Survivre à Moscou

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Bonjour Alexandre, j’ai lu avec beaucoup d’attention ta tribune Far-est, ainsi que d’ailleurs tes autres tribunes sur Ria-Novosti. J’habite Bordeaux et me pose la question de déménager à Moscou, comment y est la vie pour un étranger? Merci d’avance, Ludovic.

Bonjour Alexandre, j’ai lu avec beaucoup d’attention ta tribune Far-est, ainsi que d’ailleurs tes autres tribunes sur Ria-Novosti. J’habite Bordeaux et me pose la question de déménager  à Moscou, comment y est la vie pour un étranger? Merci d’avance, Ludovic.

Cher Ludovic, un déménagement à Moscou est presque une aventure. "J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance, j'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares", c’est Blaise Cendrars qui a écrit ça. Moi, mes premières impressions, c’était de me sentir assommé par la densité des foules disciplinées qui s’engouffraient dans le métro, et par le bruit des rames qui arrivent dans les stations.

Au premier abord, la ville me semblait plutôt difficile à appréhender, et même hostile. C’est une mégalopole de 12 ou 15 millions d’habitants, mais pas tout à fait comme les autres mégalopoles de la planète, il y a des particularités bien russes, et tout de suite, la rencontre avec l’alphabet cyrillique ajoute une difficulté. Au début je l’avoue j’étais écrasé par la largeur des artères et des rues, et la relative difficulté à trouver certaines adresses. Bien sur tu vas me dire, autant circuler en voiture! La belle affaire, on voit bien que tu n’as encore jamais conduit à Moscou.

La ville est entre 6 heures du matin et 22 heures un bouchon géant, il n’est pas rare de mettre 2 heures pour un déplacement du centre, dans le centre, vers le centre! La circulation est la plaie de cette ville, et je préfère ne pas aborder le problème des places de parking, impossibles à trouver.

Après, pour celui qui arrive, il y a la rencontre avec l’hiver russe. Au début, c’est dur à supporter. Certains jours, même le petit trajet à pied, entre la station de métro et le bureau est une épreuve physique, quand on vient d’un pays tempéré. Les russes marchent sans aucun problème sur le verglas, et on comprend qu’il va falloir apprendre. L’hiver dure 5 mois (il a par exemple encore neigé la semaine dernière), les températures dépassent fréquemment les -15° (il a fait -30° en février dernier), et le ciel est presque tout le temps couvert.

La ville est vraiment grande, les stations de métro sont bien plus espacées qu’à Paris, donc on passe beaucoup de temps dehors, ce qui permet de "profiter" un maximum du froid. Les étés sont généralement trop chauds et trop courts, sauf le dernier, caniculaire, et pendant lequel Moscou est restée noyée dans une épaisse fumée et une odeur de brûlé pendant presque deux mois, à cause des incendies qui ont ceinturé la ville. A Moscou enfin l’immobilier est cher, vraiment cher, trop cher. Sauf par exemple pour Naomi Campbell, qui vient de s’installer dans un nouveau complexe du centre ville.

Pour clore le tableau négatif, Moscou est une capitale visée par le terrorisme: pendant les douze derniers mois, deux attentats ont coûté la vie à une centaine de personnes, il y a eu plusieurs centaines de blessés.

Pour autant, je ne souhaite pas te décourager, j’ai juste voulu être objectif, en listant ces divers points négatifs qu’il ne faut pas oublier. Il y a aussi des points positifs, et il y en a beaucoup, en tout cas suffisamment pour que, comme de nombreux Français de Moscou, je n’aie jamais eu envie de quitter cette ville et même que j’envisage d’y rester encore une bonne partie de ma vie.

Moscou est fascinante, c’est une ville tout simplement exceptionnelle. Elle a les avantages des vraies mégalopoles, et beaucoup de choses fonctionnent ici   H-24. A n’importe quelle heure du jour et de la nuit, il est possible de faire tant les courses que de manger ou boire quelque chose, sortir, trouver de l’animation, de la vie. Les bars et les restaurants sont ouverts, il y a des boutiques qui ne ferment jamais et même des banques et des immeubles de bureaux qui ont un service de nuit.

Ici, l’énergie de la ville se ressent tant dans le rythme des jeunes Moscovites qui dansent sur les pistes des boîtes de nuit, que dans la densité du trafic automobile, ou dans la masse de gens que l’on peut rencontrer partout à n’importe quelle heure. Cette ville est plus vivante que les autres, ce n’est pas une illusion. Elle est toujours en activité et moi, Ludovic, j’aime Moscou pour ça. Pour le travail c’est pareil, il n’est pas rare qu’à Moscou des rendez-vous d’affaires se déroulent en soirée ou alors le week-end.

Il faut bien avouer, cher Ludovic, que ça pourrait drôlement te changer de Bordeaux, ville musée et somnolente, avec ses supermarchés qui ferment à 22 heures en semaine, ou ses boîtes de nuit des quais de Paludate, qui ouvrent et ferment à heures fixes. A Moscou, cette notion d’horaires fixes n’existe pratiquement pas. Un hit musical sorti en 2009 a d’ailleurs parfaitement résumé la situation dans son titre: “Moscow Never Sleeps“ (Moscou ne dort jamais). Dernière bonne surprise, la ville est relativement verte, puisque près de 40% de sa surface est composée de parcs et jardins, c’est nettement plus que dans nombre de villes européennes et réellement plaisant surtout pendant le printemps et l’été.

Les Russes sont accueillants même si au premier abord les Moscovites ont toujours un air pressé et peu souriant. Les habitants de la capitale russe ont l’habitude des "autres". Le pays est un empire, qui comprend une immense variété de gens et de religions. A condition de faire les efforts nécessaires et de respecter certaines règles, toute cette diversité trouve assez facilement sa place dans la vie à Moscou, y compris les étrangers.

Il est plausible qu’une ou des jeunes Moscovites te sourient assez rapidement, prudence Ludovic, un peu de discernement peut être utile. Beaucoup de visiteurs tombent sous le charme de Moscou, ville de l’amour et du romantisme, et de ses beautés. Ca ne marche pas toujours, mais je connais beaucoup d’hommes qui y sont très heureux d’un point de vue sentimental, la chaleur des femmes russes n’ayant, selon mon expérience de globe-trotter, absolument aucun équivalent sur notre petite planète.

Venir à Moscou comme expatrié employé d’une multinationale évite certes beaucoup de difficultés. C’est une vie entre un bureau de l’hyper-centre et un appartement luxueux de ce même hyper-centre, entre deux déplacements vers l’hyper-siège de son hyper-société. Ce type d’expatrié ne fait cependant que "passer" à Moscou. Il a un style de vie quasi identique à celui qu’il pourrait avoir à Shanghai, New-York ou Bruxelles.

C’est bien différent pour celui qui veut tenter sa chance seul, avec l’idée d’immigrer et de s’intégrer à la société russe, voir se trouver une nouvelle patrie d’adoption. Il va rencontrer en dehors des difficultés de la langue russe des rythmes différents, un système de pensée différent, et il devra se plier à quelques difficultés administratives qui rendent généralement fous les étrangers. On n’entre pas en Russie comme dans un moulin ou un hôtel, l’administration russe est souvent très pointilleuse, c’est un labyrinthe qui demande des efforts de compréhension et de la patience. Mais finalement, le jeu en vaut bien la chandelle.

La Russie ne laisse personne indifférent, et pour ce qui est de Moscou c’est encore plus vrai, mais elle peut te mettre assez rapidement K.-O. debout. Nombre de gens qui ont vécu un temps dans cette ville se sentent parfois difficilement capables de le refaire, c’est sans doute seulement en la quittant qu’on se rend compte quel rythme impitoyable et stimulant elle impose.

Pour autant Ludovic, je suis attaché à cette ville et à son mode de vie, surtout quand je peux régulièrement m’en échapper pour aller reprendre des forces ailleurs. Après une absence de quelques jours, j’ai néanmoins toujours envie de rentrer de nouveau sur le ring et comme nombre de Moscovites être content de "survivre" à Moscou.

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* Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

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