Viktor Ouspasskikh, "notre" homme en Lituanie

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Comme c'est souvent le cas en période de crise, l'opposition a remporté la victoire aux élections législatives en Lituanie. Même si le second tour n'est pas encore joué et que l'issue du vote dans les districts à mandat unique peut encore influer sur les résultats des listes de parti, la répartition des forces est plutôt claire, selon les analystes lituaniens. Le pouvoir revient à la gauche.

Comme c'est souvent le cas en période de crise, l'opposition a remporté la victoire aux élections législatives en Lituanie. Même si le second tour n'est pas encore joué et que l'issue du vote dans les districts à mandat unique peut encore influer sur les résultats des listes de parti, la répartition des forces est plutôt claire, selon les analystes lituaniens. Le pouvoir revient à la gauche.

Le Parti du travail, qui est passé en tête après le premier tour avec 18 mandats, a déjà déterminé les contours de la future coalition - les socio-démocrates seront ses alliés les plus plausibles.

Par ailleurs, ce revirement attendu en Lituanie a été interprété, en Russie, comme une victoire des "forces prorusses".

Un barter en or

Viktor Ouspasskikh, 53 ans, leader du Parti du travail qu'il avait déjà amené au sein du Sejm (parlement) et du Parlement européen à plusieurs reprises, est originaire du village d'Ourdoma, dans la région d'Arkhangelsk. Il était parti en Lituanie soviétique pour participer à la construction d'un gazoduc en tant que soudeur et, contrairement à beaucoup de ses compatriotes, il a fait le bon choix en 1991.

Il a soutenu l'indépendance, a appris la langue sur le tas, s'est marié avec une Lituanienne et, en créant sa première entreprise, a privatisé une bonne partie des biens de la garnison militaire qui se retirait dans la ville de Kedainiai.

Le début des années 1990 était l'époque de ce genre de personnes chanceuses, et pas seulement en Lituanie. Ouspasskikh serait peut-être resté l'un de ces nouveaux riches d'envergure provinciale inconnus, s'il n'y avait pas eu Gazprom. Car à l'époque, il n'y avait pas de plus grand bonheur commercial que d'obtenir le droit de servir la dette du groupe dans un pays devenu souverain. Puis de s'engager dans des relations commerciales et financières, qui ont marqué l'histoire comme les barters - troc ou encore échange de marchandises entre entreprises.

On ignore si Nikolaï Gouslisty, vice-président de Gazprom à l'époque, était un ami d'Ouspasskikh, ou si des leviers plus pragmatiques ont été mis à l'œuvre. Mais l'ancien soudeur a obtenu ce droit exclusif de barter grâce auquel, en envoyant en Russie des fruits et des légumes de son entreprise agricole, il est devenu en échange fournisseur de 80% du gaz russe en Lituanie, selon certaines estimations.

A juste titre, il convient de noter que ses conserves en valaient la peine.

Sien parmi les étrangers

L'histoire de Viktor Ouspasskikh est celle d'un Russe en Lituanie mais pas dans le sens "utilitaire" sous-entendu par les conspirationnistes lituaniens et les patriotes russes, qui croient que des forces extérieures ont vraiment remporté la victoire en Lituanie par son intermédiaire.

En réalité, les Russes ne votent pas beaucoup pour le Parti du travail en Lituanie. La part de la communauté russe qui soutient Ouspasskikh en Lituanie doit le faire de façon tout à fait désintéressée car il ne lui donne pas d'argent et ne se positionne qu'en tant qu'entrepreneur et homme politique lituanien. On vote pour lui, dans la province lituanienne, en espérant qu'il partagera ses millions avec ses concitoyens.

Ouspasskikh, c'est aussi l'histoire très familière d'un enrichissement au sein d'un Etat européen confortable et pas très riche. L'espace du socialisme autrefois victorieux reste quelque part un espace de mœurs commerciales similaires, bien que la langue russe soit déjà oubliée en grande partie. Mais dans cette liste de l'Europe moderne, la Lituanie occupe toutefois une place particulière.

Ici, on ne qualifie plus les socio-démocrates d'anciens communistes depuis longtemps, bien qu'ils semblent être les derniers héritiers de la section républicaine de l'URSS dans l'espace de l'ancienne superpuissance, retiré au moment opportun par Algirdas Brazauskas.

Ces héritiers sont régulièrement favoris aux élections, y compris celles qui se déroulent actuellement dans le pays.

La Lituanie a pris congé de la polémique interethnique et des fronts internationaux au début des années 1990. Elle n'oublie pas l'occupation d'avant-guerre ni les milliers d'exilés qui ne sont jamais revenus de Sibérie mais, contrairement à la Lettonie et l'Estonie, elle a toujours su trouver dans la médiocrité soviétique un espace qui pouvait être considéré comme apolitique - et qu'on pouvait par conséquent intégrer sans honte.

Les Lituaniens ont toujours obtenu de bons résultats lors des championnats soviétiques de basketball et de football, et l'un des idéologistes de l'indépendance, le philosophe

Arvydas Juozaitis, a même remporté la médaille de bronze de natation aux JO de 1984 au sein de l'équipe soviétique. Ils étaient chez eux dans le monde du cinéma et du théâtre soviétiques, et les réalisateurs lituaniens sont toujours à leur place sur les plateaux de Moscou, comme pour rappeler qu'à l'époque soviétique, ils étaient déjà des précurseurs du progrès idéologique.

Une Lituanie sans extrêmes

Il s'est avéré plus tard que cette proximité apolitique avait, probablement, un revers politique.

Comme le reconnaissent avec cynisme les réformateurs estoniens, c'est la morosité envers tout ce qui était soviétique - et par conséquent l'importance de la question nationale - qui permettait de détourner l'attention des habitants patriotes des difficultés découlant des réformes libérales radicales. Chaque poussée doit en effet effectivement être recouverte de rhétorique...

L'impulsion anticommuniste et anti-impérialiste initiale a suffi pour l'escapade romantique de l'URSS, à qui cette ancienne république soviétique avait montré le chemin idéologique et les innovations primaires telles que la privatisation des terrains.

Ce que les Estoniens ont abordé avec une méthode protestante, les Lituaniens l'ont pris avec toute la force du progressisme social-démocrate. Au final, ils ont pris du retard mais en transformant les anciennes relations avec la Russie en intérêts commerciaux communs, ils ont également adopté une bonne partie de sa psychologie économique – bien plus que les Estoniens, les Thèques ou les Polonais.

Après tout, l'image est familière – Viktor Ouspasskikh avait fui en Russie, où il se cachait des accusations de "double comptabilité" au sein de son entreprise et du mandat d'arrêt européen délivré par le bureau du procureur lituanien.

A cet épisode s'ajoute son retour étrange en Lituanie – l'assignation à domicile, suivie de la levée de toutes les accusations dont il faisait l'objet et l'absence de détails sur son affaire pénale, qui aurait dû être examinée il y a cinq ans déjà. Ainsi que sa démission du poste de ministre de l'Economie, après la preuve du conflit d'intérêts. Que voulez-vous, c'est la Lituanie. L'Europe.

Viktor Ouspasskikh est le parangon d'une histoire très lituanienne. C'est notre homme (russe) en Lituanie. Et il n'est pas impossible que la présidente, Dalia Grybauskaite, le charge de former le nouveau gouvernement.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
   

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