La polémique sur la chariatisation de la Russie

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Le scandale des propos tenus par l'avocat russe Daguir Khassavov sur la nécessité de reconnaître officiellement sur le territoire russe la loi de la charia prend rapidement de l'ampleur.

Le scandale des propos tenus par l'avocat russe Daguir Khassavov sur la nécessité de reconnaître officiellement sur le territoire russe la loi de la charia prend rapidement de l'ampleur. Le ministère russe de l'Intérieur a initié la vérification de la teneur extrémiste de l'interview de Khassavov. Le parquet général a effectué l'analyse grâce aux experts de l'Institut russe de culturologie et a déjà annoncé les résultats. Les propos de l'avocat sont empreints d'extrémisme, et Alexandre Ordjonikidze, directeur général de Ren-TV, la chaîne qui a diffusé le sujet, a reçu un avertissement.

La chambre fédérale russe des avocats a immédiatement appelé la chambre de Moscou, dont Daguir Khassavov est membre, à annuler la licence de l'avocat trop bavard, coupable d'avoir enfreint la loi fédérale sur la pratique du barreau, ainsi que d'avoir violé le Code d'éthique professionnelle des avocats.

Beaucoup de militants et d'importantes organisations musulmanes dans une forme plus ou moins sévère ont condamné les propos de Khassavov. Quant à l'avocat en question, prenant conscience qu'il n'était soutenu par personne, il a préféré quitter la Russie. Selon une certaine communauté de réfugiés politiques russes, il avait reçu des menaces et s'est rendu dans un pays européen.

Mais que masque l'unanimité si rare de nos jours du gouvernement et de la société russes, ainsi que la réaction rapide des forces de l'ordre? Est-ce que beaucoup de musulmans russes partagent en réalité les points de vue et les aspirations de Khassavov? Et est-ce que des tribunaux de la charia peuvent réellement faire leur apparition en Russie? Les experts disent que de tels tribunaux non seulement peuvent apparaître, mais qu'ils existent déjà depuis longtemps dans le Caucase du Nord, et leur importance croît.

Faut-il juger Khassavov pour extrémisme?

Afin de se prononcer sur la peine méritée par un individu, il faut clairement comprendre ce dont il s'est rendu coupable. Dans notre cas, voyons le décryptage exact des propos de Daguir Khassavov. Il explique la nécessité d'instaurer la charia en Russie en arguant de ce que "les musulmans ne veulent pas s'impliquer dans un système judiciaire à plusieurs instances." Mais les principales déclarations séditieuses étaient une réponse à la remarque d'un journaliste (il était de toute évidence question des communautés musulmanes à Moscou) rappelant qu'on ne vient pas "avec son règlement dans le monastère d'autrui."

"Nous sommes chez nous. Peut-être que c’est vous les étrangers, déclare Khassavov. Et nous allons instaurer les règles qui nous conviennent, que cela vous plaise ou non. Toute tentative pour l’empêcher entraînera un bain de sang. Ce sera un second "lac Mort." Nous noierons la ville dans le sang."

La phrase ne sonne pas très russe. Mais le sens est clair et en effet cela ressemble à une menace flagrante. Ainsi, l'application de l'article 282 du Code pénal russe sur l'extrémisme, dans le cas présent, ne semble pas excessive.

Hormis l'extrémisme, dans les propos de Khassavov on décèle des appels au changement par la force de l'ordre constitutionnel russe, ce qui tombe également sous le coup de la loi (article 280). L'avocat cite l'exemple du califat arabe et déclare que tous les musulmans du monde devraient s'unir et créer un système commun, et que la Russie doit leur offrir une telle possibilité. Je crains qu'il soit impossible de réaliser cette idée en conservant la souveraineté étatique de la Russie (or c'est l'une des bases de l'ordre constitutionnel).

Cependant, aussi étrange que cela puisse paraître, le nationaliste russe Vladimir Tor ne pense pas que l'Etat doive appliquer quelconques sanctions contre Khassavov. "Ce barbare, ce sauvage a été franc, dit-il. Désormais, tout le monde connaît les intentions de l'avocat Khassavov et de ses camarades." Dans le cas présent, Vladimir Tor reste logique, car les nationalistes prônent depuis longtemps l'abrogation des articles 280 et 282 du Code pénal. Ils sont convaincus qu'on ne peut pas punir les gens pour ce genre d'idées ou de propos.

Quant à l'instauration officielle en Russie de tribunaux de la charia, Vladimir Tor n'y voit aucune objection. "Que ceux qui le souhaitent soient jugés entre eux selon les lois de la charia, déclare-t-il. Par conséquent, ils connaîtront un certain changement de statut juridique. La loi russe ne les concernera pas, y compris en termes de droits et de libertés."

Dans ce cas, selon le militant nationaliste, il sera nécessaire de créer des tribunaux spéciaux qui examineront les affaires opposant les personnes ayant ce statut et les autres citoyens russes. Pour les individus qui veulent passer devant un tribunal de la charia, Vladimir Tor propose d'organiser des réserves (ghettos) spéciales.

Cependant, que cela plaise aux nationalistes ou non, c'est le Code pénal qui est en vigueur en Russie. Et les propos de Khassavov tombent sous le coup de la loi. Sa fuite à l'étranger prouve indirectement que l'avocat en est conscient.

Qui est Khassavov et pourquoi a-t-il tenu ces propos?

Daguir Khassavov n'est pas un individu lambda ou un marginal. C'est un avocat respectable, diplômé de l'école supérieure de Kiev près le ministère de l'Intérieur de l'URSS, docteur de troisième cycle en histoire, chef d'un cabinet d'avocats de Moscou, "Daguir Khassavov et associés – Drakonta." Khassavov a participé à beaucoup de grands procès, dont le procès gagné des architectes Tajiev et Kolenteïev contre le Conseil spirituel des musulmans de la Russie européenne concernant les infractions lors de la construction de la grande mosquée de Moscou.

Il y a six mois, Khassavov a annoncé son intention de créer le Conseil des imams de Russie et l'Union des musulmans de Russie, de toute évidence pour faire contrepoids au Conseil des muftis de Russie. Rien d'étonnant donc à ce que les muftis attaquent leur ancien ennemi qui s'est mis en porte-à-faux avec son discours.

Autre désagrément. Ils ne sont pas les seuls à rejoindre la rhétorique actuelle associée à d'autres déclarations retentissantes sur les provocations perpétrées par des forces hostiles aux les musulmans russes, l'islam et la Russie en général. Le président du Conseil des muftis de Russie Abdoul-Vakhed Niyazov et le président du Centre de coordination des musulmans du Caucase du Nord, le mufti Ismaïl Berdiev, se sont prononcés dans ce sens.

"C'est simplement une action planifiée, je pense que des forces politiques hostiles envers la Russie, les musulmans et la paix interethnique et interconfessionnelle dans le pays sont derrière tout cela", a déclaré à RIA Novosti un laïc, Rouslan Kourbanov de l'Institut d'études orientales de l'Académie des sciences de Russie. Akhmad Kadyrov, président de la Tchétchénie, pays natal de l'avocat, a également qualifié la déclaration de Khassavov de provocation.

Toutefois, le visionnage de ce triste reportage de Ren-TV et l'examen de nombreuses interviews de Khassavov ne donne aucune raison de penser que ses propos sont une provocation délibérée. Au cours des trois derniers mois, Khassavov a évoqué devant les journalistes de divers journaux la nécessité d'instaurer des tribunaux de la charia en Russie, et beaucoup d'articles ont été publiés, mais il n'y avait aucun détail sanglant ni, par conséquent, de réactions violentes.

Dans la vidéo on voit bien que le journaliste a simplement déstabilisé l'avocat, et les mots prononcés étaient une improvisation dans un russe mal maîtrisé. En particulier, le "lac Mort" signifiait certainement la "Mer Morte". On ne lance pas de provocations de cette manière.

Le tribunal le plus juste

De facto les tribunaux de la charia existent en Russie, et les avocats et les scientifiques musulmans préconisent depuis longtemps leur légalisation, affirme Alexeï Malachenko du Centre Carnegie de Moscou.

"La chariatisation est présente depuis longtemps dans le Caucase du Nord, au Daguestan et en Tchétchénie, explique-t-il. C'est un processus normal. D'une part, parce que le niveau de conscience et de l'identité islamique augmente. Et d'autre part, parce que les tribunaux fédéraux russes ne fonctionnent pas ou mal. Or, il faut d'une certaine manière régler les litiges matériels ou autres."

Peut-être ce processus est normal du point de vue de l'évolution de la société islamique. Mais à quel point est-il normal du point de vue de l'Etat russe et des lois russes?

La possibilité d'appliquer le droit de la charia sans qu'il aille à l'encontre des lois russes constitue un grand problème, reconnaît Malachenko. "Pour un musulman, la charia est quelque chose de sacré. En respectant la charia, il mène un mode de vie musulman, poursuit l'expert. Il est important que dans les régions où on applique la charia cela n'aille pas à l'encontre de la législation russe. Quoi qu'il en soit, il faut trouver un consensus entre la loi fédérale russe et ce qui se passe dans le Caucase du Nord. On n'y échappera pas. Il faut réfléchir et trouver une solution."

Bien sûr, les experts sont mieux placés, mais l'idée de "marier" les lois de la charia avec la législation fédérale russe me paraît irréalisable. Prenons la question de mariage (pardon pour le calambour). Un musulman pieux peut avoir jusqu'à quatre épouses, tandis que le Code pénal russe interdit la polygamie. Les sanctions de la charia impliquent entre autre les coups de fouet, la lapidation, l'amputation d'une main. Dans le dernier car, celui qui mettrait en application la loi de la charia serait passible d'une condamnation pour mutilation grave en conformité avec le Code pénal russe.

Admettons qu'un musulman ait volé quelque chose à un autre individu. Le tribunal de la charia organise un procès et condamne le voleur à une amende. Mais en payant l'amende, le voleur reste en liberté et continue à représenter un danger social, et par la suite d'autres personnes, qu'elles soient musulmanes ou non, peuvent être victimes de ses actes.

En réfléchissant bien, la légalisation de la charia en Russie se heurtera à de très nombreuses contradictions de ce genre.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction   

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