Où est passée l'Europe "de Vladivostok à Lisbonne"?

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La décision du gouvernement russe d'interdire les importations de plusieurs produits alimentaires en provencance de l'UE, de Norvège, des USA, du Canada et d'Australie peut être interprétée comme une réponse politique à l'Occident, notamment à l'Europe, concernant le choix des moyens pour surmonter la crise mondiale politique et économique.

La décision du gouvernement russe d'interdire les importations de plusieurs produits alimentaires en provencance de l'UE, de Norvège, des USA, du Canada et d'Australie peut être interprétée comme une réponse politique à l'Occident, notamment à l'Europe, concernant le choix des moyens pour surmonter la crise mondiale politique et économique. La Russie reconnaît que l'Europe est son principal partenaire commercial mais l'avis de Bruxelles et des capitales européennes ne comptera plus autant qu'avant.

De Vladivostok à Lisbonne

En 2010, au plus fort de la crise économique mondiale, Vladimir Poutine (alors premier ministre russe) avait proposé aux pays de l'UE de former une alliance économique
"de Vladivostok à Lisbonne". Selon le dirigeant russe, la crise avait montré que les économies russe et européenne étaient vulnérables. La Russie dépendait fortement de la conjoncture des matières premières, alors que l'UE était confrontée au risque réel d'affaiblissement sur les marchés des produits industriels et de haute technologie.

C'est pourquoi Vladimir Poutine avait alors appelé à une "synthèse organique des deux économies". En résumé: réunir l'industrie des hautes technologies et le potentiel des hydrocarbures. Il voulait que l'Europe et la Russie surmontent la crise ensemble: "Si nous le faisions, nous aurions une chance d'occuper une place digne dans le monde de demain". Vladimir Poutine avait également attiré l'attention des dirigeants européens sur les valeurs chrétiennes communes et expliqué que la Russie n'était pas intéressée par une Union européenne faible ou désunie, que le rapprochement entre l'UE et la Russie ne pouvait pas être orienté contre qui que ce soit, qu'il n'exigeait pas l'affaiblissement des relations avec ses partenaires et alliés traditionnels.

Il avait également insisté sur le fait que la Russie voulait des relations amicales et
d'égal-à-égal avec l'UE, sans avoir besoin de sacrifier ses intérêts ou de reculer en permanence pour mériter une attitude positive de l'Europe.

A l'époque, l'Europe avait préféré ignorer - ou n'avait simplement pas voulu entendre - la proposition du dirigeant russe. Il s'est avéré plus tard que Bruxelles avait tout entendu.
Mais avait tout interprété à sa manière.

Cette année, l'expression "de Lisbonne à Vladivostok" a été prononcée par le président ukrainien Piotr Porochenko au moment de la signature d'un accord sur la zone de
libre-échange entre l'Ukraine et l'UE. Le dirigeant ukrainien a rappelé la proposition de Vladimir Poutine et déclaré: "C'est précisément ce que nous faisons". Et selon Porochenko, il attend "la même chose de la part de la Russie". Le public a applaudi.

Quatre ans plus tard, l'Union européenne accepte donc l'idée d'une économie commune mais uniquement aux conditions de Bruxelles. Autrement dit, la Russie doit suivre l'exemple de l'Ukraine et de la Moldavie, ouvrir complètement son marché et s'adapter aux règles de l'UE. Dans ce plan, la Russie est autorisée à être d'accord avec l'avis de Bruxelles. Et on appellera cela "un partenariat amical".

Les sanctions qui ont été ensuite adoptées par l'UE contre des hauts fonctionnaires, banques et compagnies (principalement du secteur militaro-industriel et énergétique) russes n'ont laissé planer aucun doute sur les intentions de l'Europe.

Ainsi, la situation en Ukraine a permis de tirer un trait sur le projet d'alliance économique UE-Russie.

L'Ukraine, poste avancé d'Obama

Grâce aux efforts de l'administration américaine, l'Ukraine s'est transformée en poste avancé pour les Américains. Avec une administration (l'administration locale "élue démocratiquement"), des unités policières pour veiller au respect des normes du campement (avec des interrogatoires des individus suspectés de contester ces normes), des unités punitives (pour éliminer les rebelles). Il n'y a pas encore de fils barbelés sur tout le périmètre du campement mais on creuse déjà des tranchées le long de la frontière.

La réalisation d'un projet d'une telle envergure, avec un coup d'Etat et un génocide contre sa propre population, en violation de toutes les normes du droit international, nécessite la combinaison de plusieurs causes à la fois. Arrêtons-nous sur certaines d'entre elles.

La route de la soie ou le lasso

Pour sauver leur propre économie, les Etats-Unis s'efforcent d'imposer à l'UE une alliance économique transatlantique. Traduction: soumettre l'économie européenne à Washington. Mais pour cela il est nécessaire de limiter l'influence croissante de la Chine et sa volonté de construire sa "route de la soie" vers l'Europe. Et l'itinéraire optimal passe uniquement par des territoires qui ne sont pas contrôlés par les Américains: la Russie et l'Ukraine - plus précisément la péninsule de Crimée.

Rappelons que le Maïdan de Kiev avait repris en force en février, précisément au moment de la visite de Viktor Ianoukovitch à Pékin. Dans ce contexte (USA vs Chine) l'ordre inattendu du chef de l'administration présidentielle ukrainienne Sergueï Levotchkine de disperser le Maïdan semblait tout à fait logique.

Mais les habitants de l'autonomie de Crimée ont fait capoter les plans des Américains en s'insurgeant contre le Maïdan et en votant pour leur rattachement à la Russie. "La Crimée et Sébastopol ont rejoint leur port d'attache", déclarera ensuite Vladimir Poutine. La Russie et la Chine ont convenu de construire un pont d'accès à la péninsule et un port en eau profonde en Théodosie.

Des ambitions revues à la baisse

Depuis l'annonce par les USA de leur nouvelle doctrine sur l'exportation des hydrocarbures, Washington a commencé à utiliser ses "outils marchands" préférés, à savoir éliminer les concurrents.

Parce que la production du gaz de schiste coûte plus chère que celle du gaz naturel.
Sans mentionner son caractère nuisible pour l'environnement – surtout, quand dans les régions d'exploitation le sol est rempli de produits chimiques, l'eau potable commence à brûler et la terre s'assèche.

Et dans la liste des concurrents, la Russie est en première place. Washington a déjà dévoilé son slogan "La massue gazière américaine arrachera l'Europe à la captivité russe". Mais en pratique, l'objectif est bien de stopper le transit de gaz russe en Europe. A cet effet, il est nécessaire de déstabiliser la situation dans la région. L'Ukraine convenait on ne peut mieux pour ce plan.

Hormis le transit direct de gaz russe en Europe, entre également en jeu la construction du gazoduc South Stream. En outre, la région de Lougansk est traversée du nord au sud par un ancien gazoduc datant de l'époque soviétique, débouchant sur Rostov-sur-le-Don, puis dans le Caucase du Nord.

Un grand trio du Pacifique s'est ainsi formé, réunissant les USA, le Canada et l'Australie.
Des fournitures de gaz liquéfié ont été promises à l'Europe, au Japon et aux pays d'Asie du Sud-Est. La construction des terminaux a été lancée.

Et voici que Moscou convient avec Tokyo de la construction d'un gazoduc de Sakhaline jusqu'au Japon, sabotant ainsi les plans préalables de l'Australie de lui fournir du gaz liquéfié. Et le premier ministre australien a annoncé l'adoption de sanctions contre la Russie.

Un Maïdan moscovite

Le troisième facteur est l'aspiration des Etats-Unis à provoquer un conflit entre la Russie et la Chine. Pour cela, Washington doit déstabiliser la situation à Moscou et faire changer de gouvernement en Russie. Parmi les récents événements planifiés figure la prétendue décision du tribunal d'arbitrage sur l'affaire Ioukos, réclamant à la Russie 50 milliards de dollars de dédommagement pour les actionnaires de cette compagnie.

Adieu aux récoltes européennes

Depuis le début de la crise ukrainienne, la Russie attendait patiemment de l'Europe des démarches pour pacifier les autorités de Kiev, des décisions politiques réfléchies et du respect de ses propres intérêts (européens).

Mais force est de reconnaître que les politiciens européens débordent de certitude quant à leurs forces. Ou alors ils ont déjà misé sur une alliance avec Washington. Très prochainement, on saura dans quelle mesure ce choix était justifié. Pour l'instant, on peut seulement constater que l'Europe a décidé de s'appuyer non pas sur ses propres forces dans une alliance équitable avec la Russie, mais sur le soutien des USA.

Que peut réellement proposer Washington aux populations européennes? Créera-t-on de nouveaux emplois, les petites et grandes entreprises seront-elles soutenues? Nous verrons.

La politique américaine économique et financière en Europe s'est d'abord soldée par la crise dans les années 1920-1930, puis une guerre mondiale. Mais le scénario pourrait être différent cette fois.

D'un autre côté, l'Europe n'a pas à s'inquiéter de l'embargo russe sur les produits alimentaires. Après tout, le marché russe ne représente que 12 milliards d'euros, soit 10% de l'ensemble des exportations alimentaires de l'UE. D'un autre côté, chaque ouvrier du secteur agricole assure
8 à 10 emplois dans d'autres secteurs économiques comme l'industrie chimique, l'énergie, la construction mécanique et les transports. Le prix des produits alimentaires chutera en Europe, et c'est une bonne nouvelle pour les consommateurs. Mais les recettes budgétaires diminueront elles aussi avec la baisse de la taxe sur le chiffre d'affaires notamment. L'Union européenne ne pourra pas compenser ces pertes à part entière, parce que le Fonds de stabilisation européen pour l'agriculture ne s'élève qu'à 400 millions d'euros.

De plus, les pêcheurs norvégiens comptent envoyer sur le marché de l'UE les produits qui étaient destinés à la Russie. L'an dernier, les consommateurs russes ont reçu 300 000 tonnes de produits de la mer pour 780 millions d'euros.

Les fermiers néerlandais ont annoncé leur soutien à la ligne politique de leur gouvernement, mais ils ignorent pourquoi ils devraient être les seuls à payer.

Après tout, ce ne sont pas les hauts fonctionnaires ou les grandes compagnies qui seront principalement touchés. Mais les PME. Les citoyens ordinaires sont-ils prêts à payer davantage pour la politique de leur gouvernement et se priver d'une part significative de leur revenu familial?

Les entrepreneurs grecs exigent de leur gouvernement qu'il renonce aux sanctions contre la Russie.

Les syndicats français exigent de leur gouvernement qu'il revoie sa politique.

Les Polonais ont annoncé une campagne nationale pour la consommation des pommes. Maintenant ils demandent aux USA de permettre aux pommes polonaises d'entrer sur leur marché intérieur. Il serait intéressant de connaître l'avis des producteurs agricoles américains à ce sujet.

En 2013, les Etats-Unis ont exporté sur le marché russe des produits pour plus de 1 milliard de dollars.

Le marché russe représente pour l'Estonie le quart de ses exportations de produits laitiers.

La suédo-danoise Arla et la finlandaise Valio stoppent leur activité en Russie. Notons toutefois que Valio possède une unité de production en Russie, mais les matières premières étaient fournies de Finlande et d'Estonie. Et en soi rien n'empêche au groupe de rester en Russie en se réorientant sur les fournisseurs locaux.

Certes il serait possible, à l'instar de la Lituanie, d'essayer de livrer du porc dans les pays musulmans. Ou encore de faire comme la Lettonie avec les fournitures de lait dans les pays d'Asie (avec l'intolérance au lactose de nombreux Asiatiques). Le Danemark pourrait même tenter de s'emparer du marché de la viande en Argentine et dans d'autres pays d'Amérique du Sud.

Des solutions comme d'autres. Il y a l'embarras du choix. Mais quel serait le résultat?

La Russie choisit aujourd'hui des fournisseurs alimentaires pour son marché intérieur. Les propositions sont nombreuses. Est-ce une bonne chose pour le pays? Indéniablement. Est-ce une bonne chose pour l'Europe? C'est moins sûr.

Les producteurs russes ont aujourd'hui des opportunités inédites pour passer à un niveau de développement supérieur. On voudrait croire que ces possibilités seront réalisées. De préférence en coopération avec les producteurs européens. Mais la Russie n'insistera pas sur cette coopération.

Ele reste ouverte au dialogue avec l'Europe. Mais si les politiciens européens voient leur avenir dans le sillage des USA les entreprises européennes, elles (pas forcément des grands groupes), seraient intéressées par l'ouverture d'une production en Russie.

Les affaires ont besoin de stabilité. Et la Russie peut assurer aujourd'hui des conditions de travail confortables. Mais seulement de Vladivostok à Kaliningrad.

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