Vers une réconciliation nationale?

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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La cohabitation interethnique et la cohabitation interculturelle posent maintenant des problèmes récurrents dans tous les pays d’Europe.

La cohabitation interethnique et la cohabitation interculturelle posent maintenant des problèmes récurrents dans tous les pays d’Europe. Depuis quelques décennies, la France et l’Union Européenne connaissent pour la première fois de leur histoire des vagues d’immigration non européenne qui posent des problèmes d’intégration, d’assimilation et de cohabitation avec les populations indigènes européennes. La ghettoïsation et la communautarisation sont les deux écueils principaux sur lesquels buttent les tentatives d’intégration harmonieuse des nouveaux venus. Récemment des dirigeants politiques de France, d’Allemagne ou d’Angleterre ont reconnu l’échec de la société multiculturelle telle qu’elle s’est constituée en Europe. Au sein de l’UE, la linéarisation de la vie politique (sur un axe gauche/droite) a relativement exclu du débat les notions de patriotisme et/ou nationalisme, laissées aux mouvements et groupuscules politiques classés comme les plus à droite sur l’échiquier politique. A l’échelle supérieure (l’échelle européenne) la question de l’identité de cette hyper structure est également posée, sans qu’une réponse claire soit pour l’instant apportée. S’agit-il d’un club Chrétien? Est-ce un futur état fédéral ? Jusqu’ou l’extension de l’Europe doit elle continuer? Dans quelle direction? La Russie par exemple serait-elle moins européenne que la Turquie, ce grand état musulman situé en Asie?

J’ai déjà parlé il y a quelques mois de la grande différence de structure entre la fédération de Russie et les sociales démocraties de l’Union Européenne. La fédération de Russie est en effet un empire historique qui comprend en son sein et depuis longtemps des peuples variés et de différentes religions. La gestion de l’autre et la cohabitation interreligieuse y sont donc bien plus anciennes et déjà  ancrées dans les mœurs politiques. L’Islam en Russie, qui est la seconde religion du pays, est un Islam de souche, autochtone, qui ne pose pas les problèmes nouveaux auxquels la société française fait par exemple face. Mais il est vrai que l’Islam de France est importé par des flux migratoires très récents et on peut dire que cet islam de France est en quelque sorte encore en version Beta. Cette paix des religions en Russie, que j’ai illustrée via l’exemple du Tatarstan n’a même pas été menacée par les deux guerres récentes que l’état russe a du mener dans le Caucase. Pourtant, cette expérience de la gestion de communautés différentes en Russie n’a pas empêché l’apparition de graves violences xénophobes dans le pays, ni l’existence de groupuscules extrémistes.

En décembre dernier, des incidents ont ravivé les tensions entre Moscou et le Caucase du nord puisque suite au décès d’un supporter russe pendant une bagarre, plusieurs milliers de jeunes radicaux se sont rassemblés pour protester contre la très importante minorité caucasienne de la capitale. La manifestation a entrainé des violences et tout le mois de décembre a vu des cortèges de nationalistes et de jeunes caucasiens se suivre et même se faire face dans la capitale. Ces manifestations inhabituelles ont permis de faire ressortir au grand jour pour les observateurs étrangers deux conceptions de la Russie qui se font face. Une conception nationaliste ethno centrée considérant même que la Russie devrait se séparer du Caucase musulman et une version patriote fédérale, considérant que l’identité de la Russie est reflétée par la multiplicité des peuples la composant. Suite à ces événements, les deux principaux groupes d’extrême droite de la scène politique russe, l’union slave (Slavianski Soyouz) et le mouvement contre l’immigration illégale (DPNI), ont été interdits pour extrémisme. Ces interdictions font partie des mesures prises par le gouvernement russe pour tenter de faire cesser les crimes et agressions xénophobes dans les principales villes du pays. Récemment, divers groupes de skinheads ont été condamnés par la justice russe à de très lourdes peines et par ailleurs, près de 500 personnes ont, depuis les émeutes de décembre 2010, été condamnées pour extrémisme.

Cette politique semble donner des résultats puisque selon le Bureau des droits de l’homme de Moscou, 41 personnes ont été tuées lors de 188 attaques racistes en 2010, contre  87 tués (et 378 blessés) en 2008, et 71 tués (et 333 blessés) en 2009.

Pour autant, malgré ces violences qui sont réprimées, la politique générale de cohabitation des ethnies et des religions en Russie est un modèle dont les pays européens devraient sans doute pouvoir s’inspirer. La création de modèles multiculturels viables est aujourd’hui en effet un impératif pour tous les pays d’Europe. Le président Dimitri Medvedev avait du reste rappelé au début de l’année que la Russie "ne  pouvait se laisser séduire par les réflexions consacrant l'échec du modèle multiculturel". Plus surprenant encore, le gouvernement de Tchétchénie a officiellement invité les leaders des deux groupes russes d’extrême droite précités et interdits pour leur montrer la vie de la république, mais également pour tenter d’apaiser les tensions entre caucasiens et russes ethniques. Les dirigeants en question s’y sont donc rendu au début du mois et ont pu rencontrer des officiels tout autant que visiter la république. Ils en sont revenus en affirmant qu’ils avaient été agréablement surpris par la république, par la forme "d’ordre moral" qui y régnait et également parce que la vie y avait plus ou moins repris un aspect normal depuis la fin de la guerre. Le ministre des affaires extérieures de la république, Shamsail Saraliev a justifié l’invitation en expliquant que les tchétchènes ne souhaitaient de conflit avec quiconque pour des motifs nationalistes. Cette tentative de réconciliation générale expliquée aux extrémistes n’est sans doute qu’un premier et timide jet, mais il est très symbolique. Le président russe Dimitri Medvedev n’a t-il pas récemment, lors d’une visite dans le Caucase, appelé les organisations musulmanes à contribuer au retour dans le Caucase des peuples non caucasiens mais également appelé le clergé musulman à s’impliquer au plus haut niveau  pour combattre le terrorisme?

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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* Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

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