État d’urgence prolongé jusqu’à la présidentielle en France? L’inquiétude grandit

© AFP 2023 Kenzo Tribouillardl’état d’urgence
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Manuel Valls annonce qu’il va probablement prolonger une quatrième fois l’état d’urgence, pour « protéger la démocratie ». Mais au-delà de l’efficacité discutée de la mesure, son application en pleine campagne électorale suscite des interrogations. Tour d’horizon.

L'état d'urgence serait certainement prorogé une nouvelle fois au mois de janvier. C'est Manuel Valls en personne qui l'a annoncé dans un entretien à la chaîne britannique BBC, par ces mots :

« Nous allons débuter la campagne présidentielle dans quelques semaines avec des meetings, des réunions publiques. Donc il faut aussi protéger notre démocratie. »

Alors que l'efficacité de l'état d'urgence fait déjà polémique, le prolonger dans le contexte particulier des élections présidentielles pourrait rajouter de l'huile sur le feu.

Pour l'eurodéputé EELV Pascal Durand, proroger l'état d'urgence n'est pas une bonne nouvelle, surtout au regard de l'efficacité du dispositif:

« On voit bien que les services de police n'arrivent plus à suivre, on utilise des militaires qui sont là, dans les rues, ils ne savent pas à quoi ils servent et nous non plus, tout cela n'est pas très pensé, on a l'impression qu'on est vraiment en train de gérer au jour le jour, ce n'est pas rassurant ».

Des doutes que partage François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) :

Valls: l'état d'urgence sera prolongé - Sputnik Afrique
Valls: l'état d'urgence sera prolongé
« Sur le plan de l'efficacité, cela n'a pas empêché l'attentat de Nice par exemple […], destinée à rassurer la population. C'est quelque chose qui a des conséquences, au niveau du tourisme par exemple, des tas d'agences qui ne veulent pas envoyer des clients dans un pays qui se dit lui-même dans un état de grand danger. »

Comme le souligne notre expert, au-delà de « rassurer la population » à grand renfort de mesures exceptionnelles, l'état d'urgence n'a malheureusement pas permis d'éviter des drames, tout particulièrement au cours de l'été:​

« Cela a donné lieu à beaucoup de perquisitions par exemple, d'assignations à résidence. Cela n'empêche pas les attentats, en particulier de gens qui ont été repérés. Je vous rappelle que parmi les deux jeunes gens qui ont égorgé un prêtre dans une église, il y en avait un qui non seulement était assigné à résidence, mais avait un bracelet électronique censé permettre à la police de savoir tout le temps où vous êtes. Le problème c'est que même si la police sait où vous êtes, si vous êtes décidé à tuer quelqu'un, cela n'a pas d'importance. »

François-Bernard Huyghe souligne que, au-delà de cet impact discutable sur le terrorisme, l'efficacité de l'important dispositif sécuritaire n'aurait pas eu, à sa connaissance, un grand impact sur la criminalité de droit commun. Il se pose également la question concernant les milliers de Français radicalisés, partis ou non combattre en Syrie, un « problème quantitatif » auquel fait face le pays :

« Aucune force de police, en tout cas dans un état démocratique, ne pourrait contrôler autant de gens, les empêcher de nuire. »

François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS - Sputnik Afrique
Un état d’urgence qui est en train de devenir une sorte d’état permanent
Autre point, l'interprétation de l'état d'urgence et de sa mise en application. Que penser d'un pays sous état d'urgence où autant de manifestations ont lieu, y compris celles des forces de l'ordre ?:

« Ce n'est pas une très bonne chose dans une démocratie, si les gens en charge d'assurer l'ordre démocratique ne se sentent pas capables de le faire ou ont un moral en chute libre. »

Efficacité douteuse, police en berne et… recul des libertés ? C'est en tout cas le point de vue de Gaëtan Dussausaye. Pour le directeur du Front national de la Jeunesse (FNJ), la décision de François Hollande de mettre en place l'état d'urgence au lendemain des attentats n'a été « d'aucune utilité »:​

« Les mosquées salafistes sont toujours en activité, les imams radicaux continuent de prêcher la haine sur notre territoire en toute impunité. En réalité, on se rend compte que ça n'a servi strictement à rien, si ce n'est finalement à mettre en œuvre un véritable recul des libertés individuelles et démocratiques dans notre pays. »

Par cette décision, probable, l'état d'urgence en France verrait sa durée portée à 19 mois depuis son entrée en vigueur par décret le 14 novembre dernier. Une situation exceptionnelle qui n'a justement plus grand-chose d'exceptionnel pour l'eurodéputé EELV Pascal Durand.
Bien qu'il ne remette pas en cause le traumatisme des Français suite aux attaques terroristes de cette année, il s'interroge sur la légitimité de l'état d'urgence :

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Nice: la propriétaire d'un hôtel cinq étoiles kidnappée par des inconnus
« Ce que je ne voudrais pas pour autant, c'est que le gouvernement se retranche derrière un état d'urgence pour ne pas prendre la mesure de l'enjeu, qui nécessite un travail extrêmement long, un travail de fond. Un travail de suivi, sur les données que l'on recueille, on s'est aperçu qu'un grand nombre de terroristes étaient fichés, étaient connus, simplement ils ne pouvaient pas être régulièrement suivis. Il y a là des manques, essentiellement en moyens humains, donc budgétaires. »

Pour Gérald Arboit, directeur de recherche au sein du Centre français de recherches sur le renseignement (CF2R), le danger terroriste s'est atténué et la mémoire que l'on entretient des attentats n'est certainement pas étrangère au maintien d'un certain niveau de crainte:​

« On est dans ce climat qui est entretenu par une espèce de souvenir et une crainte de ce qui pourrait arriver, ainsi qu'un grand silence des politiques puisque personne n'en parle. Donc cela accroît l'insécurité. Une insécurité qui est plus dans les esprits que dans la réalité, car après les attentats de Bruxelles, toute la cellule logistique des vrais terroristes de "Daech" a été démantelée, ceux qui n'ont pas été arrêtés sont seuls dans la nature […] donc on a une baisse des capacités opérationnelles des terroristes. »

Gérald Arboit relève que « nous n'avons plus d'attentat depuis cet été », un phénomène renforcé par les revers que subit l'organisation terroriste au Levant. Néanmoins, si celle-ci est privée de moyens financiers et humains, nous avons à nos dépens constaté qu'il fallait peu de choses aux terroristes pour mener à bien leur sale besogne.

Comme le souligne François-Bernard Huyghe:

« Cet état d'urgence a été un succès politique pour le gouvernement, puisque même l'opposition a été obligée de le voter, de le prolonger une première puis une deuxième fois, tant est si bien qu'on va très vraisemblablement arriver jusqu'à l'élection présidentielle en étant en état d'urgence. »

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La France se recueille à la mémoire des victimes de l’attentat du 14 juillet
Bref, l'exceptionnel tend à devenir permanent. Ce qui pourrait devenir gênant dans le contexte des élections présidentielles. L'état d'urgence peut-il interférer avec les présidentielles ? Pas vraiment de quoi s'inquiéter, dans l'immédiat du moins, pour Pascal Durand :

« On n'est pas tombé dans une dictature… je me méfie des grands mots, j'entends souvent parler de loi liberticide, etc. Non, c'est plus insidieux, c'est-à-dire que petit à petit on considère comme normal que tout le monde soit fiché, soumis à des contrôles permanents, sous surveillance : on rentre dans une société de moins en moins libre, démocratique […] Ce n'est pas non plus en l'état la fin du monde, mais je pense que ce n'est pas bon, on est dans une situation de fuite en avant sans prendre les mesures qu'on devrait prendre sur le moyen et le long terme ».

À méditer cependant, en octobre 2015, dans l'optique des élections régionales, le Premier ministre affirmait que « tout » devait être fait pour empêcher la victoire du FN dans une région. Tout ? S'il ne fait pas de lien entre les deux déclarations, Gaëtan Dussausaye estime que cela « laisse planer un doute » sur le bon déroulement de la campagne. Il tient à souligner que l'état d'urgence est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des candidats aux présidentielles, mais aussi aux législatives :

« Il faut savoir qu'un grand nombre de candidats ont cette tradition de faire des meetings de rue, de mettre en œuvre des rassemblements, des manifestations. Malheureusement, dans un contexte d'état d'urgence, on est absolument en droit d'imaginer que le gouvernement par le biais des préfectures pourrait refuser le déroulé de ces meetings de rue, de ces manifestations et ainsi perturber un peu le bon déroulé de la campagne de plusieurs candidats même en dehors du FN […] ça ne laisse rien présager de bon pour le bon déroulement démocratique de cette campagne. »

Face à une campagne qui s'annonce difficile pour lui, le pouvoir résistera-t-il à cette tentation ? On ne peut que le souhaiter.

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