Stress social: du trône au déclin

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La complaisance sociale, qui régnait dans de nombreux pays il y a encore quelques années, se transforme en irritation évidente et persistante provoquée par la situation actuelle. On perçoit de mieux en mieux la palette en noir-et-blanc de la perception de la vie, et l'intolérance et l'agressivité s'accroissent. Cela peut s'expliquer, mais c'est lourd de conséquences.

La complaisance sociale, qui régnait dans de nombreux pays il y a encore quelques années, se transforme en irritation évidente et persistante provoquée par la situation actuelle. On perçoit de mieux en mieux la palette en noir-et-blanc de la perception de la vie, et l'intolérance et l'agressivité s'accroissent. Cela peut s'expliquer, mais c'est lourd de conséquences.

La cause principale réside dans les difficultés économiques qui ont frappé de nombreux pays. La tension monte partout, et il n'est pas étonnant que les hommes politiques appellent à réfléchir enfin aux intérêts de la classe moyenne, car c'est elle qui (quelle surprise!) provoque des révolutions. Or jusqu'à présent on estimait que la classe moyenne était la moins encline aux troubles sociaux car elle perdait plus que les autres. Ce sont les couches sociales du milieu avec leur complaisance conservatrice qui constituent les piliers des régimes, qu'ils soient démocratiques ou autoritaires.

Cependant, les représentants de la classe moyenne payent de plus en plus cher leur retenue par la dévalorisation de leurs intérêts. Les statistiques des pays développés des dernières années montrent que ce sont les personnes ayant un revenu moyen qui sont affectées par les principales conséquences des problèmes sociopolitiques et économiques non résolus. Leur vie devient plus difficile. Elles souffrent partout, mais de manière différente – des Etats-Unis à la Grèce, des pays du printemps arabe à la Russie.

Ces gens payent également le prix le plus fort pour les erreurs et les échecs des hommes politiques. Pour cette raison, la question aujourd'hui est de savoir quelle sera le résultat de leurs souffrances, quel prix devra payer tel ou tel pays et sa population en surmontant les imperfections de la vie. En d'autres termes, quelles compétences sont imparties à la clase moyenne et lui sont reconnues. Acquiescer en silence à tout ce qu'on lui impose ou être la source du développement du pays et de son évolution?

Lorsque la vie d'un homme est correcte et prévisible, il est serein, apte, détendu et tolérant. Il commence à s'inquiéter lorsque des problèmes surviennent. Mais quand les problèmes deviennent de plus en plus nombreux en l'absence de mécanismes de règlement, l'homme tombe dans l'irritation et la colère. Les sentiments au sein de la société deviennent de plus en plus intransigeants, et elle réagit. Puis, suit soi l'apathie, qui tue la société, soit la rage, qui la détruit.

On peut parler de deux critères déterminant la qualité et le niveau de développement de la société: est-ce qu'elle dispose initialement de mécanismes efficaces pour régler les conflits et rétablir la justice; est-ce que les élites ont conscience de la tension qui apparaît, sont-elles prêtes à écouter les revendications et à avoir la sagesse de faire la différence entre le populisme et le véritable problème. Enfin, est-ce que le gouvernement est prêt à proposer de nouveaux outils permettant de faire tomber la tension et sous quelle forme. Ou est-il seulement disposé à l'ignorance insolente ou à la répression violente de l'irritation sociale en satisfaisant parallèlement de manière primitive les intérêts de la foule.

En bref, qui dans le système actuel, dans quelle mesure et pour quelle raison possède le droit à la vérité. On peut élargir la question: est-ce que les mécanismes de partenariat entre la population et l'Etat, capables de réduire les "stress sociaux" et faciliter la vie des habitants, notamment en période de turbulences économiques, fonctionnement réellement au sein de la société?

Vient le moment où les couches, auparavant modérées dans leurs manifestations sociales, commencent à élever la voix. C'est précisément ce qui se produit dans de nombreux pays, y compris en Russie.

La population commence à exiger des changements; de nouvelles idées, y compris radicales, apparaissent, bien qu'elles soient attrayantes à première vue; on assiste à l'apparition de personnages jusque-là restés dans l'ombre. Cela peut être aussi bien des porteurs de nouveaux appels que des partisans de slogans conservateurs qui ont fait leurs preuves.

C'est à ces moments de l'histoire, lorsque le monde se met en mouvement, qu'on teste la solidité des fondements de la société d'une part, et la souplesse de ses mécanismes de l'autre.

On teste en particulier l'aptitude des élites et des couches moyennes à parler et à s'entendre, à céder une partie des privilèges pour l'avenir commun et à mettre la compétence au-delà de la loyauté et de la servilité. On imagine tout de suite différemment le rôle de la religion et de ses institutions: est-ce qu'elles voient leur rôle dans la protection ou dans le rappel aux gens des catégories du bien et du mal, de l'humanité et de l'honnêteté.

Les communications commencent à jouer un rôle crucial. Est-ce qu'elles sont utilisées pour des discussions franches afin de trouver une solution optimale pour la nation ou pour réprimer toute autre pensée différente de l'opinion générale et pour imposer avec impertinence son propre point de vue. Sur quels sentiments jouent ceux qui ont les moyens d'influer sur la nation: salue-t-on l'ouverture sur quelque chose de nouveau ou la turbulence est-elle considérée comme une trahison des fondements. Octroie-t-on des rôles de souris laborieuses à des couches entières de population, ou leurs exigences sont-elles considérées comme fondées. Est-ce que les groupes d'élite sont capables de résister au choc ou bien se sont-ils rigidifiés dans leur propre conviction et ont-ils perdu leurs compétences professionnelles.

Sous la pression des nouvelles circonstances, les systèmes faibles s'effondrent ou se déforment définitivement, étant incapables de se moderniser ou de se développer. D'autres, en intégrant les besoins du monde changeant, acquièrent une nouvelle force. Fernand Braudel s'est beaucoup penché sur les facteurs déterminants pour l'aube ou le déclin aussi bien de villes que d'empires tout entiers. Il a étudié l'expérience de Gênes et de Bruges, l'effondrement de la Perse, il a analysé les causes de la meilleure croissance de l'Angleterre par rapport à la France.

Les événements actuels au Proche-Orient, en Grèce, en Russie et même en Allemagne et aux Etats-Unis, pourraient certainement faire partie de ceux qui déterminent l'avenir. A quelles sociétés appartenaient l'avenir aux instants cruciaux et pourquoi? Selon Braudel, depuis le début de l'histoire, le succès appartenait à ceux qui ne soumettaient pas toute la volonté nationale aux plans ambitieux du seul individu sur le trône; qui avaient suffisamment de liberté et d'insouciance pour œuvrer et suffisamment de moyens pour expérimenter. Et où la vie humaine, la liberté et la dignité étaient reconnues comme des valeurs.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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