Le coût d’une Europe fédérale

© Flickr / Hernán PiñeraEuro
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Les déclarations d'Emmanuel Macron sur l'avenir de la zone euro et en faveur d'une forme d'organisation fédérale de cette même zone euro, déclarations qu'il a faites dans le journal allemand le Süddeutsche Zeitung, ont été largement commentées(1). L'option fédérale est fréquemment présentée comme la seule permettant une survie de l'euro(2). En fait, la question des transferts budgétaires a déjà été largement discutée quant à la viabilité de la zone euro(3), et elle est au centre de la problématique de la monnaie unique(4). Si le fédéralisme implique naturellement des institutions politiques, il implique aussi des transferts budgétaires entre pays membres de cette « fédération », tout comme ces transferts existent de fait entre les régions d'un même pays(5). C'est la question du « fédéralisme budgétaire », qui est bien connue en Russie. Ces transferts permettent l'existence d'une monnaie nationale alors que le niveau d'activité, et les structures économiques peuvent être très différents entre les régions.

Les transferts qui existent actuellement
Des transferts existent déjà entre les pays de l'Union européenne. Si l'on regarde la situation de l'UE en 2011, et l'on sait que le budget européen a depuis été plafonné, on constate cependant que ces transferts sont relativement faibles. En effet la contribution au budget est limitée à 1,23% du PIB.

Tableau 1

Contribution par État au budget 2011 de l’Union européenne

État membre

Contribution en milliards d’euros

Part totale dans les contributions

 Allemagne

21,190

19,56%

 France

19,076

17,60%

 Italie

14,518

13,40%

 Royaume-Uni

12,918

11,92%

 Espagne

9,626

8,89%

 Pays-Bas

4,268

3,94%

 Pologne

3,502

3,23%

 Belgique

3,343

3,09%

 Suède

2,68

2,47%

 Autriche

2,505

2,31%

 Grèce

2,183

2,02%

 Finlande

1,707

1,58%

 Portugal

1,553

1,43%

 République tchèque

1,318

1,22%

 Danemark

1,318

1,22%

 Irlande

1,264

1,17%

 Roumanie

1,17

1,08%

 Hongrie

0,923

0,85%

 Slovaquie

0,631

0,58%

 Slovénie

0,338

0,30%

 Bulgarie

0,329

0,30%

 Luxembourg

0,278

0,20%

 Lituanie

0,259

0,20%

 Chypre

0,165

0,10%

 Lettonie

0,157

0,10%

 Estonie

0,13

0,10%

 Malte

0,055

0,05%

 Union européenne

108,328

100%

 

Le siège de la Banque centrale européenne (BCE), à Francfort - Sputnik Afrique
Macron: la zone euro doit changer ou mourir
Mais, il ne s'agit ici que des chiffres bruts. Chaque pays reçoit de l'argent de ce budget européen. Le chiffre net de ces transferts est un chiffre différent. Il s'établit comme la différence entre les contributions et les subventions européennes. Il convient donc de calculer ces transferts nets au niveau de l'Union européenne car ce sont les transferts nets qui comptent réellement.

Tableau 2

Etat des transferts « nets » selon la méthode dite « de la contribution britannique »

État membre

 

 Allemagne

-15,2

 Royaume-Uni

-9,3

 France

-5,4

 Italie

-4,4

 Pays-Bas

-2,9

 Suède

-2,4

 Autriche

-1,6

 Danemark

-1,4

 Finlande

-0,7

 Chypre

0

Croatie

0

 Malte

0,1

 Irlande

0,2

 Slovénie

0,4

 Lituanie

0,8

 Estonie

0,8

 Slovaquie

1,3

 Luxembourg

1,3

 Bulgarie

1,5

 Lettonie

1,5

 Espagne

2,6

 Belgique

3

 République tchèque

3,3

 Roumanie

4,1

 Portugal

4,4

 Hongrie

4,9

 Grèce

5,3

 Pologne

12

 

Si l'on met de côté le cas du Luxembourg et de la Belgique, qui reçoivent une aide nette liée au fonctionnement des institutions européennes situées sur leur territoire, les pays « receveurs » obtiennent par an 43 milliards d'euros. Ce sont les transferts « nets ». On constate immédiatement le niveau très faible de ces transferts. Ils représentent environ 0,5% du PIB des pays de l'Union européenne, alors que l'on considère qu'un flux de transfert de 5% à 7% est l'absolu minimum permettant à un pays de fonctionner comme une entité économique et monétaire unique.

Les trois types de transferts nécessaires au bon fonctionnement de l'Euro
Il faut maintenant calculer les transferts qu'impliquerait un fédéralisme « réel » à l'échelle de la zone Euro. Ces transferts de la zone Euro incluent les dépenses censées équilibrer les différentes dépenses d'investissement dans les pays du « Sud » de l'a zone Euro par rapport à l'Allemagne. Ces transferts, il faut le signaler, ne portent QUE sur quatre pays (Grèce, Portugal, Espagne et Italie), et ils n'incluent pas les aides communautaires déjà existantes.
Si l'on fait la somme de ces dépenses, qui devront être financées par des transferts budgétaires en provenance des pays du « nord » de la zone Euro, on aboutit au total suivant, dont on rappel qu'il est annuel et calculé sur la base d'un rattrapage en 10 ans des écarts de ces différents pays:

 

Contribution en % du PIB pour récupérer le retard en R&D

Contribution en % du PIB pour récupérer le retard en éducation

Contribution en % du PIB pour relancer la demande

Total (en % du PIB de chaque pays)

PIB 2011 pour chaque pays en Mds Euros

Montant de l’aide annuelle en Mds d’euros en cas de transferts fédéraux

3,16%

2,00%

3,00%

8,16%

1063,36

86,76

3,28%

2,00%

2,50%

7,78%

1580,22

122,99

3,11%

3,00%

4,00%

10,11%

170,93

17,27

4,77%

3,50%

6,00%

14,27%

215,09

30,69

 

Le total se monte donc à 257,71 milliards d'euros par an aux prix de 2011. C'est une estimation minimale. En effet, il conviendrait aussi d'inclure dans ces transferts une partie des assurances chômages, de la même manière que dans un pays (comme la France) les chômeurs du Nord et du Pas-de-Calais sont pris en charge par des contributions provenant de régions plus riches, comme la Région Parisienne. Le total réel de ces transferts (sur les 4 payes considérés) est donc plus probablement de l'ordre de 280 à 300 milliards d'euros.

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L’impossibilité d’un fédéralisme européen
Ce total n'est pas le total de tous les transferts (d'autres pays ont des besoins). Si l'on ajoute les transferts que ces pays (dont en partie la France) pourraient revendiquer on passe à des montants de l'ordre de 310 à 350 milliards d'euros selon les hypothèses retenues. Tel est l'ordre de grandeur des transferts NETS, et l'on constate qu'il est très supérieur aux transferts nets existant jusqu'à maintenant. Ce montant équivaudrait à 4% du PIB des pays de la zone Euro, c'est à dire à la limite basse de ce qui est historiquement nécessaire pour maintenir une monnaie sur un espace territorial donné.

Faisabilité politique
Ces montants n'incluent donc pas la contribution communautaire (qui est un coût net pour des pays comme l'Allemagne et la France), mais il couvre les besoins nécessaires pour que puisse survivre la zone Euro hors les besoins financiers immédiats, qui impliquent déjà une contribution non négligeable de l'Allemagne et de la France.
Quels en seraient les contributeurs?
La France ne pourrait pas apporter sa contribution, car elle devrait elle aussi financer un effort de rattrapage, de l'ordre de 1,5 % à 2 % de son PIB. Il n'est d'ailleurs pas exclu que cet effort repose aussi sur des flux de transferts. Le financement des transferts reposerait donc sur l'Allemagne, la Finlande, l'Autriche et les Pays-Bas. On peut donc penser que l'Allemagne supporterait entre 80% et 90% du financement de la somme de ces transferts nets, soit entre 248 et 315 milliards d'euros par an (équivalent à un total de 2480 à 3150 milliards sur dix ans). Dans l'hypothèse la plus modeste (248 milliards) cela représenterait 9% de son PIB. Dans l'hypothèse la plus étendue (315 milliards) on atteindrait 12% du PIB allemand. D'autres estimations donnent des niveaux encore plus élevés, atteignent même 12,7% du PIB(6). On peut considérer que l'estimation présentée dans cette note, avec un écarte de 9% à 12%, est la plus réaliste actuellement. Elle n'en reste pas moins à un niveau impossible à financer pour l'Allemagne, même dans sa version la plus minimale (9%), que celle-ci en ait ou non la volonté. Dès lors, on peut comprendre la stratégie de Mme Merkel(7)  qui cherche à obtenir un droit de contrôle sur les budgets des autres pays mais qui se refuse à envisager une « union de transferts » qui serait cependant la forme logique que prendrait une structure fédérale pour la zone Euro.

Il convient donc de tirer toutes les conséquences de ceci: le fédéralisme est peut-être souhaitable, mais il n'est pas possible et il est donc sans objet de disserter sur le fait de savoir s'il serait une bonne ou une mauvaise solution. Il ne reste donc que deux possibilités: soit l'appauvrissement rapide des pays du « sud » de la zone Euro qui pourrait bien aboutir à une remise en cause de l'Union Européenne elle-même du fait des tensions provoquées entre les pays, soit la dissolution de la zone euro pour permettre les réajustements nécessaires sans recourir à des transferts massifs.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


(1) Le plaidoyer de Macron pour un "gouvernement de la zone euro" in Le Point, le 31 août 2015, http://www.lepoint.fr/economie/le-plaidoyer-de-macron-pour-un-gouvernement-de-la-zone-euro-31-08-2015-1960710_28.php
(2) Michel Aglietta, Zone Euro: éclatement ou fédération, Michalon, Paris, 2012
(3) Patrick Artus, Trois possibilités seulement pour la zone euro, NATIXIS, Flash-Économie, n°729, 25 octobre 2012.
(4) Sapir J., Faut-il Sortir de l'Euro?, Paris, le Seuil, 2012.
(5) Sapir J., "Le coût du fédéralisme dans la zone Euro", billet publié sur le carnet Russeurope le 10/11/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/453

(6) Patrick Artus, « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l'Allemagne: rester compétitive au niveau mondial? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012

(7) Déclaration faites par Mme Merkel le 7 novembre 2012, les Echos, URL: http://bourse.lesechos.fr/infos-conseils-boursiers/actus-des-marches/infos-marches/merkel-veut-des-mesures-ambitieuses-pour-la-zone-euro-82425

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