Ce livre est en train de provoquer un scandale sans précédent, non seulement car il fait exploser l'image consensuel d'un président qui se voulait « normal », non seulement parce qu'il décrit en termes crus le mépris de classe que François Hollande éprouve pour de nombreux Français, confirmant ainsi sa déclaration sur les « sans dents », mais enfin parce qu'il porte une atteinte grave à la fonction même de président de la République. Les attaques contre la magistrature de la part du premier d'entre eux ont suscité une réaction indignée des plus hauts magistrats de France.
Un narcissisme obsessionnel
Il est aussi hautement révélateur qu'un président qui a, sur le fond, renoncé à la souveraineté nationale et donc à gouverner, et ceci dès son arrivée au pouvoir puisqu'il fit voter le TSCG en octobre 2012, se préoccupe avant tout de ce que l'on va dire, ayant donc abdiqué en réalité le pouvoir de faire. Il y a un lien profond qui unit l'abandon de la souveraineté à ces comportements qu'il faut bien ici qualifier de pathologiques. Vincent Tremolet de Villers, sur FigaroVox, fait alors l'analyse suivante: « Tout se passe comme si la fonction politique imposait un devoir de réserve devant la réalité. Ça fait partie du job. Alors on biaise, on contourne, on ment » (4). En réalité, c'est la fonction politique quand elle s'exerce hors de toute souveraineté, et dans un État déliquescent, qui impose ce déni de réalité systématique.
Mais, si le déni est théorisé, et de multiples exemples l'attestent, le mépris de classe s'impose. Il faut voir comment, à propos des joueurs de football, François Hollande, qui prétend aimer ce sport (ce qui n'est pas mon cas) parle, quand il en appelle à une « musculation du cerveau » (5). Ce faisant, il confond — et c'est justement là la marque certaine du mépris de classe — la culture, que clairement certains joueurs n'ont pas, et l'intelligence. Car, penser que n'importe quel sport collectif, que ce soit la football ou le rugby, le handball ou le basketball, on puisse être un très bon joueur simplement parce que l'on a des capacités physiques, et une technique, hors du commun, est une immense erreur. Tous les sports demandent une intelligence particulière, qu'ils soient individuels ou collectifs. Mais, les sports collectifs, et justement parce qu'ils sont collectifs, et de manière proportionnelle à la taille du terrain sur lequel ils sont pratiqués, impliquent des combinaisons tactiques multiples qui peuvent changer d'un moment à l'autre, et qu'il faut choisir en quelques fractions de seconde. Il a été montré à de nombreuses reprises que ces combinaisons tactiques s'apparentaient à celles des petites unités (groupe de combat ou section) militaires. Il faut donc avoir ce que l'on appelle « l'intelligence du jeu », et cette « intelligence » mobilise les mêmes mécanismes que l'intelligence. Dit autrement, on ne peut pas être Henry, Zidane, Pogba ou Griezmann, et être con!
Bien sûr, il ne serait que trop facile de pointer les erreurs de comportement, les cafouillages d'expressions, les attitudes parfois scandaleuses et parfois tout simplement contraires à la loi de certains, le langage même, de certains joueurs. Mais, cela relève justement de la culture et non de l'intelligence, de la culture que l'on apprend à la fois dans sa famille (d'où la notion de capital culturel développée par le grand sociologue Pierre Bourdieu (6) et en fréquentant l'école, le lycée, Science Po, HEC et l'ENA, bref ce qui a été le parcours de François Hollande, même si sur ce point on peut considérer qu'il en a moins acquis que ce qu'il aurait dû et que ses lacunes sont parfois flagrantes. L'intelligence, elle, renvoie à la capacité d'innover, de s'adapter, d'analyser une situation et de ne pas répéter les erreurs passées. On peut donc être intelligent et manquer de culture, tout comme l'on peut être éduqué et cultivé et ne pas être intelligent.
(1) Davet G. et Lhomme F., Un président ça ne devrait pas dire ça, Paris, Stock, 2016.
(2) Lancelin A., Le Monde libre, Paris, Les Liens qui libèrent, 2016.
(3) Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Éditions Michalon, 2016.
(5) La citation exacte est: « La Fédération, ce n'est pas tellement des entraînements qu'elle devrait organiser, ce sont des formations. C'est de la musculation du cerveau ».
(6) Bourdieu P., La Distinction: Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
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