Catalogne : la voie étroite du compromis

© REUTERS / Susana VeraPartidarios del referéndum en Cataluña con Estelada, la bandera separatista
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La décision de M. Carles Puigdemont, le Premier-ministre du gouvernement catalan, annoncée lors de son discours de mardi 10 octobre devant le Parlement de Catalogne ouvre la voie a des négociations, alors que la situation reste très tendue entre Barcelone et Madrid.

Cette décision de suspendre pour quelques semaines la déclaration d'indépendance est une décision intelligente et courageuse. Carles Puigdemont devra faire face aux accusations de trahison dans son propre camp.

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Cette décision correspondait à ce que je préconisais la semaine dernière dans une note publiée sur le blog Lescrises.fr d'Olivier Berruyer mais aussi dans un article publié dans Sputnik. Elle constitue un pas vers le compromis. Mais, pour qu'un accord soit trouvé il implique qu'un pas équivalent soit fait par Madrid. Or, rien ne prouve que M. Rajoy en soit capable. Il est aujourd'hui clair que si l'offre de compromis était rejetée, cela n'aboutirait qu'à raffermir les indépendantistes dans leur volonté de se séparer de l'Espagne et à faire basculer de nouveaux segments de la population de leur côté.

De la rupture du pacte national à la recherche d'un compromis

A la base de la recherche d'un possible compromis, il convient de se rappeler que les indépendantistes considèrent que le pacte national représenté par la Constitution espagnole de 1978 est caduc. C'était ce qu'écrivaient dans une lettre adressée au Roi d'Espagne la maire de Barcelone, Ada Colau et le président de la Généralité de Catalogne, Carles Puigdemont: « Quand le Tribunal Constitutionnel a rejeté le statut qui au préalable avait été voté par les parlements catalan et espagnol et adopté par référendum par les citoyens de Catalogne, le pacte constitutionnel de 1978 s'est rompu ». Ils s'appuient de plus pour tirer ce constat tant sur les conditions très particulières dans lesquelles cette Constitution a été rédigée (avec l'influence très nette de secteurs du franquisme alors toujours vivant dans les institutions espagnoles, et en particulier dans l'armée) que sur le comportement du gouvernement de Madrid envers la Catalogne depuis 2010.

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Il faut savoir que Madrid a refusé à Barcelone ce qui fut accordé au Pays Basque, mais aussi — et ceci est encore plus provocateur — à la région de Valence! Or, il convient de rappeler que si les indépendantistes sont aujourd'hui probablement majoritaires en Catalogne, ils ne l'étaient pas en 2007. On ne peut donc aborder la question posée du mouvement indépendantiste sans commencer à comprendre que ce sont les comportements de Madrid qui l'ont nourri et fait prospérer.

Pour qu'un compromis soit possible, et pour désamorcer la bombe indépendantiste, il faudrait que M. Rajoy soit capable de l'admettre et annonce l'ouverture de négociations constitutionnelles, que ce soit par l'annonce de l'élection d'une assemblée constituante ou que ce soit sous la forme d'une commission constitutionnelle. Seul un geste de telle nature est en mesure de répondre à celui que vient de faire le gouvernement catalan. Mais il doit être fait rapidement. De plus, se pose une question de confiance. M. Rajoy est probablement trop discrédité, les images de la répression du 1er octobre sont encore dans toutes les mémoires, pour qu'un dialogue fructueux puisse s'ouvrir avec Barcelone. Il devrait, s'il a le sens de ses responsabilités, démissionner et appeler à des élections générales. Seul un gouvernement à Madrid re-légitimé par le suffrage universel, sera en mesure d'ouvrir ce dialogue. Seul un Parlement re-légitimé par le suffrage universel sera en mesure de produire en son sein une commission constitutionnelle avec quelques chances d'aboutir à un accord.

La faiblesse des arguments économiques contre l'indépendance

Car, pour l'heure, les hésitations de Madrid travaillent pour l'indépendance de la Catalogne. Les arguments économiques avancés nt une portée très faible. Avec ses 7,5 millions d'habitants, et l'ampleur de ses capacités économique, la Catalogne se compare avantageusement aux Pays Baltes, à la Slovénie et à Malte. L'argument de la monnaie est quant à lui dérisoire. La Catalogne peut fort bien décider dans un premier temps de continuer à utiliser l'Euro. La menace d'exclusion de l'Union Economique et Monétaire (vulgo la zone Euro) n'est ici pas crédible. Un pays peut parfaitement user d'une monnaie d'un autre pays, du moins pour une période transitoire. C'est ainsi le cas du Kosovo et du Monténégro, qui utilisent l'Euro sans être membre de l'Union européenne ou de la Zone Euro. Bien entendu, si la Catalogne devenait indépendante, se poserait à terme la question de la création d'une Banque Centrale et d'une monnaie. Cette monnaie pourrait être indexée sur l'Euro, choix de certains pays hors UEM, voire hors UE, comme elle pourrait à terme fluctuer, permettant à la Catalogne d'améliorer, le cas échéant, sa compétitivité.

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En fait, le problème monétaire se poserait de manière nettement plus aigüe à l'Espagne résiduelle, soit l'Espagne sans la Catalogne. Tout d'abord, ce pays serait confronté à une crise fiscale avec la disparition d'une partie des ressources des impôts prélevés en Catalogne et non reversés à cette région. Ensuite, le pays conserverait l'Euro mais l'écart des taux de change réels, qui était estimé dans le rapport de 2017 du FMI (1) à 17,5% avec l'Allemagne (surévaluation de 7,5% de l'Espagne et sous évaluation de 10% de l'Allemagne) pourrait s'élargir. La Catalogne est l'une des régions les plus prospères de l'Espagne, une région qui bénéficie à plein des effets de littoralisation, et aussi l'une ou les niveaux de productivité sont les plus hauts. L'Espagne résiduelle subirait un nouveau choc de change, qui pourrait mettre en difficulté une économie qui n'a que très partiellement récupérée de la crise de 2008-2009.

La seule difficulté mais elle est partagée, il convient de le savoir, par l'ensemble de l'Espagne, serait dans la gestion des banques. Mais, si les banques déplacent leurs sièges sociaux hors de Catalogne pour pouvoir rester dans l'Espagne résiduelle, elles pourront aussi bénéficier du soutien de la Banque Centrale Européenne.

L'enjeu est politique

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On le voit, le véritable enjeu est politique. Les catalans considèrent-ils qu'ils font partie du peuple espagnol, compris comme communauté politique, ou pas? C'est pourquoi agiter les questions économiques peut être utile à court terme pour faire peur à une fraction de la population catalane, mais ne convaincra jamais la totalité de cette population. C'est, de plus, une arme à double tranchant. Car, le gouvernement catalan pourrait fort bien la retourner contre ses utilisateurs actuels et montrer que la Catalogne serait économiquement avantagée par une indépendance.

Mais, si l'enjeu est avant tout politique, le gouvernement de Madrid doit comprendre qu'il lui faut affronter la question de la révision constitutionnelle et de la légitimité, s'il veut avoir une chance de ne pas devenir, d'ici quelques semaines, le gouvernement de ce que l'on a appelé l'Espagne résiduelle. Les conditions en sont claires, et elles ont été abordées dans une précédente note. En réponse au moratoire sur la proclamation de l'indépendance, un moratoire qui devra être prolongé, il faut une conférence constitutionnelle (ou une constituante), la démission de Mariano Rajoy, et la promesse, à la fin des discussions, qu'un véritable référendum sur le choix entre l'indépendance et un nouveau statut d'autonomie soit organisé.


(1) Voir http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2017/07/27/2017-external-sector-report

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