Libye: l’optimisme sapé des "intervenants"

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Après la cessation inéluctable du conflit ouvert en Libye on se demande avant tout si le jeu en valait la chandelle. Les victimes étaient-elles justifiées? Et si rien ne les justifiait, qui endossera la responsabilité de l’effusion de sang?

Après la cessation inéluctable du conflit ouvert en Libye on se demande avant tout si le jeu en valait la chandelle. Les victimes étaient-elles justifiées? Et si rien ne les justifiait, qui endossera la responsabilité de l’effusion de sang?

Tous les pays responsables, y compris la Russie, sont unanimes pour condamner le colonel Kadhafi. Fin mars 2011 le président russe Dmitri Medvedev a déclaré que le colonel devrait répondre de ses crimes. Mais il y a une différence entre la condamnation d’un dictateur et l’invasion du territoire d’un pays indépendant pour le soutien militaire de l’un des camps en conflit.

La question de l’avenir politique des initiateurs du conflit se pose alors – avant tout celui du président français Nicolas Sarkozy et de certains de ses conseillers. Ces personnes vont-elles recueillir les lauriers de la victoire ou seront-elles tenues pour responsables de cet interminable conflit? Après tout c’est précisément l’aviation française qui a lancé en mars sur ordre de Sarkozy l’opération à laquelle les autres pays membres de l’OTAN se sont joints progressivement.

Comme le fait remarquer Le Monde, Sarkozy a fait cette guerre "sienne" et a mis en jeu toute sa réputation. Pendant plusieurs mois il a passé des heures sur les cartes des opérations, s’est entretenu constamment avec les rebelles et avec son "estafette" auprès d’eux, le journaliste Bernard-Henri Lévy, se présentant modestement à la presse mondiale comme un "philosophe combattant de la paix." Dans le conflit libyen BHL a joué un rôle plus important que beaucoup de présidents et ministres des Affaires étrangères. Et pour cette raison il est également responsable des conséquences de l’opération de la France et de l’OTAN qu’il a lui-même qualifiée d’incertaine et de mal calculée dans un article publié dans le journal El Pais.

Lors de la rencontre à Paris avec Mahmoud Jibril, le numéro deux du gouvernement rebelle, Sarkozy a annoncé la réunion le 1er septembre d’une conférence internationale pour aider la Libye. Sarkozy a souligné que la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil – les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies qui n’ont pas soutenu l’opération militaire de l’Alliance en Libye – pourront également participer à cette conférence. "Ainsi Sarkozy a fait comprendre à Moscou qu’il pourrait également jouer un rôle dans la "Libye de demain", estime l’ancien ambassadeur russe en Grande-Bretagne Anatoli Adamichine.

Ainsi, l’invitation est faite, mais que cache-t-elle? La confiance en sa victoire ou une tentative désespérée d’impliquer dans un projet qui échoue autant de membres que possible? Finalement, l’intervention en Libye est-elle un succès ou un échec? La réponse dépendra principalement des actions du nouveau gouvernement libyen qu’a l’intention de former le Conseil national de sécurité (CNT), le "gouvernement" rebelle, qui a été reconnu en mars par la France en initiant l’ingérence dans le conflit libyen. Le nouveau gouvernement pourra-t-il éviter un bain de sang et une vengeance cruelle à l’égard des vaincus? La participation des entreprises russes au processus de la reconstruction de l’économie libyenne dépendra principalement de la réponse à cette question.

Le principal instigateur de l’ingérence est le "philosophe" Bernard-Henri Lévy. Ce dernier a appelé début mars Sarkozy sur son portable et lui a dit familièrement: "Tu dois rencontrer les Massouds libyens" – c’est ainsi que BHL a qualifié le CNT en l’honneur du chef des moujahids afghans (Ahmad Shah Massoud). Sarkozy a accepté, et le surlendemain, le 10 mars 2011, le CNT était reconnu par la France.

Il convient d’ajouter que la population afghane est loin de partager l’admiration de BHL d’Ahmad Shah Massoud et le considère comme un chef de guerre. C’est ainsi que Massoud a été qualifié par Malalai Joya, une militante afghane pour les droits de l’homme, lauréate du Anna Politkovskaya Award de journalisme d’investigation en 2008, ainsi que d’autres récompenses.

Mais Lévy n’écoute jamais ses critiques. D’autant plus qu’il est toujours convaincu que ses actions étaient justes. A la question de Nice Matin concernant le sort de Kadhafi, de sa famille et de ses partisans, il répond avec une grande assurance en dupliquant cette information pour ses partisans sur son site personnel: "C’est aux Libyens d’en décider. J’ai toutefois une préférence, les voir comparaître devant le TPI [Tribunal pénal international]. Et je peux vous dire que le débat est en cours au sein des instances dirigeantes de transition à Benghazi. Je ne sais pas comment il sera tranché. Mais je ne suis pas inquiet car les dirigeants du Conseil national de transition [CNT] font preuve d’une grande maturité politique. On n’est pas dans un schéma de justice expéditive, de volonté de vengeance, on est vraiment dans la phase de pose des premières pierres d’un État de droit."

Le monde sait parfaitement quel Etat de droit Ahmad Shah Massoud a créé avec ses partisans en Afghanistan. La Russie se souviendra également pendant longtemps du régime établi en Tchétchénie par un autre chef de guerre qui avait été également très admiré par BHL: le défunt "président" de l’Itchkérie Aslan Maskhadov. Et seul Lévy semble ne rien remarquer en voyageant d’un pays à l’autre en prodiguant ses conseils – parfois appuyés par des bombes.

Dans toutes ses interviews depuis mars 2011, Bernard-Henri Lévy soulignait à chaque fois que les rebelles avaient réussi à vaincre la tentation de l’islamisme et qu’ils n’étaient pas affiliés à l’islam radical. Quant à ceux qui critiquaient les rebelles, BHL les décrit comme "des tétanisés du despotisme, des fascinés de la méduse qui vivent dans l'idée que les despotes sont impossibles à renverser, qui nourrissent le fantasme de leur éternité."

Hélas, nous l’avons déjà entendu de la part de Lévy et d’autres intellectuels français de gauche sûrs de leurs faits qui ont signé avec BHL le 17 mars un message dans Le Monde adressé à Sarkozy et aux dirigeants des pays membres de l’OTAN les incitant à une ingérence militaire. Beaucoup de noms de cette liste coïncident avec ceux qui avaient signé à la fin des années 1990 et au début des années 2000 le message dans Le Monde également pour soutenir l’Itchkérie du "président" Aslan Maskhadov et de son "premier ministre" Chamil Bassaev, le terroriste numéro un du monde en termes de victimes des attentats organisés ou soutenus pas lui. Dans ces messages Lévy, son collègue "philosophe" André Glucksmann, le député européen Daniel Cohn-Bendit et Bernard Kouchner appelaient les dirigeants européens à ne pas se rendre à Moscou pour célébrer le 50e anniversaire de la Victoire sur la nazisme, exclure la Russie des organisations internationales et, bien sûr, aider Maskhadov. En 2011, les mêmes individus suppliaient Sarkozy d’aider Mahmoud Jibril et d’autres rebelles libyens.

Interrogés sur l'éventuelle affiliation des partisans de Maskhadov au terrorisme international, Glucksmann et Lévy répondaient également de manière métaphorique que les combattants avaient réussi à résister au chant des "sirènes du fanatisme religieux." Les événements ont démontré à plusieurs reprises la "véracité" de cette affirmation faite en 2002: lors des attentats au théâtre de la Doubrovka (la prise d'otages du théâtre de Moscou en 2002), à l’école de Beslan (la prise d'otages en 2004) et à l’aéroport moscovite de Domodedovo (un attentat-suicide à l'aéroport international Domodedovo de Moscou en janvier 2011).

Qui croira celui qui a menti une fois? L’expérience tchétchène des initiateurs de l’ingérence en Libye ne parle pas en faveur de leur objectivité. Hélas, il est tout à fait possible que la paix dans la Libye de demain soit confrontée à la vengeance, au terrorisme et à l’islam radical. Il sera alors temps de parler de la responsabilité de Sarkozy: comment peut-on écouter des individus qui ont prouvé à maintes reprises qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent?

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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