Arabie saoudite-USA: la guerre du pétrole n'aura pas lieu

© AP Photo / Hasan Jamalia Saudi man walks at the Tadawul Saudi Stock Exchange, in Riyadh, Saudi Arabia.
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Il y a près de deux ans, l'Arabie saoudite déclarait la guerre aux producteurs du pétrole "non-conventionnel", notamment à l'industrie américaine de schiste.

La monarchie arabe était très préoccupée par la croissance vertigineuse de la production des nouveaux gisements américains et avait décidé de faire chuter les prix de manière artificielle en exportant activement son pétrole pour un bas prix de revient. Les Saoudiens voulaient ainsi assurer la conservation de leur part de marché, estimant que leurs rivaux seraient obligés de quitter l'industrie faute de pouvoir lutter contre cette stratégie de dumping. Mais le "djihad pétrolier" a échoué et les entreprises pétrolières américaines veulent reprendre ce qu'elles ont perdu.

Retour à la case départ

La décision saoudienne a provoqué une chute monumentale des cours pétroliers mondiaux, enclenchant une crise sans précédent depuis 2008. Les cours des marques principales de pétrole ont diminué de 110 dollars le baril jusqu'à 40, 30 voire 25 dollars en seulement quelques mois. Et, contrairement à la chute forte mais assez brève des prix en 2008, la situation actuelle semble partie pour durer.

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Dans ce jeu de "qui va tomber le premier?", les experts ont misé sur la défaite des entreprises américaines. Selon des données les plus récentes, ce n'était pas un bon pari.
La société de conseil Jefferies LLC indique qu'au moins 10 producteurs américains de pétrole de schiste ont élargi ensemble leur budget de 1,1 milliard de dollars afin de lancer le forage et l'exploitation de nouveaux puits.
Il s'agit notamment des acteurs principaux du marché du pétrole de schiste tels que Devon et Pioneer, qui pourront reprendre leur expansion quand les prix seront stabilisés à partir de 50 dollars le baril, synonyme de retour sur investissements pour les entreprises du secteur.

Les premiers indices d'une telle stabilisation sont déjà visibles. Bien que les marques Brent et WTI chutent régulièrement jusqu'à 45 dollars, voire plus bas, les cours ont stagné à environ 50 dollars pendant la majeure partie du mois d'août. Les entreprises américaines ont donc obtenu la bouffée d'air nécessaire pour reprendre leurs investissements.

Foreuses et barils

Les statistiques américaines confirment cette tendance. Ainsi, selon Baker Hughes, le nombre de foreuses aux États-Unis a dépassé les 400 unités pour la première fois depuis février. La croissance par rapport au minimum atteint au début de l'été se chiffre à près de 50% — même s'il faut rappeler que ce nombre était deux fois plus important il y a un an et qu'on comptait plus de 1 000 foreuses il y a 18 mois. On peut constater que les pétroliers américains — la plupart des puits concernent le pétrole de schiste — reprennent, prudemment et lentement, le forage.

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Même tendance pour les volumes d'extraction: l'Agence d'information sur l'énergie indique que le minimum national de production a été atteint au cours de la première semaine de juillet à 8,43 millions de barils par jour. Depuis, l'industrie ne cesse de croître. Le 12 août, la production a atteint 8,59 millions de barils et de fait, les entreprises ont rattrapé un peu plus de 10% de la chute de l'année dernière. Pas de nouvelle baisse en vue, donc.
Autrement dit, l'augmentation des investissements, du nombre de foreuses et de la production démontre que l'industrie de schiste américaine n'est pas KO mais fonctionne et envisage de croître, même dans les conditions actuelles très défavorables.

Le plan saoudien a échoué, en tout cas pour le moment. Mais qu'est-ce qui a permis aux Américains d'endurer cette tempête sans précédent sur le marché pétrolier?

Une réduction drastique des dépenses

Leur réussite est notamment liée à une réduction des dépenses, à laquelle ont contribué de nombreux facteurs. Le niveau des prix assurant la rentabilité de certains gisements le montre de façon très éloquente: en 2014 cet indice se chiffrait à 85 dollars le baril sur le gisement Permian Midland, dans l'ouest du Texas, pour baisser jusqu'à 38 dollars actuellement. D'autres, tels que Permian Delaware ou Eagle Ford, font preuve de la même tendance: 63 dollars contre 33 dollars et 75 dollars contre 39 dollars respectivement (données de Rystad Energy).

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Des chiffres impressionnants. La raison d'une réduction si radicale des dépenses n'est pourtant pas claire: on ne sait pas si cette diminution des frais s'explique par un progrès technologique sur les même foreuses ou par le transfert des opérations vers les puits les plus rentables et faciles à exploiter. Dans le dernier cas, il sera très difficile de conserver un prix bas de revient pendant encore longtemps.

Autre facteur notable: la chute rapide des prix des équipements et des services octroyés par les sociétés de maintenance. Dans un contexte de crise, ces dernières ont été obligées de faire des concessions considérables aux pétroliers afin de ne pas se retrouver sans commandes. Les coûts de maintenance ont diminué, tout comme les dépenses des producteurs.

Cette pression considérable n'a pourtant mis hors du jeu que des petites entreprises qui ont dû quitter le secteur ou fait faillite l'année dernière. Les leaders de l'industrie se sont, quant à eux, plus ou moins adaptés aux nouvelles conditions.

Un succès exagéré?

Certains experts soulignent pourtant que les succès de l'industrie de schiste américaine ne sont pas aussi importants que le prétendent les représentants du secteur.

D'après Ekaterina Krylova, analyste en chef de Promsviazbank, seulement certaines entreprises américaines envisagent en réalité d'augmenter les volumes extraits — mais cela ne concerne pas la plupart des sociétés. "La production de pétrole de schiste ne cesse de baisser", souligne-t-elle.

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"Le bassin Permien est le seul gisement majeur affichant une certaine croissance (+6% en juillet). Qui plus est, selon le ministère américain de l'Énergie, la croissance va désormais s'y cantonner à 3% pour se transformer en baisse d'ici la fin de l'année. Les autres gisements font face à une chute considérable: —19% à Bakken et —28% à Eagle Ford notamment", explique-t-elle.

Selon Dmiri Loukachov, analyste d'IFC Markets, les entreprises de schiste brassent du vent: "Les prévisions de l'Agence d'information sur l'énergie prévoient une chute de la production de pétrole de schiste de 85 000 barils par jour en septembre par rapport à août sur les sept gisements principaux. Dans le même temps, le rendement des nouveaux puits augmentera de 18 000 barils par jour. En se basant sur ces prévisions, les investisseurs espèrent que la production va décoller quand la plupart des vieux puits seront remplacés par de nouveaux sites de forage".

Maria Belova, analyste en chef de Vygon Consulting, assure que les volumes d'extraction vont être tirés vers le haut compte tenu de la volonté des entreprises de travailler dans le contexte d'un pétrole bon marché.

"Comme de nombreuses entreprises étaient obligées de poursuivre la production, même à perte, avec des cours moins importants pour assurer un afflux de capital minimal afin d'honorer leurs vieilles dettes et d'en accumuler de nouvelles, les prix actuels de 50 dollars le baril augmentent l'attractivité des investissements dans des projets de schiste", explique-t-elle.

Le club des perdants

On ne peut pas dire que toute l'industrie mondiale du pétrole a subi sans ciller la chute des prix. C'est loin d'être le cas. Mais les victimes principales se trouvent dans d'autres secteurs d'activité.
Il s'agit tout d'abord des entreprises qui s'occupaient de l'extraction de la nappe profonde et des sables bitumineux.

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Selon les estimations de Wood Mackenzie, avec un cours à 60 dollars le baril les gisements de schiste possèdent 60% de pétrole américain non-conventionnel rentable, et les puits en mer seulement 20%. Ainsi, les victimes principales du "djihad pétrolier" de l'Arabie saoudite ont été l'Angola, le Nigeria et des États souhaitant lancer la production en Arctique.

La situation a également affecté tous les leaders du marché international. Des entreprises telles que Shell, BP ou ExxonMobil sont obligées de clore leurs projets et de réduire leurs activités dans le monde entier, tout en accumulant de nouvelles dettes.

Ainsi, l'endettement net de Shell a augmenté de près de 20 fois en dix ans, sachant que plus de la moitié de cette hausse a été enregistrée ces deux dernières années — période de la chute des prix.

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Malgré les succès de l'industrie de schiste, le volume total de pétrole produit pourrait donc se réduire considérablement dans un contexte de prix bas. Ce déficit est notamment envisagé par l'Agence d'information sur l'énergie, qui analyse toujours sérieusement de telles prévisions. Une autre question en suspens concerne le temps nécessaire pour équilibrer le marché compte tenu des réserves colossales accumulées. Cela prendra sans doute beaucoup de temps et il ne faut donc pas s'attendre à une hausse rapide des prix du pétrole.

"Par rapport à l'année dernière, le déséquilibre du marché se réduit mais cette tendance ne prend pas en compte les réserves commerciales de pétrole, qui se sont stabilisées à un niveau historique sans précédent de plus de 3 milliards de barils et ne devraient pas varier en 2017. Le cours du baril de Brent restera dans une fourchette de 40 à 50 dollars d'ici la fin de l'année, ce qui nous donne un prix moyen de 40 à 45 dollars en 2016", estime l'analyste en chef de Vygon Consulting.

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