Turquie: les menaces de l’UE n’impressionnent pas

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Pourquoi l’Europe dans sa version bruxelloise rappelle l’héroïne de l’œuvre Le Revizor de l’écrivain russe Nicolas Gogol, qui s’était fouettée soi-même ? Car elle n’est toujours pas en capacité d’analyser ses propres erreurs et de faire les bonnes conclusions.

Au contraire et au vu de la rhétorique toujours en vigueur, la situation pour l'UE ne peut que s'empirer.

A fighter from the Kurdish People Protection Unit (YPG) poses for a photo at sunset in the Syrian town of Ain Issi, some 50 kilometres north of Raqqa, the self-proclaimed capital of the Islamic State (IS) group during clashes between IS group jihadists and YPG fighters on July 10, 2015 - Sputnik Afrique
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Dans un article récent du journaliste allemand Jürgen Gottschlich pour le quotidien berlinois Die Tageszeitung, l'auteur parle du fait que l'Union européenne devrait suivre l'exemple russe (lorsque la Russie a adopté des mesures de rétorsion après que le bombardier russe Su-24 ait été abattu dans le ciel syrien par un chasseur turc, en novembre de l'année dernière) à l'encontre de la Turquie. Tout en sachant que l'auteur allemand n'est aucunement un sympathisant de la Russie, tout au contraire. Comme l'un des arguments il avance le fait que c'est le seul langage que comprend le président turc Erdogan et que c'est la raison pour laquelle la Turquie après une demi-année de relations fortement difficiles avec la Russie, a tout fait pour ensuite les normaliser. Toujours selon lui, Bruxelles devrait adopter la même « fermeté » envers la Turquie pour la forcer à être plus conciliante, en indiquant par ailleurs que la « Turquie dépend plus économiquement de l'UE que de la Russie ». Le reste de l'article garde le même style habituel des journalistes du mainstream occidental, à savoir des leçons de « démocratie » habituelles, une habitude que les élites occidentales ne sont toujours pas prêts à oublier comme méfait du passé, y compris même aujourd'hui — face aux nouvelles réalités du monde multipolaire.
Maintenant il serait intéressant de répondre à cet article car je dois avouer que cette arrogance occidentale bien connue a reconfirmé une fois encore une chose évidente : l'Occident politico-médiatique se croit toujours en capacité de donner des leçons au monde entier, particulièrement aux peuples non-occidentaux qu'il considère clairement inférieurs. Cette approche est la même que ce soit envers la Russie, la Chine, la Syrie, l'Iran, la Turquie, les pays d'Afrique ou d'Amérique latine. Absolument la même. Et mêmes les humiliations subies plusieurs fois ces temps-ci semblent ne pas stopper nos « braves bien-pensants » occidentaux.

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Donc répondons-y. Tout d'abord et dans le cas des relations russo-turques, la Russie n'était nullement intéressée par des mesures de rétorsion à l'encontre de la Turquie. Cette dernière étant un partenaire stratégique au niveau des relations économico-commerciales, surtout au vu de la dynamique observée depuis les 5-10 dernières années. Mais la Russie n'avait tout simplement pas le choix car ce qui est arrivé en novembre 2015 dans le ciel syrien était réellement considéré comme un coup de poignard dans le dos. Et vu que la Turquie n'a pas voulu au départ de cette situation fortement désagréable adopter l'approche qui aurait pu éviter de geler ou limiter plusieurs secteurs du partenariat bilatéral, la Russie avait alors adopté une série de mesures de rétorsion. Une demi-année a passé. Le leadership turc a présenté les excuses officielles et faut le dire a tout fait pour que cette normalisation ait lieu. Une normalisation que la Russie souhaitait aussi. Depuis les deux pays reparlent partenariat stratégique et tout semble suivre le cours logique des choses. Dans le cas de l'UE, elle n'a aucune raison digne de ce nom pour sanctionner la Turquie, si ce n'est le désir toujours aussi ardent de donner des leçons de vie aux autres.

Deuxièmement pour répondre au fait que la Turquie dépendrait économiquement parlant soi-disant plus de l'UE que de la Russie. Tout d'abord et dans le cas des relations turco-russes, il ne s'agit pas de dépendance : ce sont des relations véritablement issues du concept gagnant-gagnant. Et les représentants du leadership turc ont raison de rappeler que les deux pays se complètent parfaitement. Maintenant parlons de la prétendue « dépendance turque » vis-à-vis de l'UE, et de notamment de l'Allemagne, pays de citoyenneté de l'auteur dudit article. Si l'Allemagne est effectivement la première destination des exportations turques qui s'élèvent à plus de 12 milliards de dollars, néanmoins l'Allemagne exporte en Turquie pour plus de 19 milliards. Par ailleurs et si on regarde le TOP 6 des principales destinations de l'export turc, on retrouve en plus de l'Allemagne l'Irak, l'Iran, le Royaume-Uni, les Emirats arabes unis et la Russie. Sur les 6 pays donc de ce classement, seuls 2 sont ouest-européens. Plus généralement il est admis que les trois principaux partenaires économiques de la Turquie sont l'Allemagne, la Russie et l'Iran. S'ajoute à cela la Chine qui est aujourd'hui également un partenaire économique de premier choix.

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Quant aux importations qui arrivent en Turquie, c'est sûr que les pays de l'UE ne devraient pas se plaindre puisque en plus de l'Allemagne citée plus haut, des pays comme l'Italie ou la France en profitent bien eux aussi. Il faut à ce titre savoir que la Turquie est le 5ème plus grand marché d'exportation pour l'Union européenne et 6ème client hors UE des exportations françaises. A se demander alors qui gagneraient et qui perdraient le plus en cas de sanctions.

Par ailleurs, l'auteur allemand oublie également d'indiquer que depuis la signature à Istanbul le 10 octobre dernier de l'accord russo-turc sur le projet de gazoduc TurkStream allant de la Russie à la Turquie à travers la mer Noire, les deux pays sont passés alors à un niveau encore plus important de leur partenariat bilatéral. Ce projet renforce non seulement le rôle déjà très important de la Russie sur le marché gazier mais également celui de la Turquie. Et l'UE, grande consommatrice de gaz, ne peut se permettre de ne pas en tenir compte. Ajoutez à cela le fait que le marché russe est le plus important pour les entreprises turques du BTP, autre secteur fortement important pour l'économie de la Turquie. Tout comme le principal marché étranger d'écoulement des fruits et légumes frais, autre orientation commerciale turque importante. Et l'un des plus importants dans le domaine du textile et du prêt-à-porter. Enfin la Turquie qui est de loin la première destination de vacances à l'étranger pour les touristes russes. Des touristes russes qui sont deuxièmes en termes de nombre (de très peu derrière les Allemands) mais 3 fois plus dépensiers que les mêmes Allemands, faisant donc de la Russie de loin le marché touristique émetteur prioritaire pour la Turquie. Sans oublier que les leaders des deux pays se sont fixés l'objectif d'atteindre 100 milliards de dollars d'échanges d'ici 2020. Tout cela pour dire que le journaliste allemand peut clairement revoir son enthousiasme à la baisse : le partenariat économique de la Turquie avec la Russie, et plus généralement avec l'espace eurasiatique, est sur beaucoup de points plus important pour la première que ses relations avec l'UE.

Et même si en perspective l'Europe bruxelloise allait à imposer des sanctions économiques à la Turquie, l'UE serait la première à en payer les frais. Vraisemblablement la leçon des contre-sanctions russes n'a rien appris aux donneurs de leçons occidentaux. Soyons clairs : si l'UE imposait des sanctions contre la Turquie (7ème puissance économique européenne et 1ère du Moyen-Orient), c'est en premier lieu tout le business ouest-européen présent en Turquie (un marché de plus de 75 millions de consommateurs) qui criera sa révolte, comme ce fut le cas (et l'est toujours) en Russie. D'autre part, la Turquie pourra prendre exemple sur la Russie et imposer des contre-sanctions à l'Union européenne là où cela fera le plus mal aux intérêts de l'UE. Avec comme résultats des milliards de pertes pour l'économie bruxelloise, déjà pas au mieux ces temps-ci. Enfin, une telle approche exacerbera les sentiments anti-occidentaux au sein de la société turque et convaincra les indécis à suivre définitivement ceux qui en Turquie soutiennent l'idée de rejoindre l'axe Moscou-Téhéran. Et ils sont nombreux.

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