Vladimir Poutine "antimunichois"

© RIA Novosti . Alexei Druzhinin / Accéder à la base multimédiaVladimir Poutine
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L’article du programme électoral de Vladimir Poutine publié hier recèle des côtés mystérieux: il ne semble guère électoral. Sans parler du fait que l’auteur rappelle dès les premières lignes: "Dans mes articles, j’ai déjà abordé les principaux défis extérieurs auxquels la Russie est confrontée à l’heure actuelle.

L’article du programme électoral de Vladimir Poutine publié hier recèle des côtés mystérieux: il ne semble guère électoral. Sans parler du fait que l’auteur rappelle dès les premières lignes: "Dans mes articles, j’ai déjà abordé les principaux défis extérieurs auxquels la Russie est confrontée à l’heure actuelle." Mais il a décidé de les aborder une nouvelle fois. Dans quel but? La réponse se trouve à la fin de l’article.

Avant-propos

Qu’est-ce qu’un article de programme électoral? En simplifiant, c’est un moyen de gagner de nouvelles voix ou de conserver "son" électorat en lui expliquant ce que le prétendant au poste suprême de l’Etat voudrait faire pour lui.

Dans ce sens, seul le dernier chapitre de l’article de Vladimir Poutine peut être considéré comme exposant son programme.

Le dernier chapitre s’intitule "Le soutien aux Russes de l’étranger et la culture russe dans le contexte international." Et il évoque le devoir des représentations de la Fédération de Russie à l’étranger d’aider efficacement et constamment les citoyens russes qui rencontrent des problèmes dans le pays où ils séjournent. Il parle très ouvertement du référendum sur le statut de la langue russe en Lettonie et écrit que "la Russie doit renforcer de plusieurs crans sa présence dans le monde en matière d’enseignement et de culture et l’augmenter tout particulièrement dans les pays où une partie de la population parle ou comprend le russe."

Rendons-nous à l’évidence: les électeurs en général examinent rarement les détails et les subtilités de la position de leur pays sous tous les aspects de sa diplomatie. Et comme je l’ai déjà écrit auparavant, la politique étrangère ne figure pas du tout dans la campagne présidentielle actuelle, au moins parce que tous les candidats, sauf un, ont conscience de leur faiblesse dans ce domaine.

Mais si on considère que cet article est destiné aux partenaires et aux spécialistes étrangers, ainsi qu'aux experts russes des affaires internationales, on trouve alors de nombreuses subtilités. Par exemple, il existe déjà une tradition selon laquelle un candidat peut parler avec son électeur des thèmes internationaux relativement franchement, même s’il est président en exercice. Et on répond aux protestations de l’étranger que ce n’était qu’une déclaration de campagne électorale qui ne reflétait pas la politique officielle du gouvernement. Et c’est tout.

Dans son article, Vladimir Poutine, en sa qualité de premier ministre et non pas de président, aurait pu se permettre dire davantage que lorsqu'il occupera le poste présidentiel à l’avenir, et qu’il sera restreint par le protocole.

Bien que parfois (mais assez rarement) le président sortant se trouve également dans une position où il peut dire davantage que d’habitude. Voici une citation: "Le format de la conférence me permet de dire ce que je pense réellement des problèmes de la sécurité internationale. Si mes idées semblaient à nos collègues polémiquement trop virulentes ou imprécises, ne me jetez pas la pierre, ce n’est qu’une conférence après tout. Et j’espère qu’après mon discours de 2-3 minutes, Horst Teltschik n’allumera pas le "feu rouge." Qui est l’auteur de cette déclaration? Vladimir Poutine pendant la conférence internationale de Munich sur la sécurité en janvier 2007.

Serait-ce un cas similaire, en l’occurrence? Cela dépend de l’angle sous lequel on se place, c’est-à-dire de ce que vous pensez de cette conférence de Munich en janvier 2007. Mais c’est un sujet à part sur lequel on reviendra un peu plus tard.

La Russie face aux pressions informationnelles


Admettons que nous étudions l’article de Poutine afin d’y trouver de nouvelles initiatives diplomatiques qui n’ont pas encore été avancées comme la position officielle de Moscou. On découvre alors qu’en dépit d’une certaine liberté d’expression pour l’auteur, il y a très peu de telles nouveautés. Si on suit constamment tout ce qui est dit à Moscou, et pas seulement au plus haut niveau, il s’avère que dans l’ensemble tout cela a déjà été dit.

Par exemple, l’attitude russe à l’égard des événements dans le monde arabe, plus précisément en Syrie. "Si nous voulons assurer la sécurité des civils, ce qui est la priorité de la Russie, il est nécessaire de raisonner tous les camps impliqués dans le conflit armé", autrement dit, raisonner l’opposition également. Tout cela a déjà été exposé à maintes reprises, n’est-ce pas?

Ou la mention de "l’influence informationnelle" de certains pays sur d’autres pays. Que pourrait-on dire de nouveau à ce sujet après… non pas après les déclarations officielles de Moscou, mais ne serait-ce qu’après le roman S.N.U.F.F de Viktor Pelevine, un écrivain très connu en Russie, paru en 2011, où dans la guerre contre les "mauvais régimes" un drone est combiné à une caméra, et cet engin est équipé en plus d’une arme? Après tout, pourquoi séparer l’un de l’autre, si pratiquement dans tous les conflits actuels on les utilise ensemble?

Il y a un autre passage intéressant dans l’article de Vladimir Poutine concernant le rôle du BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) dans les événements actuels, y compris au Moyen-Orient. "Les pays membres du groupe sont en train de s’habituer à travailler ensemble au sein de cette structure et à s’adapter les uns aux autres. Il s’agit, notamment, de mettre en place une meilleure coordination en matière de politique internationale et de coopérer plus étroitement au sein de l’ONU." C’est une allusion à la première tentative du BRICS de travailler ensemble sur la Syrie, mais des différends se sont révélés. Certains pays membres ont décidé que ce n’était plus la peine de lutter si une bonne partie des confrères arabes étaient dressés contre la Syrie. Or tout le monde n’est pas au courant de cette histoire…

On constate quelque chose de nouveau dans les propos sur le rôle des organisations non gouvernementales dans le processus démocratique. Plus précisément: "La Russie n'utilise pas les ONG nationales d'autres pays et ne finance pas ces ONG et les organisations politiques étrangères afin de promouvoir ses propres intérêts. La Chine, l'Inde et le Brésil ne le font pas non plus." En fouillant un peu, cela également a déjà été dit sous une forme légèrement différente. Toutefois, sans mentionner le fait que la Russie pourrait également agir de cette manière.

Et tout ce qui concerne la perception de la croissance de la Chine, la "légalisation" des talibans et l’attitude aux Etats-Unis ou en Europe envers les investisseurs russes… Globalement, tout cela a déjà été dit.

Gardons le meilleur pour la fin

Alors quel est le message principal de cet article? Selon la tradition médiatique et littéraire russe - écrire le plus important à la fin - Vladimir Poutine termine son article ainsi: "Nous nous employons à comprendre et à prendre en compte les intérêts de nos partenaires, mais nous les prions de respecter également les nôtres."

En fait, toute l’essence est là. L’article de Poutine est un appel à la coopération et un énoncé des conditions de la Russie pour cette coopération. Le dernier point est clair – il aurait été étrange que la Russie agisse en se conformant aux conditions de quelqu’un d’autre.

En fait, depuis les premiers jours de sa présidence, c’est-à-dire depuis 1999, Poutine cherche plus que tout à s’entendre précisément avec l’Occident, c’est-à-dire les Etats-Unis et l’Union européenne. Dans cet article, on voit clairement l’idée que la Russie voudrait aider l’Europe frappée par la crise. Poutine écrit également que "la Russie était prête à fournir un effort réellement important afin de développer ses relations avec les Etats-Unis et de réaliser un progrès qualitatif."

Et ce sont justement soit des nouveautés, soit une répétition délibérée de ce qui a déjà été dit dans un autre contexte historique et qui est répété aujourd’hui.

Et c’est le moment de revenir sur la conférence de Munich de 2007. Celui qui n’arrive pas à lire plus de trois mots dans un titre estime certainement que le discours de Poutine à la conférence de l’époque est pratiquement la déclaration d’une nouvelle guerre froide. Mais il est tout de même préférable de lire les textes en intégralité. Et il est particulièrement intéressant de comparer le discours de Munich avec ce dernier article.

On trouve beaucoup de résonnances. Et si vous êtes bien celui qui n’arrive pas à lire un titre de plus de trois mots, alors le dernier article de Poutine peut être qualifié d'antimunichois. Mais si vous lisez le texte intégralement…

Rappelons de quelle époque il s’agit. Cela concerne le déclin, voire la catastrophe, de la présidence de George W. Bush et le fait que les alliés européens se demandaient quoi faire face aux actions unilatérales des Etats-Unis: impossible de les tolérer, mais de s’y opposer également… A Munich on disait précisément ce qu’il ne faut pas faire, et ce que l’on peut et doit faire.

Le discours de Poutine à Munich était dans l’ensemble très "européen", et il abordait également la nécessité de coopérer et évoquait les choses nécessaires à cet effet. Ceux qui ont tout fait pour le présenter comme un défi inacceptable, qu’ont-ils obtenu? Qu’ont-ils gagné? Ou à l’époque était-il réellement trop tôt pour le dire?

Aujourd’hui, presque cinq ans plus tard, la situation pour les Etats-Unis et surtout l’UE est devenue encore plus difficile. Et Poutine dit une nouvelle fois qu’il souhaite coopérer. On appelle cela une ligne de continuité.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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