La "diplomatie populaire" de Saakachvili – l'occidentalisation du Caucase

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Peu avant les élections législatives en Géorgie (prévues pour le 1er octobre), le président géorgien Mikhaïl Saakachvili a apparemment décidé de présenter sous un nouvel angle la question des relations entre son pays et la Russie.

Peu avant les élections législatives en Géorgie (prévues pour le 1er octobre), le président géorgien Mikhaïl Saakachvili a apparemment décidé de présenter sous un nouvel angle la question des relations entre son pays et la Russie.

D'une part, les autorités géorgiennes continuent à construire activement "l'image de l'ennemi" incarné par son voisin du Nord, la Russie, qui pourrait être à l'origine d'une nouvelle guerre sur le territoire géorgien: Tbilissi vient d'accuser Moscou de complicité avec des groupes armés illégaux – 11 combattants et trois soldats géorgiens des forces spéciales sont morts dans un affrontement à la frontière entre la Géorgie et le Daguestan. A cet égard, Saakachvili a déjà annoncé qu'il ne tolérerait pas de transfert du conflit en Russie sur le territoire géorgien.

Toutefois, certains experts géorgiens considèrent ce conflit, dont les contours sont flous, comme le premier pas vers l'instauration dans le pays de l'état d'urgence et l'annulation des élections législatives.

Par ailleurs, au cours de sa récente visite dans le district de Khoni (à l'ouest de la Géorgie), Mikhaïl Saakachvili a déclaré qu'il avait l'intention de développer les relations avec la Russie "grâce à la diplomatie populaire".

La cible – Caucase du Nord

On ne peut pas dire que Saakachvili propose quelque nouvelle approche. Tbilissi s'efforce depuis longtemps d'utiliser l'outil de la "puissance douce" pour promouvoir son influence dans le Caucase du Nord. Et ce, en mettant principalement l'accent sur les mesures qui pourraient porter leurs fruits à moyen terme, voire même à long terme.

Pour les habitants d'Ossétie du Nord (dont beaucoup ont des proches en Géorgie), on avance la thèse selon laquelle les Géorgiens et les Ossètes sont des peuples historiquement proches, liés par un destin commun (toutefois, le gouvernement géorgien préfère passer sous silence le fait que plusieurs partis politiques d'Ossétie du Sud s'efforcent de faire reconnaître le génocide de la Géorgie contre le peuple ossète).

La Géorgie propose activement des subventions pour les recherches historiques conjointes des scientifiques géorgiens et ossètes pour publier par la suite ces travaux en Occident. Un programme de visite en Géorgie avec un accent porté sur les activités de divertissement a été développé pour la classe moyenne ossète (souvent, les prix des divertissements en Géorgie sont plus bas par rapport à la Russie, d'autant que le pays dispose d'une infrastructure développée pour les loisirs).

Le projet du "Grand Caucase historique" a été conçu pour les élites intellectuelles du Daguestan, où les ressortissants de cette république russe pourraient occuper une "place digne".

En septembre 2010, lors de la 65e session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le président Mikhaïl Saakachvili avait appelé la communauté internationale à voir le Caucase comme une entité unie, et a averti la Russie que si elle n'acceptait pas de participer à la modernisation de la région, cette "modernisation pourrait se dérouler sans elle".

Dans ce projet de modernisation, ou plus précisément "d'américanisation", Saakachvili a "modestement" laissé à la Géorgie la place d'un "laboratoire de réformes politiques et de transformation sociale".

Selon l'idée du président géorgien, "l'unification du Caucase aura lieu grâce aux mesures conjointes dans le domaine de l'éducation, de la culture et des libertés civiles". Autrement dit, selon Saakachvili, l'avenir des républiques nord-caucasiennes est en dehors de la Russie, et réside dans une certaine union hypothétique sous le protectorat de la Géorgie et de l'Union européenne (toutefois, Bruxelles n'a fait aucun commentaire concernant ce projet de Saakachvili, en n'en fera aucun).

Le projet du "Grand Caucase" a été activé dans le contexte de slogans de plus en plus forts en Russie des pseudo-patriotes sur la possibilité de la division du Caucase du Nord. Dans ce sens, pour les Tchétchènes et les Ingouches on propose un projet de "relations particulières" des Géorgiens et des Vaïnakhs dans leur "lutte commune contre l'impérialisme russe" et on souligne la contribution des Vaïnakhs à l'histoire de la Géorgie: les empereurs géorgiens faisaient souvent appel aux Tchétchènes pour régler, entre autre, les problèmes militaro-politiques importants pour le pays.

Un rôle particulier est imparti à l'inculcation des standards de l'éducation géorgienne à la jeunesse russe des républiques du Caucase du Nord. Dans la stratégie nationale des relations entre la Géorgie et les peuples du Caucase du Nord élaborée au printemps dernier, il est souligné que Tbilissi "salue les étudiants du Caucase du Nord qui font leurs études dans les universités géorgiennes et contribuera à l'augmentation du nombre de ces étudiants".

La mise sur le séparatisme circassien

En dépit des problèmes avec la population abkhaze (les Abkhazes font partie de la famille adygo-circassienne), Tbilissi cherche depuis plusieurs années à jouer la carte du séparatisme adygo-circassien sur le territoire russe, en mettant activement en avant le thème du "génocide circassien pendant la guerre du Caucase".

En mai 2011 le parlement géorgien était le seul dans le monde à reconnaître le "génocide circassien" comme un crime contre l'humanité commis par la Russie pendant et après la guerre du Caucase du XIXe siècle. La presse géorgienne souligne constamment que Krasnaïa Poliana (où se dérouleront de nombreuses compétitions olympiques en 2014) – est un endroit tragique pour toute l'ethnie adygo-circassienne.

Au fur et à mesure que les Jeux olympiques de Sotchi approchent, le thème de la "tragédie du peuple circassien" sera utilisé de plus en plus activement par Saakachvili pour influer sur les processus au sud de la Russie et infliger un préjudice à l'image de la Russie. Le but consiste, au mieux, à saper les JO de Sotchi, et, au moins, à compliquer leur déroulement.

Tout trouble dans les régions circassiennes de la Russie (l'Adyguée, la Kabardino-Balkarie, la Karatchaïévo-Tcherkessie, les lieux de vie des Chapsoughs sur le territoire de Krasnodar) serait immédiatement utilisé par Tbilissi pour appeler à empêcher la tenue des JO 2014 de Sotchi. Malheureusement, ces appels clairement provocateurs pourraient être soutenus par la presse occidentale.

Actuellement, les autorités géorgiennes cherchent activement à s'assurer le soutien de la campagne pour le boycott des JO de Sotchi parmi les leaders des communautés circassiennes en dehors de la Fédération de Russie (il existe de grandes communautés adygo-circassiennes en Turquie et au Moyen-Orient).

Tbilissi a clairement l'intention de jouer la "carte circassienne" jusqu'au bout et ne lésinera pas avec l'utilisation de sa "diplomatie populaire".

Tous les moyens sont bons pour la formation d'une image négative des prochains JO de Sotchi dans le Caucase du Nord – la première chaîne de télévision géorgienne et le comité parlementaire pour le rétablissement de l'intégrité territoriale de la Géorgie ont présenté en août le film documentaire "Sotchi 2014 – Olympiade?". Le film trace un parallèle avec les événements scandaleux qui accompagnaient les JO de Berlin en 1936 et de Moscou en 1980.

Le principal message de ce "modèle de propagande de Saakachvili" est l'attitude négative de la Russie envers les Caucasiens depuis l'époque des tsars russes jusqu'à nos jours.

Les succès de l'occidentalisation

Parallèlement, Saakachvili cherche à présenter aux Russes "sa Géorgie" comme un pays qui a vaincu la corruption, qui dispose d'une police efficace et honnête, avec une croissance économique stable et étant presque devenu un nouveau centre de gravité pour les intellectuels dans tout l'espace postsoviétique.

Bref, la "Géorgie de Saakachvili" est un exemple du succès de l'occidentalisation d'une république autrefois soviétique. Et le président géorgien cherche à exporter cette "expérience réussie" vers d'autres pays de la CEI, dont la Russie.

Mais dans quelle situation se trouve en réalité la Géorgie derrière la vitrine de la prospérité affichée?

La corruption a été effectivement globalement réduite, mais le clan présidentiel cherche à contrôler pratiquement toute l'économie du pays. La police géorgienne "efficace et honnête" est depuis longtemps impliquée dans la répression des dissidents (les militants des droits de l'homme occidentaux ont à maintes reprises accusé Saakachvili de sympathie presque non dissimulée envers les méthodes staliniennes de contrôle).

Actuellement, en période de préparation pour les élections législatives, on assiste à une véritable persécution des candidats d'opposition. Selon le député géorgien Petré Mamradze, les structures de sécurité, y compris l'armée, se préparent à une répression violente d'éventuelles manifestations après les législatives.

La presse d'opposition géorgienne subit une pression permanente, ce qui inquiète les organisations européennes, dont l'APCE (Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe). Selon les représentants de Transparency International, les chaînes de télévision géorgiennes qui critiquent les autorités touchent un public très restreint. Les réseaux satellites refusent de diffuser les chaînes critiquant le gouvernement, au prétexte de "problèmes techniques".

Et le "boom économique" géorgien est avant tout le résultat d'immenses emprunts faits au cours des dernières années, et on ignore comment les futures générations de Géorgiens rembourseront ces dettes colossales. (Selon la Banque nationale géorgienne, la dette extérieure de la Géorgie a augmenté de 13,5% l'année dernière et a atteint 11,167 milliards de dollars. Cette somme représente 77,7% du PIB réel du pays de 2011.)

La société géorgienne est majoritairement favorable à l'amélioration des relations avec la Russie, mais pas dans le cadre de "l'exportation de l'occidentalisation" proposée par Saakachvili. Le projet d'américanisation forcée de tous les aspects de la vie commence à rencontrer une résistance de plus en plus grande aussi bien au sein de l'élite créative géorgienne, que des couches plus larges de la société de ce pays.

Aujourd'hui, la Géorgie entre en période de reformatage institutionnel, en 2013, elle changera du statut de république présidentielle à celui de république semi-présidentielle. Est-ce que les relations entre la Géorgie et le monde extérieur changeront, et comment se positionnera la république dans le Caucase? Les élections d'octobre et leurs résultats nous rapprocheront de la réponse à cette question.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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