La situation en Libye: la position de la Russie et les scénarios possibles

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Selon les dernières informations, Tripoli n’est pas encore prise, il y reste un foyer de résistance, et même les rebelles reconnaissent que 10% de la ville demeurent sous le contrôle des forces gouvernementales.

Interview accordée à RIA Novosti par Alexeï Podtserob, ancien ambassadeur de Russie en Libye (1992-1996) et ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Russie en Tunisie depuis 2000.

Avant tout, je voudrais qu’en tant que spécialiste vous nous parliez de la situation en Libye depuis que Tripoli a été prise par les insurgés et qu’ils s’efforcent de trouver le colonel Mouammar Kadhafi.

Selon les dernières informations, Tripoli n’est pas encore prise, il y reste un foyer de résistance, et même les rebelles reconnaissent que 10% de la ville demeurent sous le contrôle des forces gouvernementales.

On ne peut donc pas dire que les rebelles ont pris le contrôle total du pays?

On ne peut pas le dire, en effet, car selon les médias, les forces militaires de Kadhafi près de Syrte sont relativement importantes et le Fezzan demeure sous le contrôle de l’armée gouvernementale. Apparemment, les troupes au Fezzan ne sont pas aussi nombreuses, mais tout de même. Pour l’instant, on ne peut pas parler d’une victoire totale. On assiste à d’importantes victoires, mais le succès définitif n’est pas encore atteint.

Autrement dit, un renversement de situation est encore possible?

C'est peu vraisemblable, car c’est une question de rapport des forces. Pourquoi l’opposition a-t-elle gagné? Elle a gagné grâce au soutien de l’OTAN. Près de 20.000 missions aériennes de l’OTAN et avant cela près de 5.000 raids aériens de l’armée américaine. Soit 25.000 missions contre une armée de seulement 30.000 soldats. La supériorité de l’OTAN est si évidente qu’il est même surprenant que l’armée libyenne ait résisté pendant six mois. Il faut leur reconnaître ce mérite.

Vu que vous avez mentionné la question de l’OTAN, il y a quelque chose de curieux: les rebelles ont déclaré qu’après la prise du pouvoir dans le pays ils ne permettraient pas à l’OTAN de se déployer en Libye.

En effet, et je n’exclus pas que ce sera le cas. La raison est la suivante: les Libyens sont "allergiques" à la présence étrangère sur leur territoire. Cependant, ils ont profité de l’aide de l’OTAN, bien qu’il s’agisse seulement d’un soutien aérien. Probablement des unités d’élite européennes ont participé aux combats sur le territoire libyen, mais il ne s’agit pas d’une importante opération terrestre.

Autrement dit, à votre avis c’est possible?

Bien sûr. Je ne vois qu’une seule exception dans cette question: si une guerre de tous contre tous éclatait en Libye. Ainsi, les rebelles pourront demander de l’aide à l’OTAN, cependant il reste à savoir si l’Alliance accepterait.

Et dans quelle mesure est-il important d’être présent en Libye sur un plan stratégique?

Je pense que cela n’a pas beaucoup d’importance. La guerre froide est terminée. Sous le régime royal, une base aérienne britannique et une base de missiles américaine étaient déployées près de Tripoli, où il y avait en particulier des missiles de moyenne portée, et cela était dirigé contre l’Union soviétique. Or, aujourd’hui l’URSS n’existe plus, la guerre froide est terminée, et la Russie et l’OTAN ne sont pas en situation de confrontation.

Et en ce qui concerne les Etats-Unis, compte tenu des importantes réserves de pétrole [en Libye]?

Evidemment, [les Etats-Unis sont intéressés] mais dans le monde contemporain les bases militaires ne sont pas nécessaires pour assurer le contrôle du pétrole. Toutefois, pour les Etats-Unis le contrôle du pétrole libyen a beaucoup d’importance.

On voudrait connaître la position de la Russie à ce sujet, car certains estiment que la Russie devrait déjà commencer à "flirter" avec les rebelles afin d’être présente économiquement lorsque les insurgés arriveront au pouvoir.

Depuis le début la Russie a adopté une position neutre: elle s’est abstenue de voter sur la résolution 1973 et elle a soutenu les contacts avec le gouvernement et l’opposition avant tout pour contribuer à la cessation du conflit.

Beaucoup estiment que la position de la Russie consiste à louvoyer entre les deux camps afin de se ranger immédiatement du côté des vainqueurs.

L’un n’exclut pas l’autre. Dans les jeux diplomatiques, on poursuit généralement plusieurs objectifs à la fois, mais il est clair que la Russie et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov personnellement cherchaient activement à régler le conflit. Cependant, ces efforts étaient vains, or beaucoup de victimes auraient pu être évitées. La position du ministère russe des Affaires étrangères a toujours été la suivante: la Russie est en bons termes avec les Etats, et non pas les gouvernements, la Russie reconnaît les pays, et non pas tel ou tel régime. Ainsi, je pense que la Russie ne rencontrera aucun problème de ce côté-là. En ce qui concerne les relations économiques, je suis convaincu que Moscou fera tout son possible. La Russie avait des intérêts pétroliers et construisait des chemins de fer en Libye, selon les médias, pour un montant de 6 milliards de dollars. Et je pense que Moscou a des chances de mettre en œuvre ses projets. Toutefois, compte tenu de la particularité du monde arabe, il est très difficile de faire des affirmations avec un taux de probabilité élevé. Récemment, un homme d’affaires américain a déclaré ouvertement que les Etats-Unis avaient besoin de mettre la main le plus rapidement possible sur le pétrole libyen, mais qu’il fallait éviter de répéter le scénario irakien, où tous les efforts ont été pratiquement vains. S'emparer du pétrole libyen signifie avant tout prendre le contrôle de la National Oil Corporation (NOC) libyenne, qui gère une partie importante de la production pétrolière dans le pays et que Kadhafi a toujours refusé de privatiser, ce qui a été l’une des principales raisons de l’intervention. Toutefois, la Russie n’est pas le principal partenaire économique de la Libye.

Est-il possible de renverser cette situation?

C’est une question assez difficile. En s’appuyant sur l’expérience similaire en Irak, au début le gouvernement irakien a déclaré que les concessions pétrolières irakiennes seraient données seulement aux pays qui avaient contribué à l’invasion de l’Irak. C’était le cas au début, mais aujourd’hui les entreprises russes participent activement au développement et à la production de pétrole en Irak. A mon avis, si les conditions de travail des compagnies pétrolières et la Compagnie des chemins de fer russes restent inchangées, il est tout à fait possible que la Russie revienne en Libye.

A votre avis, combien de temps les affrontements dureront-ils en Libye, et vous attendez-vous à la répétition d’un scénario similaire dans d’autres pays arabes?

Il est très difficile de faire des prédictions dans le monde arabe, mais je peux partager mes opinions. La Libye est un imbroglio avec ses diverses tribus, avec les arabes et les berbères, et ce serait un miracle si cet imbroglio n’explosait pas. Actuellement le Conseil national de transition libyen élabore un document qui devrait fixer la période de transition à une durée de deux ans, et seulement deux ans plus tard les élections parlementaires seront organisées.

 

Propos recueillis par Sergueï Sarymov

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