Face aux écoutes, la France se contentera de protestations purement platoniques

© AFP 2023 Eric FeferbergLaurent Fabius
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Laurent Fabius mis sur écoute par les services de renseignements allemands! Hypocrisie politique ou impuissance du pouvoir allemand?

La liste des personnes ou institutions écoutées par le BND, les services de renseignement allemand, n'en finit pas de s'allonger… La radio publique Berlin-Brandenbourg rapporte que Laurent Fabius aurait été écouté de 2008 à 2011. Mais l'étendue les cibles ne s'arrêtent pas là: entreprises européennes et américaines, Cour internationale de justice de la Haye, Unicef, Organisation mondial de la santé, le FBI, Voice of America… Des pratiques qui mettent Angela Merkel dans l'embarras, et qui révèlent surtout un pouvoir politique dépassé, selon François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'IRIS, spécialisé sur la communication, la cyberstratégie et l'intelligence économique:

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"Là il s'agit d'espionnage ou d'écoutes ciblées, où on choisit une personne ou une institution en raison de son importance. Donc là, c'est la bureaucratie, la direction de la BND, l'équivalent de notre DGSE, ou DCRI, qui a pris cette initiative et qui n'en a pas référé. Là on est devant un cas où la technostructure s'émancipe du pouvoir politique. Et il se passe dans les services de renseignement des choses que les politiques ne veulent pas ou ne peuvent pas savoir".

Des pratiques que les politiques ne veulent pas savoir… aussi bien du côté allemand que du côté américain. Car si Angela Merkel condamne l'espionnage d'alliés alors que les services allemands le pratiquent, les services allemands savent également le pratiquer pour le compte d'autres alliés, comme les services américains, la NSA. Pourtant le ministre allemand de la Justice avait demandé des contrôles plus stricts du BND, après avoir appris que des agents auraient espionné des ambassades de pays alliés sans l'autorisation du gouvernement. Est-ce que les Etats sont devenus impuissants et les services de renseignement… incontrôlables?

"D'une certaine manière oui. Enfin ils sont devenus très puissants. Par ailleurs, il y a échanges et des collaborations, on a vu que le BND coopérait avec la NSA pour certaines écoutes, même si de leur côté les gens de la NSA n'hésitaient pas à écouter le téléphone d'Angela Merkel et ce n'était pas à mon avis par crainte qu'elle se convertisse au djihadisme.Donc il y a une certaine autonomie de ces services, parce qu'il y a les moyens techniques, et quand on a les moyens techniques ont à tendances à les utiliser. Il y a aussi quelques choses de presque idéologique, c'est cette culture du renseignement à tout prix, la recherche de faculté de prévision et d'anticipation qui ne marche pas tellement bien d'ailleurs, mais qui devient une sorte de religion".

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Une course effrénée à l'information. Mais dont l'ampleur et le caractère donne le vertige: la radio berlinoise évoque une liste de 900 pages de "sélecteurs" (numéros de téléphone, emails, adresses IP) utilisés par le BND et à laquelle ont eu accès des députés allemands. Dès 2013, Edouard Snowden, ancien consultant de la NSA, avait révélé plusieurs programmes de surveillance de masse américain, et notamment la mise sur écoute d'un téléphone portable de la chancelière Merkel:

"Quand je dis quelque chose de religieux, je pense en particulier aux Etats Unis, après le 11 septembre où l'amiral Poindexter, celui qui a été dans le scandale des Contras, avaient prôné la 'total information awareness', la 'connaissance totale par l'information', en croisant toutes les données. Il avait un projet, ça avait quelque chose d'ésotérique presque. Y'avait une sorte où y'avait un triangle, une pyramide, l'œil de Dieu. Donc je veux dire par là qu'il y a un peu une tentation de croire qu'en accumulant davantage de données, en ayant de plus gros ordinateurs, on connaitra tous les dangers".

Le renseignement a de plus en plus d'importance aujourd'hui. Au nom de la prévention, de la protection: un Etat espionne l'Etat voisin, allié ou non, et ses citoyens. Une sorte de guerre tacite, où l'arme est l'écoute, et le trophée l'information:

"Bien sûr, de toute façon il n'y a pas de guerre qui ne soit pas une guerre d'information et le renseignement a de plus en plus d'importance aujourd'hui. D'ailleurs il y a une tendance lourde de nos sociétés à passer à plus de surveillance. Pour des raisons politiques, parce qu'on veut prévoir tous les dangers. D'après une formule célèbre, Google en sait plus sur vous que vous-même. Pourquoi? Parce que vous utilisez constamment Google pour faire des recherches, ce qui montre ce à quoi vous vous intéressez, pour communiquer, pour vous déplacez etc. Et que ces informations vont être stockées, moulinées dans de gigantesques ordinateurs, et vont donner énormément de renseignements sur vos gouts, vos intérêts commerciaux, etc. Et ça vous permettra de vous faire des propositions commerciales plus adaptées".

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Les révélations tombent, mais ne rassemblent pas. L'opinion publique semble résignée. Les déclarations des personnalités politiques n'y changent rien: le ministère des Affaires étrangères et l'Elysée n'ont pas souhaité réagir. Les révélations provoquent certes des tensions mais la surveillance semble passée dans l'environnement:

"J'aimerai beaucoup vous répondre "c'est énorme", il va y avoir des manifestations anti-big brother, mais j'ai bien peur que non. Déjà, du côté gouvernemental, nous pouvons savoir que la France se contentera de protestations purement platoniques. On l'a vu à la façon dont on a réagi lorsqu'on a découvert que l'ambassade des Etats Unis nous espionnait ou qu'on espionnait les présidents français. Du côté de l'opinion publique, franchement j'aimerai me tromper, mais j'ai l'impression que tout ça est devenu un peu normal, passé dans l'environnement, il y a une certaine résignation, on le voit à la façon dont on a accepté le scandale des interceptions et écoutes américaines révélées par Snowden. Notre propre loi sur le renseignement, qui permet de mettre des boites noires et de capter des millions de données chez les opérateurs. Voilà, j'ai un peu peur que l'opinion publique ne soit résignée".

La presse n'a probablement pas fini de faire écho des vastes pratiques d'écoute des services de enseignement allemand, américain, ou encore français. La confusion et les demandes d'explications que suscitent ces révélations ne changeront rien à cette guerre de l'information où les services secrets semblent prendre le pas sur la politique.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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