Le procès Timochenko et l’avenir de l’Ukraine

© RIA Novosti . Andrey Stenin / Accéder à la base multimédiaIoulia Timochenko
Ioulia Timochenko - Sputnik Afrique
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L’Occident s’est actuellement ingéré au mépris de la souveraineté de l’Ukraine. Aucun Etat souverain ne peut le tolérer.

Interview accordée à RIA Novosti par Igor Chichkine, directeur adjoint de l’Institut des pays de la CEI

Monsieur Chichkine, bonjour. D’après vous, que représente pour l’Ukraine et quel est le but du procès contre l’ancienne personnalité politique Ioulia Timochenko, actuellement en prison?

Tout d’abord, je ne dirais pas "ancienne." Il existe un adage, il ne faut jamais dire jamais, et dans le cas de l’Ukraine il convient parfaitement. Ioulia Timochenko a déjà fait de la prison à une époque, ce qui ne l'a pas empêchée de devenir première ministre et de prétendre au poste présidentiel. Pour cette raison, il est pour l’instant impossible de dire comment se terminera sa biographie politique. En parlant de la condamnation, en Russie la vision de cette affaire est trop simpliste: on considère ces événements comme une sorte de spectacle avec des batailles démonstrative au parlement et des jeunes femmes dénudées, qui marchent devant le tribunal avec des affiches. Mais en réalité il faut comprendre qu’on assiste à une lutte féroce pour le pouvoir et l’argent. On dit que l’Ukraine est le pays du capitalisme oligarque, et ceux qui possèdent des capitaux savent lutter pour les garder. Selon certaines informations, certains capitaux sont tachés de sang. Et les événements actuels sont la guerre d’un clan contre un autre, et les deux observent simultanément la réaction de la Russie et de l’Occident. Toutefois, l’Ukraine est en train de régler ses propres problèmes. Certes, elle prend en compte les relations avec la Russie et l’Occident, mais ce n’est rien d’autre qu’une guerre de clans. Cette lutte se déroulait déjà en Ukraine auparavant, il suffit de se souvenir de l’arrivée au pouvoir des leaders de la Révolution orange, lorsque deux ténors du Parti des régions (l'actuel parti au pouvoir en Ukraine - ndlr) ont été envoyés derrière les barreaux. Et s’ils n’ont pas été condamnés, c'est parce que Viktor Iouchtchenko et son équipe n'avaient pas suffisamment de pouvoir pour cela. On pourrait rappeler le "suicide" du ministre ukrainien de l’Intérieur de deux balles dans la tête: la première pour se suicider, la seconde pour être sûr.

Il s’agit d’une lutte entre quels clans?

Il est question d’une guerre entre le clan représenté par Viktor Ianoukovitch, derrière lequel se trouvent certaines forces, non seulement les électeurs mais également les grandes entreprises, et le clan et les forces qui sont derrière Ioulia Timochenko.

Donc c’est une lutte de Ianoukovitch contre Timochenko, ou y a-t-il quelqu’un d’autre derrière Timochenko?

Evidemment, il y a d’autres forces derrière Timochenko. Cette lutte a lieu, et elle sera menée jusqu’à sa fin logique si possible. Il faudra probablement libérer Timochenko, mais cela n’arrivera pas parce que ses adversaires seront devenus plus tolérants et auront décidé de vivre en paix avec tout le monde, mais parce qu’il aura été impossible d’éliminer leur rivale politique.

Actuellement se prépare un second procès Timochenko sur une affaire vieille de 15 ans, en dépit du fait que Ioulia Timochenko se trouve déjà en détention. Autrement dit, le but est de l’isoler le plus longtemps possible?

En effet, le but est de l’éliminer de la politique. Et le but de Timochenko consiste à y rester.

Dans quelle mesure est-ce possible?

Pourquoi serait-ce impossible? Un procès s’est déjà tenu, un autre pourrait également avoir lieu. Aujourd’hui, tout dépend de la pression qui sera exercée de l’intérieur et de l’extérieur. Comme nous le voyons, à l’intérieur du pays il n’y a pratiquement aucune pression. Si Timochenko était la personnalité suivie à une époque par les révolutionnaires rassemblés sur le Maïdan (place de l’Indépendance de Kiev, épicentre de la révolution orange - ndlr), un tel procès serait impossible.

Et quelle est la position de l’Occident? Il soutient sa "protégée" ou défend ses intérêts?

L’Occident défend clairement ses intérêts. On peut seulement essayer de deviner ce qui se cache derrière les procès judiciaires et comment la situation évoluera, mais certaines choses sont déjà claires. L’Occident a déclaré unanimement que ce procès était illégitime, contraire aux valeurs occidentales et qu’il était sélectif. Cela a été déclaré par l’UE, l’OTAN, le Département d’Etat américain en la personne d’Hillary Clinton et par plusieurs présidents. Mais ce procès va-t-il réellement à l’encontre des valeurs occidentales? Récemment, l’ancien directeur général du Fonds monétaire international et ex-éventuel candidat à la présidentielle Dominique Strauss-Kahn a été sorti de la course grâce à l’appareil judiciaire. Ensuite, il s’est avéré que c’était une erreur, mais personne ne dit que c’était contraire aux valeurs occidentales. Et c’était également une lutte pour les intérêts.

Dans cette situation, il est intéressant de voir la position de la Russie. N’avez-vous pas l’impression que l’Ukraine est une sorte d’arène de lutte entre l’Occident et la Russie, ou est-ce un problème intérieur à l’Ukraine?

Cette question ne peut pas rester une affaire intérieure de l’Ukraine, car on assiste effectivement à une lutte pour l’Ukraine, aussi bien de la part de l’Occident que de la Russie. La Russie n’est pas indifférente et s’ingère dans les processus en cours en Ukraine. Mais il y existe certaines particularités. L’Occident s’est actuellement ingéré au mépris de la souveraineté de l’Ukraine. Aucun Etat souverain ne peut le tolérer. Un procès s’est tenu et un individu a été reconnu coupable. Il est possible de faire appel, mais il est inadmissible de déclarer a priori que tout était illégitime tandis que l’ancien premier ministre ukrainien Pavel Lazarenko est actuellement en prison aux Etats-Unis. C’est une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de l’Ukraine avec des objectifs concrets. La Russie ne fait rien de similaire actuellement. Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que le contrat [gazier entre la Russie et l’Ukraine] devait être et serait exécuté. La condamnation de Timochenko concerne seulement l’Ukraine, mais les termes du contrat doivent être remplis. L’Occident a un comportement complètement différent, alors que le tribunal ukrainien a pris sa décision, et il y a la Cour européenne des droits de l’homme pour casser le verdict. Viktor Ianoukovitch n’a jamais dit qu’il empêcherait Timochenko de s’adresser à Strasbourg. Et l’affaire sera examinée à la CEDH si la défense fait appel.

D’après vous, quelle pourrait être l’issue de ces arguties dans la lutte entre la Russie et l’Occident?

Difficile à dire. D’une part, il y a avait la volonté de faire adhérer l’Ukraine à la communauté occidentale. D’autre part, la Russie a proposé son adhésion à l’Union douanière (Russie, Biélorussie et Kazakhstan). Récemment, Vladimir Poutine a rendu public le programme de formation de l’Union eurasienne, et l’Ukraine n’y a pas encore été mentionnée, mais la proposition lui sera faite. Il est difficile de savoir si elle sera acceptée ou non. Très probablement cette question sera discutée lors des rencontres des premiers ministres et des présidents russes et ukrainiens.


Propos recueillis par Mikhaïl Goussev

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