L’étrange affaire Navalny

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Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
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Le feuilleton autour d’Alexey Navalny, figure montante de l’opposition russe, a tenu les observateurs en haleine ces derniers jours.

Enregistré comme candidat à la mairie de Moscou le mercredi 17 juillet, condamné à cinq années de détention et placé sous mandat de dépôt le lendemain, remis en liberté sous contrôle judiciaire le vendredi 19 juillet à la suite d’un appel surprise du Parquet général, accueilli en héros à son arrivée dans la capitale russe vingt-quatre heures plus tard : le feuilleton autour d’Alexey Navalny, figure montante de l’opposition russe, a tenu les observateurs en haleine ces derniers jours.

Comment interpréter cette invraisemblable séquence ? Personne à Moscou ne croyant sérieusement à l’indépendance de la justice, les grilles de lecture sont avant tout politiques. Deux au moins retiennent l’attention. Selon la première, Navalny n’est qu’un pion dans un jeu beaucoup plus sérieux qui met aux prises non pas le régime et l’opposition, mais les différentes écuries en lice pour la succession de Dmitry Medvedev (sans doute à la fin de l’année), puis pour 2018 (l’élite ne croyant guère à un quatrième mandat de Vladimir Poutine). Légitimé par un scrutin libre et démocratique, le maire de la capitale, Sergueï Sobianine (ex-gouverneur de Tioumen, ancien chef de l’administration présidentielle et vice-Premier ministre) changerait de statut et prendrait une longueur d’avance. La condamnation et l’incarcération de Navalny auraient donc permis de faire d’une pierre deux coups : intimider l’opposition de rue et empêcher Sergueï Sobianine de renforcer ses positions. L’autre grille de lecture se focalise sur Alexandre Bastrykine. Cet ancien camarade de faculté de Vladimir Poutine à Leningrad a le vent en poupe ces derniers mois. A la tête du Comité aux investigations près le Parquet général, il a accumulé un pouvoir considérable, peut-être supérieur à celui du directeur du FSB, au sein des « structures de force ». Il est en première ligne dans le « serrage de vis » à l’œuvre contre l’opposition depuis le 6 mai 2012, mais aussi dans la campagne anti-corruption lancée par le pouvoir à partir de l’automne dernier. Alexandre Bastrykine aurait été victime, dans les heures ayant suivi l’annonce de la condamnation de Navalny, d’une vaste coalition incluant les « politiques » de l’administration présidentielle (notamment Viatcheslav Volodine), les libéraux autour de Dmitry Medvedev, ainsi que certains « silovikis » ayant de vieux comptes à régler avec le chef du Comité aux investigations (par exemple le procureur général, Iouri Tchaïka).

Quelles sont les conséquences, à ce stade, de l’affaire Navalny ? Les sondages montrent que l’opposant devrait recueillir environ 10% des voix aux élections municipales à Moscou qui doivent se tenir le 8 septembre et arriver en deuxième position derrière Sobianine. Le statut de Navalny au sein de l’opposition a changé : il peut vraisemblablement faire jeu égal avec Mikhaïl Prokhorov lors d’un futur scrutin présidentiel par exemple. Enfin, ce qui s’est passé ces derniers jours a dégradé plus encore l’image de la Russie en Occident. Que Navalny soit (provisoirement ?) sorti de prison n’y change rien. La « grande presse » européenne et américaine a pu une nouvelle fois marteler le message selon lequel la Russie était une dictature. La réalité est naturellement plus complexe, mais le Kremlin a – quelques mois après le procès des Pussy Riot et alors que l’affaire Gouriev est encore dans tous les esprits – donné encore une fois des arguments à ses ennemis.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

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