Comment les pays arabes peuvent «punir» les USA par leurs sanctions

© REUTERS / Mohamed Abd El GhanyArab League foreign ministers hold an emergency meeting on Trump's decision to recognise Jerusalem as the capital of Israel, in Cairo, Egypt December 9, 2017.
Arab League foreign ministers hold an emergency meeting on Trump's decision to recognise Jerusalem as the capital of Israel, in Cairo, Egypt December 9, 2017. - Sputnik Afrique
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Les participants à la réunion extraordinaire de la Ligne arabe, dimanche 10 décembre, ont évoqué l'adoption de sanctions contre les USA comme contre-mesure à la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël.

L'idée a été soutenue par plusieurs pays mais n'a pas été inscrite dans la résolution finale, écrit le quotidien Vzgliad. Quelles sanctions des pays arabes pourraient «effrayer» l'Amérique et dans quelle mesure l'adoption de telles mesures est-elle plausible?

Le monde arabe continue d'afficher son indignation extrême suite à la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem en tant que capitale israélienne. En particulier, pendant la réunion de la Ligne arabe dimanche, le Liban a appelé à décréter des sanctions contre les États-Unis au vu de leur déclaration sur Jérusalem.

«Il faut faire renaître la politique arabe commune pour répondre à la décision de tout pays de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël», a déclaré le ministre libanais des Affaires étrangères Gebran Bassil.

«Il faut prendre des mesures préventives vis-à-vis d'une telle décision… en commençant par les mesures diplomatiques, puis politiques, jusqu'aux sanctions économiques et financières», a-t-il souligné.

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Mercredi, Donald Trump a annoncé qu'il reconnaissait Jérusalem en tant que capitale israélienne et avait l'intention d'y faire déménager l'ambassade américaine jusqu'ici située à Tel-Aviv. Sachant qu'il n'a pas précisé s'il faisait référence à Jérusalem-Ouest (dont l'appartenance à Israël n'est pas contestée) ou à toute la ville. La décision du président américain a provoqué de fortes critiques même de la part de ses fidèles alliés, notamment des pays de l'UE et même du Royaume-Uni. Même en Israël, certains ont mal perçu la déclaration du dirigeant américain au regard de son paradoxe flagrant, la qualifiant de nouvelle «bombe» lancée par l'Amérique sur le Moyen-Orient.

Les pays arabes et musulmans se sont insurgés, multipliant déclarations de condamnation et manifestations de la population devant les ambassades américaines. Des rassemblements antiaméricains ont eu lieu dans les rues de Turquie, du Liban, de Jordanie et de Malaisie. En Palestine même (dans différents quartiers de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza) les protestations de vendredi ont été qualifiées de «jour de colère». Elles ont dégénéré en émeutes et en affrontements avec les forces de l'ordre israéliennes, qui ont fait 1.100 blessés.

Comment les pays arabes peuvent-ils «punir» les USA?

C'est pourquoi les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe ont organisé une réunion d'urgence pendant laquelle a été avancée la proposition libanaise de sanctions. Plusieurs pays ont soutenu Beyrouth. Il s'agit d'une initiative retentissante, notamment quand on sait qu'il est question à la fois de mesures diplomatiques, politiques et même économiques et financières. Alors comment les pays arabes pourraient-ils «punir» les États-Unis?

«Le fait même que des mesures strictes sont évoquées est une mauvaise nouvelle pour Washington», a déclaré Dmitri Abzalov, président du Centre des communications stratégiques. Et d'ajouter que si des actions hostiles étaient entreprises, elles seraient avant tout diplomatiques ou politiques.

«Par exemple, il est possible de limiter les missions diplomatiques d'un pays sur le territoire américain. Ou, au contraire, de limiter l'activité des missions diplomatiques américaines sur le territoire des pays adoptant cette position», a indiqué l'interlocuteur. Et de poursuivre: «Un pays soutenant la partie arabe pourrait, par exemple, annoncer le déménagement de son ambassade à Jérusalem-Est que la Palestine considère comme sienne.»

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Dans l'ensemble, les USA auront bien plus de mal à mener le dialogue avec les pays arabes, notamment sur les questions litigieuses, parce que ces derniers chercheront à profiter de la situation actuelle pour renforcer leurs positions dans les négociations, estime Dmitri Abzalov. Selon lui, hormis les pays arabes, la Turquie qui a plusieurs différends sérieux avec les USA pourrait profiter de la situation.

Quant à la Palestine, elle a déjà entrepris des mesures: elle a l'intention de saisir la cour internationale suite à la déclaration de Trump. Les Palestiniens ont également souligné qu'ils ne considéraient plus Washington comme un médiateur dans le règlement du conflit avec Israël. De plus, il a été annoncé dimanche que le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas avait renoncé à son entretien prévu avec le vice-président américain Michael Pence.

Une grande partie de bases américaines est concentrée au Moyen-Orient, rappelle Dmitri Abzalov. «Par exemple, il est possible de compliquer leur fonctionnement en augmentant le prix de la location, en restreignant l'activité des militaires américains sur le territoire de ces pays», a-t-il noté.

«Cela pourrait intensifier la coopération des pays arabes et musulmans avec d'autres centres de force. On cherchera des alternatives», a souligné Dmitri Abzalov. «Ils ont déjà déplacé l'accent sur la coopération avec la Russie. Le roi saoudien est venu en Russie, l'Égypte a intensifié la coopération, nous travaillons sur la Libye, la Turquie coopère avec nous sur de nombreuses questions tout comme la Jordanie, le Liban et bien d'autres pays. En principe, l'intérêt pour Moscou ne fera qu'augmenter vu le déséquilibre provoqué par Trump avec cette reconnaissance», a déclaré l'expert. «Par ailleurs, c'est une bonne nouvelle pour la Chine qui pourrait significativement renforcer ses positions dans la région, ce que Pékin a déjà commencé à faire», a-t-il ajouté.

«Hypothétiquement, il serait possible de restreindre les opérations en dollars»

Un tel décalage pourrait également avoir lieu dans le domaine économique. «De facto la Chine remplace déjà Washington sur plusieurs axes stratégiques au Moyen-Orient», a souligné Dmitri Abzalov. Selon lui, le mécontentement vis-à-vis des actions de Washington pourrait conduire au renforcement des positions de Pékin et de Moscou et à l'élargissement de la représentation de leurs entreprises dans la région.

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Les produits américains pourraient être partiellement remplacés sur le marché des armements, d'autant que la Russie coopère avec plusieurs pays de la région dans ce secteur. «Prenons l'exemple de la Turquie. Elle a acheté des S-400 russes alors même que des Patriot américains sont en service dans ce pays. L'Arabie saoudite achète également certains armements russes — des armes d'infanterie et autres», a noté l'expert. D'après lui, il serait possible de faire en sorte que les Saoudiens achètent d'autres armements, par exemple des hélicoptères ou des systèmes de défense antimissile.

De plus, les pays arabes pourraient renoncer aux fournitures de différents produits américains ou fermer plusieurs projets. «Les Saoudiens ont signé un contrat sur la livraison de Boeing, par exemple. Les Émirats arabes unis (EAU) ont un projet pour construire le système de transport ultrarapide Hyperloop, appelé à être utilisé dans le segment du transport de fret», a indiqué Dmitri Abzalov.

«Hypothétiquement il serait possible de restreindre les opérations en dollars et de vendre le pétrole, disons, en dinars ou en yuans», suppose le spécialiste. «La coopération pourrait être restreinte dans le secteur énergétique, où plusieurs compagnies américaines comme Chevron Exxon sont représentées au Moyen-Orient», a-t-il ajouté.

Les pays de l'Opep, la Syrie et l'Égypte ont déjà décrété des sanctions contre les USA et leurs alliés (notamment le Royaume-Uni, le Canada, les Pays-Bas et le Japon) par le passé. Ces États avaient adopté un embargo pétrolier contre ces pays en octobre 1973 pour réagir au soutien apporté à Israël par l'Amérique et ses alliés dans la guerre du Kippour, ce qui avait provoqué la crise pétrolière.

Mais il est peu probable que la situation dégénère à nouveau jusqu'à un tel boycott. «Cela pourrait faire s'effondrer le marché et pour l'instant personne ne le souhaite», a souligné Dmitri Abzalov.

«La dernière fois que cela s'est produit, le seul résultat a été qu'en traversant la crise économique l'Amérique a significativement développé la production pétrolière et gazière sur son territoire, au Canada et au Mexique, tandis que les monarchies arabes recevaient une très grande quantité d'argent supplémentaire», a déclaré Evgueni Satanovski, président de l'Institut du Moyen-Orient, qui ajoute que cela «n'avait pas permis aux pays arabes de changer foncièrement quoi que ce soit».

«Cela relève du registre fantastique»

Les déclarations résonnantes des représentants arabes ne signifient pas pour autant l'adoption réelle de mesures concrètes. La plupart des pays de la Ligue arabe n'ont pas soutenu l'initiative libanaise et le communiqué final de la réunion ministérielle de la Ligue arabe ne parle pas de sanctions.

Bien sûr, ce n'est pas la dernière réunion des représentants de la Ligue arabe et dans seulement un mois un autre sommet est prévu concernant la déclaration de Trump sur Jérusalem. Et évidemment, plusieurs pays arabes continueront de promouvoir l'idée des sanctions. Mais la probabilité de leur adoption reste faible.

«Tous ces pays sont financés par les USA, entre autres grâce à des prêts préférentiels ou par un soutien financier direct. Par ailleurs, la plupart des armements achetés, par exemple par l'Arabie saoudite, sont américains. Or vous dépendez du pays dont vous consommez les armes», a souligné Dmitri Abzalov.

Le politologue Fedor Loukianov, chef du Conseil de politique étrangère et de défense russe, estime lui aussi que ces pays sont trop dépendants des USA pour prendre des mesures réelles.

«Ils dépendent davantage des USA qu'inversement. De plus, la question palestinienne, en omettant la rhétorique et le forçage de bras, préoccupe les pays arabes uniquement comme un thème de pression et pour faire parler d'eux. Aucun d'entre eux n'ira jusqu'à détériorer les relations avec les États-Unis», a-t-il déclaré.

Fedor Loukianov a indiqué que la plupart des pays arabes ne disposaient pas de possibilités particulières, comme l'Égypte. Selon lui, théoriquement, l'Arabie saoudite pourrait faire quelque chose grâce à ses très grands contacts financiers et à la détention d'une grande quantité d'obligations américaines ou encore le Qatar, où se situe la plus grande base américaine et il où serait possible de soulever la question de sa présence. «Mais cela relève du domaine fantastique, cela n'arrivera jamais», a-t-il conclu.

«Je ne pense pas que des sanctions seront décrétées. Malgré tous ces troubles, tout se limitera aux manifestations, aux drapeaux brûlés et aux déclarations politiques. D'après moi, ce sont des déclarations purement populistes et les pays arabes n'ont aucun mécanisme sérieux», a déclaré Anton Mardassov, responsable du département d'études de conflits au Moyen-Orient à l'Institut du développement des innovations. «Certains pays ont besoin de ce conflit pour faire semblant de faire des efforts diplomatiques, dire que les USA mènent une politique incorrecte et exiger d'eux d'importantes concessions», a-t-il souligné.

Il y a également une autre nuance: tous les pays arabes sont très différents et ne s'entendent pas très bien. «Le monde arabe est à tel point déchiré, à tel point désuni et ne sera pas uni, dépend à tel point de l'Occident que le décret d'un boycott serait uniquement symbolique. Par exemple, quelqu'un pourrait interdire le film Hobbit. En plusieurs décennies d'existence la Ligne arabe n'a jamais réussi à convenir de quelque chose de ce genre hormis l'adoption d'une nouvelle résolution anti-israélienne», a souligné Evgueni Satanovski.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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