Un nouveau nid terroriste apparaît au Moyen-Orient

© REUTERS / Khaled AbdullahYémen
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Après le nettoyage de la Syrie et de l'Irak des groupes terroristes, les combattants islamistes qui ont survécu seront certainement envoyés au Yémen où l'espoir de mettre un terme à la guerre civile s'est évanoui après le meurtre de l'ex-président Ali Abdallah Saleh.

Mais pourquoi ce pays pauvre aux faibles réserves de pétrole est-il devenu une terre d'asile pour les terroristes? Selon Vzglyad.

«Moscou est très préoccupé par cette évolution très négative de la situation. Le Yémen risque fortement d'être plongé dans un chaos militaro-politique accompagné d'une catastrophe humanitaire sans précédent», a déclaré mercredi la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova.

L'une des raisons de l'escalade de la violence au Yémen est l'assassinat de l'ancien président Ali Abdallah Saleh par les rebelles Houthis partisans du groupe chiite Ansar Allah. Selon les médias, il a été enterré mercredi dans son village natal sans les honneurs ni cérémonie officielle, presque secrètement. Le jour même, les Houthis ont ouvert le feu sur une manifestation de femmes qui protestaient contre le meurtre de Saleh à Sanaa, la capitale du pays.

«Une danse sur des têtes de serpents»

C'est ainsi qu'Ali Abdallah Saleh parlait de ses 33 ans de règne au Yémen. Pendant tout ce temps, il était parvenu à confronter les nombreuses tribus, partis et clans oligarchiques, à manipuler les intérêts des régions et des confessions, pour au final unifier le pays. Même depuis sa démission en 2011 après le Printemps arabe, il restait le politicien le plus influent du Yémen.

En 2014, Saleh a soutenu l'offensive lancée contre Sanaa par ses anciens ennemis, les Houthis, et s'est opposé pendant deux ans à l'intervention de la coalition saoudienne. Mais, lundi dernier, il a été tué par ses anciens alliés à la sortie de la capitale.

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Ces derniers temps, Saleh cherchait une possibilité de normaliser les relations avec les pays du Golfe et suggérait de «tourner la page». A quelques jours de sa mort, il avait annoncé la rupture de l'alliance avec le groupe chiite Ansar Allah et appelé les habitants du Yémen à s'insurger contre les Houthis qui, selon lui, «nuisaient au Yémen depuis trois ans pour se venger contre ceux qui avaient perpétré la Révolution de septembre et uni le pays».

La Révolution de septembre 1962 a destitué le dernier roi yéménite de la dynastie chiite d'imams zaïdites qui dirigeaient le Yémen du Nord depuis plus de mille ans. Le zaïdisme est un courant chiite qui se distingue très peu de l'islam sunnite traditionnel: les zaïdites ne reconnaissent pas les courants chiites exotiques sur l'«imam caché» et la dissimulation de sa foi — la taqîya. Mais s'ils sont intransigeants sur une chose, c'est sur les fondements politiques de l'islam chiite.

Le chef de l'État chez les zaïdites — un imam — est reconnu comme le descendant d'Ali, gendre du prophète Mahomet. Autrement dit, dans l'idéal, l'objectif de leur lutte armée est la reconstruction de l'État théocratique. Toutefois, les cheikhs des tribus oublient souvent cet objectif et participent au jeu politique du Yémen républicain en nouant des coalitions avec des saoudites et les socialistes. C'est alors qu'arrivent des acteurs encore plus intransigeants: les Houthis, qui écartent les cheikhs des tribus et poursuivent le combat de l'Imamat yéménite.

Au XXe siècle, sur la vague du panarabisme et du socialisme dans certains pays de la région, les dynasties royales ont été renversées pour établir des régimes laïques. Le royaume yéménite en faisait partie, se trouvant dans la zone d'influence du plus puissant pays arabe de l'époque: l'Égypte, dirigée par le président Nasser. Le Yémen a même fait partie de l'État confédératif avec l'Égypte socialiste et la Syrie, mais après la détérioration des relations au sein de l'alliance le roi Ahmad ben Yahya a été renversé par un complot avec la participation directe des Égyptiens.

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Lors de la guerre civile qui a suivi, le gouvernement de la République arabe yéménite tenait uniquement grâce aux baïonnettes de l'armée égyptienne, à laquelle s'opposait le fils du roi Muhammad al-Badr soutenu par les monarchies arabes et des rebelles des tribus du nord — les zaïdites qui constituent aujourd'hui l'armée des Houthis. Les tribus étaient largement supérieures au gouvernement sur le plan militaire et la monarchie aurait été rétablie si l'Union soviétique ne s'était pas ingérée en menaçant d'intervenir en cas de victoire de la contre-révolution. L'héritier du trône a cessé la résistance et s'est installé à Londres, où il est décédé dans les années 1990.

Sous Ali Abdallah Saleh, la situation était relativement stable. Il a même réussi à rattacher à la république le Yémen du Sud socialiste. Toutefois, cela n'a pas permis au plus pauvre des pays arabes d'éviter la guerre et la catastrophe humanitaire qui a suivi.

Aucune chance de compromis

La guerre civile dure depuis 55 ans au Yémen, avec quelques interruptions. Le pays est divisé au niveau ethnique et confessionnel, les provinces du nord et du sud ont une histoire et une structure sociale différentes. Les nombreux partis et tribus forment parfois de brèves coalitions à des fins tactiques.

Les sunnites, majoritaires dans le pays, vivent dans les zones côtières du Yémen. Ils sont tournés vers les monarchies arabes et comptent de plus en plus d'islamistes radicaux dans leurs rangs, notamment d'Al-Qaïda, au fil des années de guerre.

Dans les grandes villes et sur le littoral sud, la population a des opinions plus laïques et libérales. Le Yémen du Sud est l'ancienne colonie anglaise d'Aden. Jusqu'en 1990, il s'agissait d'un État séparé — la République populaire démocratique du Yémen — qui utilisait très activement l'aide fraternelle de l'Union soviétique. Mais après la réunification, le sud, économiquement plus développé et disposant de réserves pétrolières, a perdu son influence politique. A chaque occasion qui se présente, il tente aujourd'hui de faire sécession.

Les tribus zaïdites restent la plus grande force au Yémen, notamment le groupe Ansar Allah créé en 1994 — appelé Houthis d'après le nom de leurs leaders al-Houthi. Hussein al-Houthi s'est proclamé imam en 2004, et après sa mort c'est son frère cadet Abdul-Malik al-Houthi qui a pris sa place de leader militaire et spirituel.

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Les zaïdites représentent près de 40% de la population et sont concentrés dans les régions montagneuses. Ils vivent également dans les régions frontalières de l'Arabie saoudite — à Asir, Najran et Jizan qui ont été détachées du Yémen historique. Les zaïdites représentent la base historique de la structure étatique yéménite et sont la force motrice des protestations et des révolutions actuelles. D'ailleurs, le président laïque Saleh et son opposant et fondateur du parti islamiste Islah, le cheikh al-Ahmar, sont également originaires de la tribu zaïdite Hachid. Les tribus ont des capacités de mobilisation considérables et une motivation religieuse.

En politique étrangère, les Houthis sont tournés vers l'Iran chiite et considèrent les USA et Israël comme des ennemis jurés, tout comme les partenaires de ces derniers dans la région — l'Arabie saoudite en tête. Compte tenu de la position stratégique du Yémen et des revendications territoriales des zaïdites, l'activité d'al-Houthi a provoqué une réaction brutale des Saoudiens et une intervention. Le Yémen est devenu un nouveau champ de bataille entre les monarchies sunnites et l'Iran chiite.

Les Houthis ont déclaré la guerre en 2004, ont activement participé aux manifestations de 2011 contre le président Saleh et, après son départ, ont poursuivi le combat contre le nouveau président pro-saoudien Abd Rabbo Mansour Hadi en s'alliant cette fois avec Saleh. Autrement dit, chaque politicien yéménite pense utiliser les rebelles chiites à des fins politiques, puis se rend compte que leurs intérêts ne résident pas dans la représentation politique, le commerce ou autre-chose, mais dans le pouvoir absolu de leur leader. Toute alliance perd alors son sens.

Aujourd'hui, l'une des têtes de serpent a mordu Saleh. Avant sa mort, l'ex-président tentait de régler le conflit international. Il établissait des contacts avec Riyad et Moscou, promettait d'attirer des investissements dans le pays ruiné. Il se voyait probablement, ou son fils, comme une figure de compromis, un leader national avec de vastes liens internationaux à équidistance des groupes extrémistes du clan zaïdite mais avec des opinions laïques. Ce qui ne coïncidait pas du tout avec les plans de ses récents alliés chiites. Des affrontements ont éclaté entre les deux groupes et le politicien a été accusé de trahison, puis tué.

A présent, le compromis est peu plausible. Il est fort probable qu'à l'issue de l'opération contre Daech en Syrie et en Irak, le reste des forces islamistes sera envoyé au Yémen, et un isolement dangereux attend le groupe chiite.

La plupart des partisans d'Ali Abdallah Saleh passent maintenant du côté de la coalition pro-saoudienne. Le fils de Saleh, Ahmed, prendra certainement sa tête à la place de Mansour Hadi.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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