Manifestation du 24 décembre : le résultat n’est pas évident

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La manifestation de Moscou, qui s’est tenue le 24 décembre dans l’avenue Sakharov, s’est avérée au moins aussi nombreuse que la première action de protestation du 10 décembre de la place Bolotnaïa.

La manifestation de Moscou, qui s’est tenue le 24 décembre dans l’avenue Sakharov, s’est avérée au moins aussi nombreuse que la première action de protestation du 10 décembre de la place Bolotnaïa. Toutefois, le résultat politique de cet événement de masse risque de s’avérer extrêmement limité. Aucune force d’opposition ne s’est montrée capable de prendre la tête du mouvement spontané de protestation. Et les organisateurs hétéroclites de l’événement n’ont pas réussi à formuler une liste de revendications réalisables, estiment les experts.

Il n’y a pas d’unanimité quant à la suite du programme. Selon certains experts, l’absence de plateforme commune de l’opposition et la promesse du gouvernement de réformer le système politique conduiront au fléchissement du mouvement de protestation. D’autres sont persuadés qu’après l’éventuel recul, les protestations reprendront de plus belle.

L’effet politique ne paraît pas évident

Selon la police, au moins 29.000 personnes ont protesté le 24 décembre dans l’avenue Sakharov. A titre de comparaison, le 10 décembre dernier, on dénombrait 27.000 manifestants.

Les organisateurs ont traditionnellement indiqué un chiffre nettement plus élevé que la police, à savoir 120.000 personnes. Néanmoins, un décompte indépendant effectué, à la demande de RIA Novosti par un expert en géodésie à l’aide d’équipements professionnels, démontre qu’au moins 56.000 personnes s’étaient réunies dans l’avenue Sakharov.

Une quantité importante de manifestants a constitué le principal, voire le seul, succès des organisateurs. Toutefois, certains experts interrogés par RIA Novosti estiment que le succès n'est pas à mettre au crédit des organisateurs et qu'il est surtout le résultat de la politique erronée du gouvernement qui a attisé les protestations spontanées.

" Le nombre accru de manifestants était la réaction de la population à la récente intervention télévisée de Vladimir Poutine, explicitement insultante envers les protestataires, estime Valeri Soloveï, professeur de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (MGIMO). L'intervention télévisée du premier ministre a contribué avec succès à la mobilisation politique de ses adversaires ".

Toutefois, selon le professeur Soloveï, l’effet politique de la récente manifestation nombreuse est infime. " La politique est toujours une action, explique l’expert. Les paroles doivent être suivies d’actes. En l’occurrence, aucun appel à une action politique d’envergure n’a retenti. "

Il ne fallait pas s’attendre à autre chose étant donné le caractère hétéroclite des participants allant des anarchistes aux monarchistes, ainsi que le fait que les organisateurs n’ont pas réussi à créer de plateforme politique commune, ni même formuler une liste de revendications pour la satisfaction desquelles les protestataires seraient prêts à se battre.

Les exigences concernant l’organisation de nouvelles élections législatives ne sont plus perçues comme réalisables et surtout elles ne mobilisent plus la foule", déclare Mikhaïl Remizov, président de la fondation Stratégie 2020. "Annuler les dernières législatives et en organiser d’autres ? C’est une initiative douteuse à l’intention de personnes qui contestent par principe la légitimité du système", affirme à son tour Dmitri Orov, directeur de l’Agence de communications politiques et économiques.

Les leaders de l’opposition sont seulement tolérés par la foule

Selon Mikhaïl Remizov, la radicalisation des revendications conduira presqu’inévitablement à un rétrécissement du cercle des éventuels protestataires, non pas en raison de l'attachement des Russes au régime actuel mais parce que les ténors de l’opposition ne constituent pas une alternative à leurs yeux.

L’une des principales conclusions des experts est qu’aucune force politique n’a réussi prendre le leadership des protestations spontanées des Russes.

"Les manifestations et leur organisation ont montré que les personnes qui descendent dans la rue pour protester font preuve d’une grande méfiance vis-à-vis des leaders de l’opposition non systémique, déclare Mikhaïl Remizov. Les hommes politiques ne sont pas des leaders d’opinion. Dans le meilleur des cas, les manifestants sont prêts à les tolérer en tant qu’organisateurs techniques et médiateurs, en matière d’organisation des manifestations, entre eux-mêmes et les autorités municipales de Moscou. "

L’absence de plateforme commune de l’opposition est largement responsable de cet état des choses. "Afin de se mettre efficacement à la tête des protestataires, il faut offrir une motivation à leur mouvement et consolider les intérêts des gens. Il est nécessaire de fixer un objectif bien précis et parfaitement clair. Or, ce n’est pas le cas, déclare Dmitri Orlov, directeur général de l’Agence de communications politiques et économiques. Les objectifs des mouvements de l’opposition sont contradictoires. Certains exigent l’annulation des dernières législatives, d’autres veulent empêcher Poutine d'être élu président (en mars 2012), d’autres encore se prononcent pour la réforme du système électoral. "

Une révolution par en haut ?

A son tour, le gouvernement a pris des mesures visant à désamorcer les velléités protestataires du moins parmi les hommes politiques, à défaut du grand public. Selon Alexeï Moukhine, président du Centre d’informations politiques, les actions de protestation deviennent le catalyseur des réformes politiques préconisées par le gouvernement. Il est question du dernier message annuel du président russe Dmitri Medvedev devant les deux chambres du parlement russe suite auquel le chef de l’Etat a soumis à la Douma (chambre basse du parlement russe) un projet de loi stipulant une procédure simplifiée d’enregistrement des partis politiques à partir de 2013.

"Une révolution par en haut est la plus efficace en Russie. Mais le gouvernement doit entendre le message émanant de la population pour mettre en œuvre les réformes exigées de la manière la plus efficace possible, estime M. Moukhine. Et si auparavant les autorités tentaient d’ignorer complètement les protestataires et leurs revendications, elles accèdent désormais à leurs demandes. "

Selon Mikhaïl Remizov, les mesures préconisées par le président russe permettront de canaliser, ne serait-ce que partiellement, l’énergie des protestataires pour l’intégrer dans la vie politique officielle et détendre ainsi l’atmosphère. Toutefois, l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène politique russe n’est pas un préalable suffisant au changement de système politique. Le fait est que le parlement joue un rôle trop limité dans la Russie d’aujourd’hui.

 "Il serait important d’aller dans le sens de la création d’une république essentiellement parlementaire en Russie, déclare M. Remizov. C’est un système de gouvernement où la population exprime sa volonté en élisant le parlement et influence ainsi directement la politique du pouvoir exécutif. "

Une tentative très peu réussie

Selon certains experts, la participation à la manifestation d’Alexeï Koudrine, ancien ministre russe des Finances (limogé en automne dernier), est un message positif adressé par le gouvernement à la société.

"Son intervention à la manifestation est un bon signe qui démontre que l’élite au pouvoir a non seulement entendu les protestataires mais qu’elle est même prête à les rejoindre, aussi paradoxal que cela puisse paraître, estime Alexeï Moukhine. M. Koudrine ne fait pas partie de l’opposition mais il est justement l’homme en colère qui n’a pas été entendu.

Toutefois, nombreux sont ceux qui estiment que l’ancien ministre russe des Finances a tout simplement cherché à jouer sa propre carte politique.

"Pour M. Koudrine, c’était une tentative de jouer le rôle d’un homme politique public mais son effort n'a pas abouti, estime le professeur Soloveï. Koudrine est suffisamment intelligent pour comprendre que le processus politique en Russie subit actuellement un changement radical. Si ce processus évolue de façon heureuse pour l’opposition, il dira alors qu’il est venu à la manifestation mû par l'élan de son cœur. Dans le cas contraire, il espérera que personne ne s’en souviendra."

Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre des technologies politiques, estime également qu’à l’avenir Alexeï Koudrine essayera de créer un parti et de participer aux élections, d’autant plus que ces dernières n’auront pas lieu avant 2016.

"Afin de se présenter aux élections, il a besoin d’être un homme politique public et d’intervenir devant ses partisans et électeurs potentiels, sinon ils le rejetteront, explique M. Makarkine.La politique publique renaît en Russie : un homme qui souhaite fonder un nouveau parti est obligé de participer à une manifestation."

Toutefois, l’intervention de M. Koudrine n’a pas enthousiasmé le public, c'est le moins qu'on puisse dire. "Il devrait comprendre à quel point l’attitude que les gens ont envers lui est controversée, déclare Igor Nikolaïev, directeur du département d’analyses stratégiques de la société FBK. Des personnes très diverses sont intervenues lors de la manifestation, et tout le monde n’a pas été malmené. Il est sûrement désagréable pour un ancien ministre des Finances de se faire houspiller au même titre que Ksenia Sobtchak (présentatrice d’émissions télévisées). Le public n’a pas oublié la récente déclaration de Poutine au sujet de son amitié de longue date avec Koudrine. "

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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