Blog d'Alexandre Latsa: La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

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Il est souvent difficile de bien comprendre les bouleversements qu’a connu la Russie, depuis la chute de l’URSS jusqu'à nos jours. Vu de l’extérieur et notamment d’Europe, l’histoire de ce jeune pays européen qu’est la Russie ressemble à un puzzle chaotique et dénué de toute logique.

Il est souvent difficile de bien comprendre les bouleversements qu’a connu la Russie, depuis la chute de l’URSS jusqu'à nos jours. Vu de l’extérieur et notamment d’Europe, l’histoire de ce jeune pays européen qu’est la Russie ressemble à un puzzle chaotique et dénué de toute logique.

Pourtant, l’auteur de "La Nouvelle Grande Russie", qui dirige également l’antenne russe du Think-tank français Realpolitik TV, a choisi de présenter l’histoire russe en fonction de dates clefs, démontrant ainsi que les événements importants qui ont fait l’histoire récente de la Russie sont en réalité des maillons constitutifs d’un seul et même processus. Un processus ayant abouti au redressement spectaculaire que le pays continue de connaître aujourd’hui.

© Photo fournie par Xavier MoreauLe site de Realpolitik TV
Le site de Realpolitik TV - Sputnik Afrique
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Xavier Moreau bonjour ! Pourriez-vous vous présenter?

Je suis un ancien officier saint-cyrien, j’ai servi dans les parachutistes. J’ai suivi également un cursus universitaire puisque je suis doctorant spécialisé sur les relations soviéto-yougoslaves pendant la guerre froide, sous la direction de Georges-Henri Soutou. J’ai travaillé sur les archives soviétiques et yougoslaves.

J’appartiens à ce que j’appelle "l’Ecole historique française" dont le fondateur est Jacques Bainville et qui met en évidence les tendances lourdes ainsi que l’enchainement logique des évènements. L’Histoire y est décrite comme le laboratoire de la Politique. C’est une analyse au sein de laquelle les considérations morales n’interviennent pas et qui place l’intérêt suprême de la Nation au centre de la réflexion. Cette Ecole a été "modernisée" par Aymeric Chauprade, qui a donné ses lettres de noblesses à la "Géopolitique française". Il a fait de cette pseudo-science anglo-saxonne et germanique, qui visait avant tout à justifier l’impérialisme et le racisme inhérents à ces deux civilisations, une science rigoureuse et logique.

J’essaie donc de m’inscrire dans cet héritage intellectuel.

© Photo Service de communication de l'Usine Legrand a OulianovskXavier Moreau
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Xavier Moreau

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur la Russie de 1991 à aujourd’hui?

Aymeric Chauprade m’avait toujours encouragé à écrire sur la Russie contemporaine, j’ai donc sauté sur l’occasion lorsque les éditions Ellipses m’ont proposé de participer à leur collection "Dates clés".

Pourquoi avoir choisi d’analyser la Russie selon des dates clefs? Selon des événements clefs?

En fait la collection fonctionne selon ce principe, que je trouve excellent, car il oblige à être synthétique et à identifier les évènements réellement fondateurs, tout en en cherchant les causes profondes.

Vous affirmez que le redressement russe, "le miracle russe" comme vous dites, est en grande partie due aux décisions de l’élite politique du pays plus qu’à un heureux concours de circonstances, à savoir un prix des matières premières en hausse et une demande extérieure et européenne notamment, croissante. Pourriez-vous développer?

Les matières premières ont souvent été en hausse en Russie, ça n’a pas empêché le pays entier de basculer dans la banqueroute à plusieurs reprises. La grande différence depuis 2000, c’est que l’État russe à commencer à épargner et à gérer ses ressources en prévision des moments difficiles. La crise de 2008, sous un gouvernement Eltsine, aurait mis la Russie à genoux. Au lieu de cela la Russie a été un des premiers pays à en sortir et sa position en a été renforcée.

Les ressources ne suffisent pas sans la volonté politique de bien les utiliser. La France a des ressources humaines et industrielles colossales, qui sont gaspillés depuis 40 ans. 

Vous citez le bombardement de la Serbie en 1999 comme un élément décisif et une date clef de l’histoire russe, pourquoi cet événement de politique extérieure entre t-il en compte d’après vous?

A la chute de l’URSS, les Russes ont été fascinés et bienveillants vis-à-vis du modèle américain. Ils sortaient du monde du mensonge et croyait sincèrement que la vérité était occidentale. Au fur et à mesure des années 90, ils ont découvert que les États-Unis avaient pris la relève comme "Empire du mensonge".

En 1999, le masque est tombé définitivement, les États-Unis sont apparus comme ce qu’ils étaient, c’est-à-dire les ennemis de la civilisation européenne, capables de s’allier avec des mafias, des mouvements terroristes et/ou islamistes, pour parvenir à leur fin.

Vous analysez un autre événement extérieur, la guerre des 5 jours contre l’armée Georgienne, comme, je vous cite: "l’événement qui marque la fin de l’expansion américaine dans l’étranger proche de la Russie"?

Comme prise de conscience de la duplicité mais également de la faiblesse américaine. La "guerre des cinq jours" vient comme la suite logique du bombardement de la Serbie. La différence est qu’en face de l’impérialisme américain, se dresse cette fois la Russie de Poutine, qui humilie l’administration américaine impuissante. En l’espace de deux mois, les États-Unis ont montré au monde, qu’ils étaient incapables de protéger ni leurs alliés, ni leurs banques.

Certains commentateurs ont estimé que l’arrestation de Khodorkovski marquait un réel coup d’arrêt aux visées américaines de prise de contrôle politique de l’énergie russe, est ce aussi votre opinion?

Sans aucun doute. Khodorkovski avait reçu plusieurs signaux de la part du Kremlin, comme des rappels à l’ordre. Il était persuadé que ses alliés américains lui garantissaient l’impunité. Comme d’autres oligarques, comme feu Berezovsky, Khodorkovski  était avant tout un homme audacieux et sans scrupule. Pour cette génération, tout s’achète, à commercer par le Président de la Fédération. Ces hommes n’ont pas imaginé que la volonté du peuple russe puisse s’incarner dans celle d’un homme, qui réduirait à néant le fruit de 10 années de rapines.

Votre livre se veut une bouffe d’optimisme sur un pays qui a pourtant une image atroce à l’extérieur de ses frontières, comment expliquez-vous ce décalage entre votre opinion et l’image vraiment négative qui ressort du pays par le biais des canaux plus habituels, médiatiques notamment?

Les premiers responsables sont les médias. Je pense en revanche qu’il ne faut pas surestimer la corruption et la malhonnêteté et sous-estimer la bêtise. Les journalistes français sont bien plus stupides et paresseux que méchants. Une bouillie moralisatrice est bien plus rapide à cuisiner qu’un article fouillé et documenté. Cela  est dû notamment aux Ecoles de journalisme qui sont de véritables usines à idiots.

Le problème est également lié au fait que l’on trouve beaucoup de diplômés des langues orientales, qui parlent très bien russes, mais qui sont de piètres analystes. Pour prendre l’exemple du Monde, qui mène en ce moment une campagne très agressive contre la Russie, la rédactrice en chef Natalie Nougayrède fixe les objectifs de cette campagne, que Marie Jego et Piotr Smolar alimentent péniblement de leurs articles, transformant peu à peu le quotidien subventionné en un fanzine d’extrême gauche.

Vous vivez et travaillez en Russie, quelle est votre opinion sur la façon dont le pays évolue? Quels sont a votre avis les points forts/faibles du pays aujourd’hui en 2013?

Je vis en Russie depuis 13 ans. Il est incontestable que la situation s’est considérablement améliorée d’année en année. On peut critiquer le rythme et la vitesse des progrès mais pas leur réalité. La Russie d’aujourd’hui fait face à des problèmes très divers, qui rappellent un peu les nôtres, les retraites, la ré-industrialisation, le "vouloir vivre ensemble" à l’intérieur de son vaste territoire. Ses atouts sont nombreux, sa population avant tout, son territoire immense, ses ressources et surtout ses élites politiques, qui sont sans doute les plus brillantes en Europe, avec un vrai souci de l’intérêt de la Nation.

La Russie aujourd’hui ne cherche plus de modèle, elle est elle-même devenu un modèle alternatif de développement social, fondé sur les valeurs traditionnelles. Les libertés publiques sont désormais plus fortes en Russie qu’en France, avec l’existence d’une presse écrite d’opposition à grand tirage, qui n’existe pas dans notre pays. J’ai été frappé par la liberté de ton avec laquelle les autorités russes ont communiqué sur les manifestations de 2011-2012, proposant librement l’accès à toutes les photos aériennes, permettant ainsi de décompter précisément le nombre de manifestants. 

En quoi la Russie présente t’elle un réel intérêt pour les investisseurs étrangers, français notamment?

La Russie est un marché de 143 millions d’habitants avec une natalité en plein redressement et une classe moyenne de plus en plus nombreuse et de plus en plus riche. C’est un état peu endetté, stable, où les marchés publics peuvent être remportés par des fournisseurs étrangers, contrairement aux États-Unis par exemple où la corruption et les appels d’offres truqués interdisent tout espoir pour des constructeurs européens, que l’on pense par exemple récemment au contrat des ravitailleurs.

Votre livre s’arrête a 2008, quels sont d‘après vous les dates clefs du développement de la Russie depuis 2008?

Mon livre a été livré fin 2011, avant l’élection de Vladimir Poutine, qui constituerait la future "date clé" dans le cas d’une mise à jour.

Les élections de 2012 démontrent l’incapacité du département d’État américain à influer sur le pays réel russe. Elles sont importantes également en raison de l’affaiblissement sensible de Russie Unie, qui perd 125 députés. Les résultats traduisent également le rejet massif de l’occident par les Russes, qui se choisissent une opposition communiste et nationaliste, plutôt que libérale. C’est ce dernier point qui préfigure ce que pourrait être le futur découpage politique de la Russie.

Enfin la "date clé" suivante pourrait être la victoire de Bachar El Asad, le cas échéant. Elle apporterait un coup très dur au système d’ingérence américain, fondé sur les mafias et l’islamisme et ferait de la Russie, l’allié recherché des nations qui souhaitent rester souveraines.

Merci Xavier Moreau pour cette Interview.

Les lecteurs intéressés peuvent retrouver les interviews de Xavier Moreau sur le site de RIA-Novosti, ici et la.

Je rappelle que le livre « La Nouvelle Grande Russie » est disponible aux éditions Ellipses.

L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

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