Présidentielle au Bénin: coup porté au système néocolonial?

© AFP 2023 Pius Utomi EkpeiUn fonctionnaire de la Commission électorale nationale (CENA)
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L’élection présidentielle au Bénin vient de s’achever. Le second tour a été remporté par Patrice Talon, important homme d’affaires, avec 65,39% des voix. En seconde position arrive son principal concurrent, Lionel Zinsou, avec 34,61% des suffrages exprimés.

Patrice Talon, le nouveau président du Bénin est en outre le « roi du coton », importante filière du pays qu'il contrôle. Il est également l'homme le plus riche du Bénin et 15ème plus riche personnalité d'Afrique francophone subsaharienne (données de 2015 du magazine Forbes Afrique). Sa fortune est estimée à 400 millions de dollars.

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Son adversaire Lionel Zinsou, actuel Premier ministre (nommé en juin 2015 par l'actuel président sortant Boni Yayi), est quant à lui un économiste de père béninois et de mère française, ayant passé la plus grande partie de sa vie en France et fait carrière comme banquier d'affaires. Il était en outre un proche de Laurent Fabius, dont il était rédacteur des discours. Il est également animateur du club Fraternité, cercle de réflexion du même Fabius. Lionel Zinsou a aussi travaillé au sein de la banque d'affaires Rothschild & Cie en qualité d'associé-gérant.

Un homme d'affaires donc formé au Sénégal et ayant fait fortune au pays natal contre un économiste franco-béninois, né à Paris et considéré par beaucoup plus Français que Béninois. Mais la question principale n'est même pas là. Ce qui a en effet choqué nombre de citoyens du Bénin et plus généralement d'Africains, c'est la découverte d'une vidéo d'un discours de Lionel Zinsou en marge d'un séminaire en France de l'Union pour un mouvement populaire (« Les valeurs et la mondialisation », daté du 21 mai 2011):

Discours où il affirme clairement que « l'Afrique appartient à l'Europe » et pas d'une voix critique comme on pourrait le penser mais au contraire présentant cela comme un « atout énorme » pour l'Europe.

Plus que cela il rajoute que « les présidents français ont un don: celui de donner à penser aux Africains » et à son avis il faut continuer « que la France est toujours le porte-parole et le défenseur de l'Afrique »… Fin de la citation. Evidemment il est à penser que ce genre d'interventions est inacceptable, surtout pour quelqu'un qui ne prétendrai pas être un agent du néocolonialisme occidental mais bien un candidat à la présidentielle d'un Etat africain (indépendant et souverain, ne serait-ce qu'officiellement).

Pour dire vrai je n'ai véritablement découvert ce personnage qu'après avoir entendu les commentaires de révoltes de nombre d'amis Béninois et plus généralement Africains, à Moscou comme ailleurs. Et d'après ce que j'ai pu entendre, je dirai ceci (bien que je le savais déjà): non l'Afrique n'est pas raciste. La grande majorité des Africains sont ouverts et tolérants. Et ne se seraient jamais opposé à ce qu'un candidat de mère blanche puisse devenir président de leur pays. Mais lorsque ce candidat défend clairement et ouvertement les intérêts non pas du pays dont il vise la présidence, mais bien de l'ex-puissance coloniale, et des intérêts néocolonialistes occidentaux en général, il ne peut évidemment pas prétendre à en être le chef d'Etat (encore faut-il le rappeler qu'il est l'actuel Premier ministre).

De toute façon l'avenir de l'Afrique appartient aux Africains. Oui, il y a des partenaires. Certains opteront pour l'option des anciens et nouveaux colons (les mêmes) ou s'orienteront vers les BRICS, comme c'est déjà en train d'être le cas dans nombreux pays africains. Mais là encore la question n'est pas là. La véritable question c'est est-ce que les Africains, notamment de certains pays d'Afrique francophone, vont accepter qu'ils soient dirigés par des émissaires de procuration extra-africaine? Il est à penser que non. L'avenir nous le dira.

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Pour revenir au cas concret du Bénin et pour nous en tant qu'observateurs, le choix du second tour est probablement à saluer. Les Béninois ont dit non à celui qui symbolise le néocolonialisme non-voilé. L'Afrique doit tourner la page des agents néocoloniaux, les mêmes ayant assassiné Patrice Lumumba au Congo, Thomas Sankara au Burkina Faso ou qui ont activement collaboré avec le régime raciste d'apartheid en Afrique du Sud, en tuant (toujours par procuration) leurs propres frères pour le compte des occupants. Il ne faut pas pour autant croire que le Bénin soit désormais à l'abri de ce néocolonialisme, notamment du système de la Françafrique. Malheureusement loin de là.

En tout cas, le pire a été probablement évité et la Françafrique a peut-être pris un coup dans ce qu'elle continue de considérer comme son « pré-carré ». Mais la bataille contre le néocolonialisme est encore loin d'être gagnée. Pour le Bénin comme pour beaucoup de pays encore de ce beau continent qu'est l'Afrique.

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