Inflation en Russie

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L’inflation est aujourd’hui un problème à la fois économique et politique en Russie. Le taux d’inflation, entraîné par la forte dépréciation du rouble de décembre a atteint 16,5% en mars et avril (sur un an).

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Il devrait cependant baisser dans les mois à venir, à la fois en raison de l'appréciation du rouble, et de l'épuisement des effets de l'inflation liée aux produits importés.

Notons à cet égard que compte tenu du pic de dépréciation qui avait atteint en décembre 2014 et janvier 2015 près de 77%, la hausse de l'inflation est restée modérée. Cela confirme l'observation, faite sur de nombreuses autres économies, qu'une dévaluation (ou une dépréciation) de la devise a incontestablement des effets inflationnistes (en lien avec le pourcentage de la consommation qui est importée) mais que ces effets sont en réalité inférieurs à la dépréciation de la monnaie. Ce qui, indirectement, confirme l'intérêt d'une dépréciation monétaire pour rétablir la compétitivité de l'économie.

La politique de la Banque Centrale

L'importance sociale et économique de l'inflation ne date cependant pas des derniers mois. En fait il en est ainsi depuis le début des années 1990. Après la crise financière d'août 1998, Il faut rappeler que ce pays avait, avant 2014, un taux d'inflation élevé (de 10% à 6,5%). Cette inflation était justement l'objet d'importantes controverses entre les économistes. La politique monétaire suivie par la Banque Centrale a changée entre 2009 et 2013. La décision de s'aligner sur ce qui est pratiqué dans les pays développés, soit une politique dite de « ciblage d'inflation », a été prise en 2009. Cette nouvelle politique est progressivement entrée en vigueur dans l'année 2013 et elle est devenue la règle au 1er janvier 2014.

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Aujourd'hui, on assiste à une dichotomie qui frise la schizophrénie entre la politique du gouvernement (qui met en place un ambitieux « plan anti-crise », et la politique de la Banque Centrale de Russie. L'absence de coordination entre les différents éléments de politique économique témoigne de la présence de courants opposés au sein du gouvernement et de l'administration. Il convient de regarder jusqu'à quel point cette imitation des pays développés était justifiée, car la politique de ciblage de l'inflation fait l'objet de critiques variées.

Ce type de politique est directement issue de ce que l'on appelle le « Nouveau Consensus Monétaire » qui a succédé au monétarisme « pur et dur » des années 1980. Dans le document publié en 2008, la Banque Centrale de Russie annonçait ainsi qu'elle:

« …entendait dans cette période d'achever, dans une large mesure, la transition a une politique de ciblage de l'inflation, soit une politique visant principalement à réduire le taux d'inflation » et, quelques lignes plus loin « le principale objectif de la politique monétaire pour les trois prochaines années sera de réduire progressivement l'inflation à un taux de 5%-6,8% en 2011 ».

Ceci constituait un changement relativement net de la politique monétaire, par rapport aux précédents textes où la contrôle de l'évolution du taux de change, mais aussi des objectifs affichés en termes de montants des agrégats monétaires étaient annoncés. Ceci est réaffirmé dans la version la plus récente des objectifs de la politique monétaire de la BCR: « A partir de 2015 la politique monétaire sera conduite sous le principe du ciblage d'inflation. La Banque de Russie influence les processus de prix avec un certain délai ce qui implique que les objectifs d'inflation doivent être établis pour le moyen terme. L'objectif de la politique monétaire est de descendre le taux d'inflation à 4% en 2017 et de se tenir proche de ce niveau ».

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La politique dite de « ciblage d'inflation » ne correspond donc pas à la stricte orthodoxie monétariste. Il ne s'agit pas d'objectifs exprimés en quantité de liquidité, ni d'un lien entre la masse monétaire et la production. L'abandon de cette stricte orthodoxie s'explique par son échec. Si l'on peut comprendre que la Banque Centrale de Russie ait ainsi abandonné l'orthodoxie monétariste, il n'est pas sûr qu'elle ait fait un bon choix en se ralliant au « Nouveau Consensus Monétaire ». Ce dernier est en effet l'objet de vigoureuses critiques. Pour la plupart, elles sont issues de la crise et de ses conséquences, que le NMC a été incapable de prévoir et par rapport auxquels il n'a été d'aucun secours. Par ailleurs, on a aussi beaucoup discuté sa prétendue efficacité dans la réduction des niveaux d'inflation pour les pays développés. Les importations de produits réalisés dans des économies où les coûts de production sont maintenus artificiellement bas peuvent tout aussi bien expliquer cette baisse de l'inflation que la politique monétaire.

Le dilemme de la politique monétaire

On sait que c'est justement l'inefficacité des objectifs quantitatifs de la politique monétaire qui a entraîné l'abandon des politiques purement monétaristes. Cependant, une politique dite de « ciblage d'inflation » implique une totale liberté vis-à-vis du taux de change, point sur lequel la Banque Centrale de Russie affichait toujours à l'époque la volonté de maintenir une forme résiduelle de surveillance. Elle n'a abandonné cette surveillance qu'en janvier 2014, avant d'être contrainte d'y revenir devant les événements de la fin de l'année 2014.

Depuis le deuxième semestre 2014, outre l'inflation habituelle, l'inflation est directement provoquée par la forte dépréciation du rouble. Cette dernière provoque naturellement le renchérissement des prix en roubles des produits importés. C'est ce qui explique l'importante poussée de l'inflation au premier trimestre 2015. Dans ce mécanisme, les prix des produits alimentaires ont joué un rôle majeur dans l'inflation. On peut d'ailleurs constater que, sauf en 2012, ce fut généralement le cas. Ce qui contribue à infirmer la thèse d'une inflation par excès de liquidités et indique que les prix alimentaires, qu'ils concernent des produits importés ou des productions locales, pèsent de manière importante sur les dynamiques d'inflation. Or, dans le secteur de la transformation agroalimentaire, le rôle de l'autofinancement pour le financement des investissements est tout à fait déterminant. Ceci confirme, à contrario, le fait que l'inflation est une ressource importante pour toute une catégorie d'entreprises, soit en raison de leur taille trop petite pour attirer des investissements extérieurs, soit en raison de la politique des banques qui se refusent à leur consentir des prêts à des taux acceptables.

Les prévisions quant au rythme de l'inflation, telles qu'elles viennent d'être publiées par la Banque Centrale, s'appuient pour l'essentiel sur des estimations du taux de change et de ses évolutions futures. La BCR s'attend à une forte baisse de l'inflation dès le 2ème semestre de 2015, se poursuivant en 2016.

Politique monétaire et politique économique

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Cette évolution est susceptible de poser des problèmes redoutables quant aux taux d'intérêts réels, et donc d'avoir un impact extrêmement négatif tant sur l'investissement que sur la consommation. Même si les taux d'intérêts réels sont aujourd'hui relativement faibles, il faudrait que la BCR anticipe sur l'évolution du taux d'inflation pour baisser ses taux, et surtout qu'elle s'assure que les banques commerciales répercutent bien ces baisses de taux à leurs clients. C'est bien, en apparence, que la BCR a fait en abaissant son taux directeur de 14% à 12,5% le 5 mai 2015. Mais on peut considérer d'une part que cela n'est pas suffisant, car le taux d'inflation va rapidement retomber vers les 10%, et par ailleurs, on ne voit aucune remise en cause de l'objectif visant à ramener l'inflation à 4% par an à l'horizon 2017. Dans la période actuelle la politique de la BCR, continue à se focaliser uniquement sur le taux d'inflation (« inflation targeting policy »). Ceci constitue très probablement une profonde erreur. Elle ne prend pas en compte l'impact des taux d'intérêts réels sur l'activité économique et ne traite pas la question pourtant fondamentale des circuits de financement. Assurément, un certain nombre de licences bancaires ont été révoquées, ce qui est une bonne chose. Mais aucune politique structurelle visant à organiser un marché interbancaire unifié n'a été prise. Que ce soit dans les instruments que la BCR entend utiliser (« La Banque de Russie assure l'atteinte des objectifs d'inflation principalement par la variation du prix de l'argent, c'est à dire par les taux d'intérêts. A travers ses opérations avec le secteur bancaire la Banque directement intervient seulement sur les taux les plus courts en cherchant à les maintenir proche du taux directeur») ou dans ses objectifs (« La Banque de Russie fixe ses taux de telle manière qu'elle puisse atteindre l'objectif d'inflation dans le moyen terme » ), on note une adhésion totale aux principes du « Nouveau Consensus » alors même que ses fondements ont été remis en cause.

La politique monétaire qui est aujourd'hui adoptée risque donc de favoriser, voire d'accélérer, une segmentation de l'économie en 2 secteurs, l'un se finançant essentiellement « hors marché » et donc largement dépendant des subventions de l'Etat et l'autre directement exposé aux fluctuations de la politique monétaire, avec des taux d'intérêt réel qui seront appelés à rester élevé. Cette segmentation de l'économie en deux secteurs n'est pas sans rappeler le modèle soviétique « classique », voire la situation que l'on avait en Russie dans les années précédant la guerre de 1914-1918.

Une telle situation n'est pas saine à long terme, même si elle permet d'amortir en partie les chocs conjoncturels. La croissance économique de la Russie implique aujourd'hui un changement de politique monétaire mais surtout l'intégration de cette dernière au sein de la politique économique globale suivie par le pays car l'inflation, dont personne ne doute qu'elle constitue bien un problème, traduit aussi le développement imparfait et inégal de l'économie russe.

 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


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Idem, p.4.

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