"La rhétorique ne suffit pas à se faire des amis"

"La rhétorique ne suffit pas à se faire des amis"
La rhétorique ne suffit pas à se faire des amis - Sputnik Afrique
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La Russie et ses partenaires occidentaux sont souvent en désaccord sur les problèmes internationaux: il suffit de voir ce qui se passe actuellement autour de la Syrie et de l’Iran.

 

Entretien accordé à RIA Novosti par Thomas Graham, directeur senior de la société de consultation Kissinger Associates, ancien conseiller spécial du président américain et ex-directeur pour la Russie au Conseil de sécurité nationale, auteur du livre Le déclin et la relance incertaine de la Russie (Russia's Decline and Uncertain Recovery).

La Russie et ses partenaires occidentaux sont souvent en désaccord sur les problèmes internationaux: il suffit de voir ce qui se passe actuellement autour de la Syrie et de l’Iran. Et bien que la position des diplomates russes coïncide souvent avec celle de la Chine, beaucoup d’observateurs font remarquer que la Russie est presque aussi loin d’être amie avec la Chine qu’avec, par exemple, les Etats-Unis. Qui pourrait être l’ami de la Russie? Qui sont ses amis à l’heure actuelle.

Docteur Graham, l'exemple du Moyen-Orient montre à l'évidence que la politique étrangère russe peut être critiquée pour son art de perdre des amis et des partenaires. Mais les diplomates russes ne sont pas aussi incompétents et auraient pu au moins imiter l’approche des Etats-Unis en qualifiant de victoire leur défaite dans la région. Quels amis et partenaires la Russie pourrait-elle se faire dans le monde en poursuivant son actuelle politique étrangère moyen-orientale?

Au moins à court terme, la Russie a clairement détérioré ses relations avec les Etats-Unis, l’Europe et la Ligue arabe en opposant son veto à la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la Syrie. L’acquisition d'amis, de partenaires et du respect de la part des Etats-Unis, de l’Europe ou de la Ligue arabe dépendra en grande partie du succès de la politique choisie ultérieurement par la Russie. Comme l’a dit John Fitzgerald Kennedy, "la victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline."

Tournons-nous vers une autre région – entre le Pakistan et les frontières du Kazakhstan, où nous assistons à une talibanisation bien pire qu’au Moyen-Orient. A quoi la Russie pourrait-elle s’attendre en termes d’acquisition de nouveaux et de conservation des anciens amis et partenaires?

Une fois de plus, il est question de savoir si la Russie pourra concrètement aider quelqu’un à régler les problèmes du radicalisme, des mouvements rebelles et terroristes. La Russie peut-elle et pourra-t-elle apporter une contribution significative à la sécurité des Etats de la région? La rhétorique à elle seule ne suffit pas pour se faire beaucoup de nouveaux amis ou de se rapprocher davantage des amis et partenaires déjà existants.

L’Amérique latine, notamment le Brésil, se rapproche de la Russie et les échanges commerciaux augmentent. La situation restera-t-elle en l'état, où faut-il s’attendre à quelque chose de plus substantiel?

Le Brésil continuera très probablement à travailler avec la Russie sur les questions de l’architecture économique mondiale ou de la sécurité, partiellement afin de montrer son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Toutefois, il convient de noter qu’en ce qui concerne la sécurité, le Brésil aura peu d’influence en dehors de l’Amérique latine, principalement parce qu’il n’est pas prêt à dépenser l’argent nécessaire pour renforcer sa "puissance coercitive" (hard power). Par conséquent, notamment en l’absence de changements dans la politique russe, en particulier à l’égard de Chavez, qui n’est pas un ami du Brésil, la proximité dans la coopération entre le Brésil et la Russie en matière de sécurité présente des restrictions évidentes. Ils travailleront sur des axes opposés dans une région, qui est la plus importante pour le Brésil.

Vous travaillez avec le docteur Kissinger qui menait une diplomatie subtile dans le triangle Chine-Russie-USA. Qu’en est-il aujourd’hui? Le partenariat sino-russe actuel sera-t-il encore plus étroit grâce aux actions entreprises par les Américains pour brider l’influence de la Chine? Sans oublier l’Inde qui, très probablement, revendiquera plus activement le rôle de puissance mondiale, ce qui ne fait que compliquer la situation.

L’objectif des Etats-Unis ne consiste pas à brider la Chine, mais à travailler avec elle et les autres afin que son rôle croissant dans la région soit le moins déstabilisant possible. D’autant plus qu’il est à l'évidence impossible de refreiner la Chine étant donné sa croissance économique, et Pékin continuera à attirer des partenaires économiques. De plus, compte tenu de la dépendance mutuelle économique entre les USA et la Chine, Pékin n’a aucun intérêt à former une coalition antiaméricaine avec la Russie. En suivant la même logique, quelles que soient les préoccupations de l’Inde concernant la Chine, le rôle économique important de Pékin signifie que New Delhi n’a aucun intérêt à être impliqué dans une coalition antichinoise. Par conséquent, la situation en Asie orientale et du Sud restera très inconstante pendant encore quelques années, et les coalitions s’y formeront pour des questions ad hoc et seront hétérogènes, et non pas dans le cadre d’une rivalité globale entre les coalitions antiaméricaine et antichinoise.

Pour terminer, parlons des Etats-Unis et de l’Europe submergée par ses problèmes. Il ne faut certainement pas s’attendre à ce que la Russie aille plus loin dans ses concessions à la politique iranienne des Etats-Unis. Mais existe-t-il un autre domaine dans lequel les deux pays pourraient établir un partenariat réel et pratique pour les deux parties?

La Russie fait face aux plus grands défis géopolitiques à sa périphérie, qui va de l’Asie du Nord-est à travers l’Asie centrale, le Caucase et l’Europe, jusqu’en Arctique. Si un partenariat était établi, il se ferait autour de ces défis, aussi irréaliste que cela puisse paraître maintenant. Si les deux pays étaient en concurrence dans les régions situées à la périphérie de la Russie, alors les échanges commerciaux et d’autres formes de coopération dans d’autres régions ne suffiraient pas à soutenir le partenariat russo-américain. Je pense qu’une étude stratégique poussée de ces régions pourrait mettre en évidence une coïncidence considérable des intérêts nationaux russes et américains. Cela impliquerait la reconnaissance que la forte présence russe dans ces régions est bénéfique pour les USA, et que la Russie a besoin d’une présence américaine puissante le long de toutes ses frontières. Malheureusement, la vision stéréotypée qui demeure depuis l’époque de la guerre froide, les relations concurrentielles depuis l’effondrement de l’URSS et le sentiment croissant de vulnérabilité et de nostalgie dans les deux pays ne contribuent pas pour l’instant à l’essor de la réflexion stratégique créative mais renforcent la concurrence au lieu de chercher un terrain d’entente.  

 

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