qui forme un tuyau conique, par lequel les gouvernements injectent l’argent et l’aide matérielle dans les régions touchées pour rétablir les infrastructures, les industries, le secteur du bâtiment, etc. Le boom du bâtiment commence, suivi 3-6 mois après de de la hausse de la consommation (il faut acheter ce qui a été perdu) et de la croissance économique globale. Il existe des modèles pour faire des estimations. Ne serait-ce que sur l’exemple du tremblement de terre en 1995 à Kobe (7,2 sur l’échelle de Richter, 102,5 milliards de dollars de dégâts).

D’ailleurs, le tremblement de terre actuel n’est pas une catastrophe pan-japonaise, mais une catastrophe affectant le Nord-Ouest de l’île principale. En raison de la diffusion à la télévision des images des mêmes villes détruites, on a l’impression que toutes les îles plongent dans l’abîme. Que l’histoire de Hiroshima et de Nagasaki se répète. Ce n’est pas tout à fait le cas.

Bien sûr, personne n’a réussi à estimer le coût de la catastrophe actuelle pour le pays ravagé. On ne parle que d'évaluations très approximatives: au moins 110 milliards de dollars. Mais même si le préjudice représentait le double (ce qui est tout à fait possible), ce ne serait pas mortel pour ce géant économique au PIB de 5,4 mille milliards de dollars: la troisième économie mondiale (derrière la Chine avec 5,7 mille milliards de dollars, et 14,6 mille milliards de dollars pour les Etats-Unis en 2010).

Dans le contexte de la grande tragédie humaine japonaise, de tels calculs paraissent cyniques. Mais il serait tout de même utile de ne pas oublier cette arithmétique pour une bonne et simple raison. Dans des moments aussi graves, chaque gouvernement est tenté de cacher derrière un grand malheur commun ses propres erreurs, ses échecs, ses mensonges et sa désinformation. Et il serait utile parfois de se souvenir de la situation réelle pour empêcher que les autorités ne recourent à de telles méthodes.

Le facteur Fukushima

Or, l’accident nucléaire (je ne voudrais pas le qualifier de catastrophe ou de second Tchernobyl) est venu s’ajouter aux malheurs du Japon. Le "facteur Fukushima" a mélangé tous les modèles et toutes les méthodes d’évaluation. C’est un cataclysme d’une tout autre ampleur.

D’ampleur globale, non seulement en termes de conséquences économiques éventuelles, mais surtout pour l’énergie nucléaire, l’écologie, le réchauffement climatique et bien d’autres. L’une des conséquences concernera l’évaluation du comportement des autorités: qu'est-ce que le gouvernement d’un pays doit dire à sa population et au monde au sujet de la situation dans le pays pendant les catastrophes naturelles ou technologiques?

En ce qui concerne le dernier point, on y voit déjà l’ombre de Tchernobyl. Pas en termes de radiations, mais de comportement. Le "mensonge salutaire" est présent aujourd’hui comme il l'était à l’époque.

Ce que les spécialistes disaient au début avec incertitude et prudence se confirme: tout n’est pas vrai en ce qui concerne Fukushima. Désormais, il devient parfaitement clair que les autorités japonaises cachaient et déformaient la situation réelle de la centrale nucléaire de Fukushima-1. De plus, les ingénieurs de la centrale reproduisaient exactement les mêmes situations dangereuses sur chaque unité de la centrale en répétant les mêmes erreurs. Mais cela fera l’objet d’une enquête spéciale: beaucoup devront rendre des comptes, beaucoup perdront leur poste et leur notoriété politique.

La grande peur nucléaire

Le "facteur Fukushima" se reflète déjà sur l’énergie nucléaire en Europe. Un simple exemple. En Allemagne, la chancelière a déjà ordonné de "geler" sa propre décision de l’année dernière concernant la prolongation pour 10-12 ans de l’exploitation de 17 réacteurs nucléaires. Pour l’instant, cette décision est bloquée pendant trois mois. Deux centrales obsolètes seront même complètement arrêtées. C’est une mesure osée que de "refroidir" les fours nucléaires pour un pays dont 26,1% de l’électricité est d'origine nucléaire et qui compte sur un développement économique "sain." La Suisse, pour laquelle cette proportion est de 40%, a également gelé ses plans de construction de nouvelles centrales pendant trois mois.

On ne peut pas dire que la crise japonaise pourrait provoquer à elle seule une "rechute" similaire à 2008 dans toute l’économie mondiale. Et la chute des actions en bourse n’est pas encore un effondrement total. C’est une réaction naturelle du marché. Mais cette crise ralentira le rétablissement de l’économie.

Toyota, Nissan, Panasonic, Hitachi et Toshiba ont soit déjà fermé, soit réduit leur production au Japon et en Grande-Bretagne.

La première chose à laquelle il faudrait s’attendre est l’augmentation des prix de tous les produits électroniques, sans exception. Dans environ six semaines en Europe et en Asie des perturbations dans la production d’iPad, de téléphones portables, de smartphones, d’ordinateurs portables, etc., pourraient se faire sentir en raison de la rupture des livraisons des puces électroniques de fabrication japonaise. Le Japon fournit près d’un cinquième des puces électroniques et des semi-conducteurs, et 40% des circuits imprimés pour les clés-USB sur le marché mondial.

Des problèmes pourraient également concerner les pièces de rechange pour les voitures japonaises. Dans environ 4-6 semaines: généralement les stocks suffisent pour cette période.

La plus grande incertitude a envahi les marchés énergétiques. Les actions des compagnies énergétiques nucléaires sont déjà en baisse. Qui investira dans la construction de nouvelles centrales lorsqu’on ignore si elles seront construites un jour?

Et bien que cela concerne principalement l’Europe, les investisseurs américains sont également songeurs. Les Etats-Unis possèdent 23 réacteurs "jumeaux" des réacteurs de Fukushima, et 12 modèles similaires (version améliorée du MARK-1). Leur délai de service a été prolongé à la fin de l’année dernière. Aujourd’hui, les gouverneurs de certains Etats promettent de revoir cette décision.

On assiste à une situation paradoxale. Le "facteur Fukushima" a ranimé "le spectre de Tchernobyl" et menace d’anéantir la "renaissance nucléaire" en Europe: la construction de nouvelles centrales nucléaires. Rien qu’en Grande-Bretagne il est (ou était) prévu d’en construire dix.

Les écologistes se sont une nouvelle fois insurgés contre les "programmes nucléaires." La génération qui a grandi "sans Tchernobyl" (presque 25 ans depuis la catastrophe) pourrait devenir la génération antinucléaire de Fukushima. Mais en l’absence de l’augmentation de la quote-part de l’énergie nucléaire "propre" dans le mix énergétique, l’Europe n’avancera pas sur la voie de la réduction des rejets de CO2 dans l’atmosphère qui sont dus aux centrales électriques à charbon et à pétrole. Et à défaut de cela, il est inutile de parler d’oxygénation des poumons de la planète et de ralentissement du réchauffement climatique. C’est un cercle vicieux.

Même l’entracte dans les nouveaux programmes de la "renaissance nucléaire" pourrait être lourd de conséquences. Les Britanniques ont calculé que si les nouvelles centrales n’étaient pas construites pour 2015-2018, le pays connaîtrait des à-coups dans l'approvisionnement en électricité.

Mais pour l’instant personne ne parle de l’abandon total du "nucléaire pacifique." Ce serait "politiquement néfaste."

La Russie, quant à elle, a signé mardi le 15 mars un accord sur la construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Biélorussie, et le premier ministre russe Vladimir Poutine a déclaré que la Russie n’avait pas l’intention d’abandonner ses "programmes nucléaires." La Chine fait de même, étant, d’ailleurs, championne de la construction nucléaire. La Chine a prévu de construire 50 nouveaux réacteurs pour 2030 (110 à terme), contre 18 (40 à terme) pour l’Inde.


Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti

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