La tragédie norvégienne : s’armer ou désarmer?

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Le terroriste norvégien, qui a déclaré au tribunal qu’en tuant plus de 70 personnes il voulait "sauver la Norvège et l’Europe de l’Est", avait un permis de port d’armes.

Le terroriste norvégien, qui a déclaré au tribunal qu’en tuant plus de 70 personnes il voulait "sauver la Norvège et l’Europe de l’Est", avait un permis de port d’armes. Anders Breivik, qui a organisé l’attentat au centre-ville d’Oslo et qui a tué des dizaines de personnes sur l’île d’Utoeya, a légalement acquis un fusil d’assaut Ruger Mini 14, soi-disant "pour chasser le cerf", et un pistolet semi-automatique Glock. En projetant la tragédie norvégienne sur les réalités russes, les experts débattent des avantages et des inconvénients de la liberté de port d'armes. Certains disent qu’une arme pourrait permettre aux civils de se défendre dans des situations similaires, d’autres sont convaincus qu'elle ne ferait qu’aggraver la situation criminogène dans le pays.

Actuellement, la loi autorise les Russes à détenir et à porter des armes d'autodéfense et pour chasser. Après les événements de 2010 sur la place du Manège (la mort du supporter Egor Sviridov tué par une arme traumatique), les autorités russes ont durci les conditions de circulation des armes traumatiques en les assimilant aux armes à feu et en obligeant les personnes voulant en acquérir à subir une préparation spéciale. Le durcissement des règles d’acquisition et d’utilisation des armes traumatiques a provoqué la critique des partisans de l’interdiction totale du port d’armes, comme de ceux sont en faveur de l’autorisation du port d’armes à feu.

Ainsi, début juillet, un groupe de parlementaires du Parti libéral-démocrate a soumis à la Douma (chambre basse du parlement) un projet de loi permettant aux Russes de porter des armes à feu à canon court. Les auteurs du document ont expliqué leur initiative en disant qu’une arme traumatique était inefficace pour l’autodéfense. Les opposants et les partisans de cette initiative s’accordent à dire qu’un tel projet de loi ne sera certainement pas approuvé, et rappellent que la liberté de port d'armes est une épée à double tranchant.

Les armes à feu disciplinent-elles?

L’utilisation d’une arme traumatique "ne permet pas de stopper les attaquants, au contraire, elle ne fait qu'accroître leur agressivité", font remarquer les auteurs du projet de loi pour l’autorisation du port d’armes à feu.

Selon le ministère russe de l’Intérieur, les Russes possèdent actuellement près de 3 millions d’armes traumatiques. Selon les statistiques officielles, au cours des cinq dernières années, plus de 1.500 crimes impliquant une arme traumatique ont été commis en Russie. Plus de 60 personnes ont été tuées et près de 600 ont été blessées.

Certains experts estiment qu'en interdisant les armes traumatiques, et en autorisant le port d’armes à feu, le nombre de tels incidents diminuerait car les gens savent qu’il est impossible de tuer avec une arme traumatique et l’utilisent sans réfléchir. "Ils n’ont pas conscience d’avoir acheté une arme, ils pensent que c’est un jouet", déclare le vice-président de l’Organisation russe des détenteurs d’armes civiles Gleb Oboukhovsky. En revanche, une arme à feu disciplinerait l’individu.

Selon les évaluations des experts, 5 millions d’armes de chasse circulent en Russie. Toutefois, le pourcentage des cas d’utilisation illégale de ces armes est très faible, environ 0,01%, fait remarquer Gleb Oboukhovsky.

Le faible nombre de crimes impliquant des armes de chasse découle du fait qu’en raison de leur taille imposante, peu de gens en portent. Cela n'est pas dû au fait que les armes à feu disciplinent les gens, réplique le vice-président du comité de sécurité à la Douma Guennadi Goudkov. "Personne ne porte des armes de chasse en raison de leur gabarit, et actuellement les pistolets sont très limités, c'est pour cette raison qu'ils sont rarement utilisés dans les crimes. Dès l’apparition des armes traumatiques personnelles, des crimes ont été commis en les utilisant. Si on faisait la révolution aujourd’hui, et que les pistolets devenaient une arme personnelle, ils seraient utilisés", a fait remarquer Guennadi Goudkov dans une interview accordée à RIA Novosti.

Le député suppose qu’en ayant la possibilité de porter une arme à feu, les Russes commenceraient à se faire justice de façon sommaire. "A mon avis, le port d’armes est une épée à double tranchant, et l’autre côté de la lame est encore plus affûté», a conclu Guennadi Goudkov.

A ne pas prendre à la légère

Gleb Oboukhovsky rappelle que les nombreux incidents liés à l’utilisation d’armes dans les écoles et les universités américaines ont commencé lorsque la loi a interdit d’apporter des armes dans les établissements scolaires. "Un individu respectueux de la loi obéit à l’interdiction et n’apporte pas son arme dans les lieux interdits. Un malfaiteur qui veut commettre un crime se moque de ces interdictions, déclare l’expert. Toute interdiction porte atteinte aux personnes qui respectent la loi et met leur vie en danger".

Considérant les nombreux accidents de la route et les incidents domestiques qui ont lieu tous les jours en Russie, l’autorisation de port d’armes libre n’aggravera pas la situation criminogène, affirme le directeur du Centre d’analyse sur les stratégies et les technologies, le spécialiste en exportation d’armes Rouslan Poukhov. "En Russie, les gens se poignardent avec des couteaux, boivent de l’alcool à brûler, se tuent au volant, roulent sans permis, du coup, la menace qu'une guerre se déclenche dans les rues en raison de la distribution d'armes est très exagérée », a expliqué l’expert.

Par ailleurs, les partisans de la liberté de port d'armes soulignent la nécessité d’imposer des exigences strictes à l’égard des personnes voulant acquérir une arme à feu. "Un examen théorique difficile doit être mis en place sur la connaissance des lois, les règlements pour savoir quand une arme peut être utilisée ou non, comment elle doit être conservée, quelles seront les conséquences d'une mauvaise utilisation" a expliqué Gleb Oboukhovsky, en ajoutant que beaucoup de gens ignorent simplement ce qu’implique la manipulation négligente d’une arme. Il est par exemple inadmissible que le détenteur d'une arme la laisse dans la boîte à gants de son véhicule, sachant que l'arme peut être volée avec le véhicule.

"Les gens se disent que cela n’a pas d’importance, comme s'il ne s'agissait que le vol d'un simple jouet. Le véhicule coûte bien plus cher, il faut donc s’inquiéter pour la voiture. Mais en réalité, si quelqu’un devait être tué avec cette arme, ce sera la prison. Il s'agit de négligence, pour ce qui est de la conservation de l'arme, mais surtout, qui aura entraîné des conséquences graves, ce que les gens ignorent", a souligné l'expert.

Le comité de sécurité à la Douma a tendance à penser qu’il faut garder une juste mesure sur la question de la liberté de port d'armes. "Il ne faut pas faire de révolution, ni dans un sens, ni dans l'autre", estime Guennadi Goudkov.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction


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