L'importance de la Russie dans le règlement de la crise syrienne

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Il y a longtemps que je n'avais pas senti que la Russie était un pays aussi important. Je m'en suis persuadé ces derniers jours à la conférence d'Ankara consacrée à la crise syrienne à laquelle j'assistais.

Il y a longtemps que je n'avais pas senti que la Russie était un pays aussi important. Je m'en suis persuadé ces derniers jours à la conférence d'Ankara consacrée à la crise syrienne à laquelle j'assistais. Les participants, principalement des représentants de la Turquie, de l'opposition syrienne et de certains pays de la région, ne disaient qu'une seule chose: tout dépend de la Russie, elle est la seule à pouvoir influencer la situation. Selon l'avis général, si la Russie n'avait pas opposé son veto au Conseil de sécurité des Nations Unies et en l'absence de l'aide militaire à Bachar al-Assad, le gouvernement syrien aurait changé depuis longtemps et la construction de la démocratie aurait déjà commencé en Syrie. Ce leitmotiv revenait sans cesse. Et les tentatives des représentants russes pour attirer l'attention sur le fait qu'il existe d'autres circonstances tout aussi importantes, voire plus significatives et sensibles, ont été ignorées.

Les opposants syriens et la majorité des experts turcs ont expliqué, parfois de manière assez convaincante, que le gouvernement syrien était condamné et s'effondrerait bientôt. Toutefois il y a 1½ - 2 mois, la certitude d'un effondrement rapide était nettement plus forte. Quelle est la raison de la stabilité relative du régime syrien qui résiste au printemps arabe depuis plus d'un an?

Premièrement, une partie considérable de la population a quelque chose à perdre. Selon les estimations russes, 15-20% soutiennent fermement Bachar al-Assad, et encore près d'un tiers craignent qu'un changement de régime aggrave la situation. Parmi ce tiers, il y a des minorités influentes: les chrétiens, y compris les Arméniens, les Kurdes, les Druzes, les Ismaéliens, etc. Ils appréhendent tous que le renversement du gouvernement alaouite et le triomphe de la majorité sunnite conduisent à des persécutions de tous les autres groupes. C'est la raison pour laquelle la population est partagée, ce qui crée des conditions propices à une longue guerre civile et permet au gouvernement syrien de parler de large soutien. Toutefois, l'opposition affirme que les minorités passeront progressivement dans son camp, mais pour l'instant rien ne permet de le penser.

Deuxièmement, de toute évidence, le rapport des forces n'est pas favorable à l'opposition. La prise de Homs a été une victoire importante d'al-Assad, après quoi la vision internationale a légèrement changé – on parle moins d'un effondrement imminent.

Troisièmement, le contexte régional joue en faveur d'al-Assad. L'opération en Libye a été célébrée comme un succès de l'Otan. Mais après celle-ci, la volonté de lancer une intervention militaire s'est considérablement affaiblie. D'une part, les Européens, qui ont porté le principal fardeau du conflit, n'ont plus d'agent et leur potentiel militaire est limité. D'autre part, la montée de l'islamisation là où les dictatures laïques s'effondrent contribue à renforcer les doutes de l'Occident quant à l'utilité d'un soutien trop actif des forces d'opposition. Et bien que la dernière réunion du groupe des Amis de la Syrie à Istanbul ait fait un pas vers un soutien plus actif des rebelles, l'idée de les armer rapidement n'est pas encore soutenue en Occident.

Quatrièmement, la Libye de Kadhafi n'avait finalement aucun ami (l'ancien dirigeant avait causé bien des problèmes à ses voisins et pas seulement). Tandis que la Syrie peut compter non seulement sur le soutien de l'Iran, mais étalement sur la couverture de la Russie et de la Chine, ainsi qu'au moins sur la neutralité silencieuse des Etats voisins: de l'Irak à la Jordanie, contrariés par la perspective d'une grande guerre régionale.

Cinquièmement, le résultat de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a permis l'intervention militaire en Libye a servi de leçon à Moscou et Pékin, qui après s'être abstenus l'année dernière refusent aujourd'hui de soutenir tout document faisant allusion à l'usage de la force. Aux yeux de la Russie et de la Chine, l'Otan et les autres participants à l'opération libyenne ont grossièrement abusé de la résolution pour réaliser sous sa couverture un coup d'Etat pur et simple.

Cela faisait longtemps que la Russie n'avait pas été autant critiquée que pour sa position sur la question syrienne. Moscou a été accusé de complicité de meurtre non seulement motivée par sa sympathie pour un tyran, mais également par le profit retiré du commerce des armements. Les commentateurs moins émotionnels se demandaient pourquoi la Russie s'accrochait aussi désespérément à un régime qui était clairement condamné, sans chercher à diversifier ses contacts ni essayer de jeter des ponts vers l'avenir. Cependant, Moscou a adopté une position intransigeante sans céder aux déclarations sur le risque d'isolement.

Le jeu est loin d'être terminé, mais malgré tout la Russie n'a pas perdu cette manche. Bien sûr, il est inutile de compter "faire des affaires" avec la Syrie comme avant. La pression extérieure continuera, et on ne permettra pas à al-Assad de rester au pouvoir, bien que les conditions de son départ puissent être différentes. Quoi qu'il en soit, ceux qui le remplaceront ne seront pas chauds pour entretenir des liens avec la Russie. La Libye en est un bon exemple. Le rôle de Moscou dans le renversement de Kadhafi a été décisif. Si la Russie avait opposé son veto au Conseil de sécurité, aucune intervention n'aurait eu lieu et, par conséquent, la révolution aurait pu être évitée. Et en dépit de cela, la première chose annoncée par les nouvelles autorités fut la rupture des contrats avec la Russie.

Cependant, Moscou ne mise pas actuellement sur la préservation des contrats avec Damas, mais sur l'affirmation de son statut dans les affaires internationales. En ne cédant pas à la forte pression psychologique et diplomatique, la Russie a prouvé qu'en dépit de la perte de ses positions au Moyen-Orient (la Syrie est le dernier proche partenaire) elle restait une puissance sans laquelle il était impossible de faire quoi que ce soit. La diplomatie russe a laissé clairement entendre qu'elle ne permettrait pas de légitimer une ingérence via le Conseil de sécurité des Nations Unies. Et pour l'instant, personne n'ose agir à ses risques et périls, bien que l'opposition syrienne appelle tout le monde à le faire. On se souvient encore de l'expérience de la campagne irakienne, lancée sans l'aval du Conseil de sécurité. Finalement, la Ligue arabe et l'Occident ont été forcés de commencer à dialoguer avec la Russie, qu'ils venaient de maudire. Le plan de Kofi Annan et son soutien par le Conseil de sécurité sont principalement les fruits de la position intransigeante de la Russie.

Toutefois, les possibilités de Moscou restent limitées, et la Russie a peu de chances de réussir à faire davantage. Le succès du plan Annan est loin d'être acquis. Il aurait fallu utiliser ces outils il y a un an, ou six mois auparavant. La situation est allée trop loin, beaucoup trop de sang a coulé et les parties n'ont aucune volonté de trouver un compromis. D'autant plus que les opposants ne disposent toujours pas d'une entité unie et consolidée pour négocier. La Russie doit comprendre la marche à suivre au cas où les violences reprendraient en Syrie. Le soutien du gouvernement syrien a un sens jusqu'à une certaine limite, après quoi la Russie devra probablement réfléchir à la meilleure manière de "vendre" son vote clé, décisif aux yeux des opposants syriens et de leurs alliés.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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