Cours d'Anti-néolibéralisme
Avec l’aide de l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, Sputnik entame une série d’émissions dans le but d’expliquer les fondements de ce néolibéralisme qui génèrent les crises répétitives.

Division du travail: Adam Smith avait prévenu que «la "stupidité " pouvait facilement gagner les "masses"»

© Sputnik . Par Omar AktoufLe professeur Omar Aktouf
Le professeur Omar Aktouf - Sputnik Afrique, 1920, 13.09.2021
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Dans ce douzième cours «d’Anti-néolibéralisme», Omar Aktouf évoque à Sputnik les trois vertus louées par Adam Smith concernant la division du travail. Par ailleurs, il explique que ce dernier avait également émis d’importantes réserves, mettant en garde contre «la "stupidité " [qui] pouvait facilement gagner les "masses"».
Dans le sillage de l’apparition entre les XVIIIe et XIXe siècles de la manufacture et de la Révolution industrielle, une nouvelle façon d’organiser le travail et de le surveiller est apparue. Ce nouveau mode d’organisation était essentiellement basé sur une division technique du travail. Le but poursuivi était d’éclater les métiers en gestes simples pour mieux contrôler des ouvriers devenus extensivement interchangeables, augmenter la productivité et maximaliser les profits des patrons dans un contexte d’augmentation des coûts de production à cause des lois sociales.
Plusieurs penseurs se sont penchés sur ces questions, dont quatre noms sont considérés comme les pères fondateurs de la théorie du management moderne: Adam Smith (1723-1790), Frederick Winslow Taylor (1856-1915), Charles Babbage (1792-1871) et Henri Fayol (1841-1925).
De quelle façon ces penseurs influencent-ils encore aujourd’hui notre manière de gérer les entreprises? Au-delà de l’augmentation des profits, la division continue du travail a-t-elle servi à faire évoluer les capacités intellectuelles des ouvriers ou, au contraire, à étouffer la créativité et l’initiative, à créer et à renforcer un esprit passif? La culpabilité érigée en outil de gestion, sur fond de contrôle plus détaillé, plus fréquent, plus systématique, n’est-elle pas devenue une forme de harcèlement, provoquant la souffrance au travail, arrivant jusqu’à pousser les ouvriers au suicide?
Dans ce douzième cours d’«Anti-néolibéralisme», Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, souligne auprès de Sputnik que «ces questions sont plus que jamais d’actualité». Selon lui, ce que l’on surnomme «abusivement la gestion scientifique du travail» a surtout servi les intérêts des patrons «au détriment des ouvriers et du travail réduit à des gestes et des capacités simples et à la portée de n’importe qui ayant un minimum de prédispositions (par exemple physiques si la tâche nécessite de la force)».

La mise en garde d’Adam Smith

«L’un des aspects inconnus des travaux de Smith concernant les retombées de la division du travail est sa critique et ses graves réserves quant aux bienfaits de cette manière d’organiser les ouvriers et les entreprises», affirme le Pr Aktouf.
Et d’ajouter qu’«Adam Smith, qui a effectivement loué les vertus de la division du travail, à savoir l’accélération de la production et le gain de temps, l’augmentation des habiletés, l’amélioration de la capacité à innover, n’en a pas fait que des louanges, loin s’en faut».
Dans le même sens, Omar Aktouf explique que «par la spécialisation, le caractère limité et répétitif d’une tâche élémentaire, nous devrions non seulement être plus rapides (gain de temps à ne pas changer de tâche, d’outils, de rythme), mais aussi devenir plus habiles, et même inventer des façons de travailler qui permettent d’aller encore plus vite et de faire mieux. Ce qui est exact, si l’on ne considère pas les conséquences plus globales liées à la monotonie, à la perte d’intérêt, à la perte de sens, etc.»
Ainsi, selon lui, «Adam Smith a émis une grave mise en garde après plusieurs passages dans les usines,  évoquant le fait que la "stupidité " pouvait facilement gagner les "masses" appliquées à exécuter un travail de plus en plus subdivisé. A contrario, dans les "sociétés barbares" [non encore industrialisées, ndlr], la "variété des tâches" qu’une seule personne pouvait accomplir dans le cadre d’un travail non divisé aidait à l’"entretien et à l’éveil de l’intelligence"».

«Les vertus de Smith retenues aveuglément»

Alors que la plupart des auteurs contemporains en management, traditionnel en particulier, «présentent sans cesse la division technique du travail comme un progrès décisif», le Pr Aktouf estime que «l’on retient aveuglément les vertus que voyait Smith à subdiviser une tâche, ou un métier, en autant de sous-tâches, les plus élémentaires possibles. Des opérations pour lesquelles il fallait spécialiser des employés, à l’instar de ce qu’il avait vu dans la fameuse manufacture d’épingles, où le travail de fabrication d’une épingle était subdivisé en 18 opérations différentes».
Enfin, l’interlocuteur de Sputnik assure que «si l’avertissement de Smith avait été pris en compte dans nos principes de gestion, plusieurs mauvaises situations actuelles en productivité et compétitivité auraient pu être évitées». Mais cela illustre clairement que «la doctrine du management traditionnel est encline à ne retenir et à ne propager que ce qui fait le mieux l’affaire, au point strictement financier de court terme, des propriétaires et des dirigeants», conclut-il, regrettant que «la division du travail [soit] devenue juste le moyen de produire plus et plus vite tout en faisant faire le plus possible d’argent rapide, sans aucun égard aux conséquences intellectuelles, culturelles et sociales des travailleurs».
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