Futur pas sécurisé? La perspective de rupture du FNI sème la panique au sein de l'UE

© Sputnik . Ministère russe de la Défense / Accéder à la base multimédiaUn tir de missile Kalibr contre des positions terroristes en Syrie
Un tir de missile Kalibr contre des positions terroristes en Syrie - Sputnik Afrique
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L'éventuelle suspension de la participation des États-Unis et de la Russie au traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) alarme sérieusement l'UE, rapportent des diplomates européens et des experts au quotidien Izvestia.

La rupture du traité nucléaire FNI priverait le monde d'un niveau de sécurité primordial en place depuis plus de trois décennies, et une nouvelle course aux armements ferait de l'Europe la cible principale, estiment des experts interviewés par Izvestia. Un tel scénario pourrait être évité si les USA revenaient à la table des négociations et si leurs alliés «se réveillaient et avaient le courage d'appeler les choses par leur nom», estime le sénateur russe Konstantin Kossatchev.

Un pas de 30 ans en arrière

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Alfred Huber, habitant de la petite ville allemande de Heilbronn dans le Land de Bade-Wurtemberg, se souvient encore des terribles événements qui se sont produits il y a 34 ans. Le 11 janvier 1985, du combustible s'est enflammé sur le polygone où étaient déployés des missiles nucléaires américains de moyenne portée Pershing II. L'un des missiles a explosé, tuant trois soldats et blessant 16 personnes. Heureusement, le missile n'était pas doté d'une ogive nucléaire, mais cet incident a suffi pour faire sortir dans la rue les habitants de Heilbronn et d'autres villes allemandes contre le déploiement de l'armement nucléaire américain en Allemagne.

Après la signature du traité FNI entre Moscou et Washington en 1987, les missiles américains ont été évacués de Heilbronn. Plus de trente ans plus tard, après la décision des USA de se retirer de cet accord, les Allemands s'inquiètent à nouveau que la stabilité et la vie paisible puissent être remises en cause une nouvelle fois.

«Notre exigence a toujours été claire: aucune menace pour d'autres et aucun danger pour nous-mêmes», a déclaré Alfred Huber à Deutsche Welle.

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Il a qualifié le retrait de Washington du traité FNI de «pas en arrière».

«Pendant 30 ans, les Européens ont vécu dans des conditions de sécurité sans précédent: les missiles de moyenne portée et les armes nucléaires tactiques ont été détruits, et les forces conventionnelles ont été réduites. Les Européens se sont habitués à une vie confortable. Mais aujourd'hui réapparaît la situation de confrontation nucléaire datant de la Guerre froide — les nuages qui pesaient sur l'Europe jusqu'en 1987 reviennent au-dessus de leur tête», a déclaré l'académicien Alexeï Arbatov, directeur du Centre de sécurité internationale à l'Institut d'économie mondiale et des relations internationales.

Le mieux est l'ennemi du bien

Donald Trump a annoncé que les États-Unis suspendaient leur participation au traité FNI, tout en ajoutant qu'il voudrait «réunir tout le monde dans une grande et belle salle pour conclure un nouvel accord, qui serait bien meilleur».

Le locataire de la Maison-Blanche avait annoncé de manière similaire la rupture de nombreux autres accords internationaux, notamment l'accord nucléaire sur l'Iran ou le Partenariat transpacifique.

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Moscou a réagi avec beaucoup de retenue aux promesses de signer un «meilleur accord».

«Depuis plusieurs années nous suggérons l'organisation de négociations substantielles sur le désarmement, et ce pratiquement sur tous ses aspects. Nous voyons que nos initiatives ne sont pas soutenues par nos partenaires. Au contraire, on cherche constamment des prétextes pour démanteler le système existant de sécurité internationale», a noté Vladimir Poutine.

Et d'ajouter: «Moscou suspend sa participation au traité FNI et n'a pas l'intention d'initier de nouvelles négociations à ce sujet.»

Un autre Kalibr

La Russie réagira à la sortie des USA du traité FNI par la conception de nouveaux armements. C'est ce qu'a déclaré le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou lors de son entretien avec le Président du pays. D'après le ministre, il s'agira de la version terrestre du missile de croisière mer-sol Kalibr, ainsi que d'un futur missile hypersonique sol-sol.

«Il s'agira d'un Kalibr complètement différent, d'une version profondément modernisée, précise Dmitri Kornev, rédacteur en chef du site Military Russia. La portée de la version terrestre pourrait atteindre 2.500 km. Voire plus. Peu d'informations ont filtré sur le missile hypersonique pour l'instant. On élaborera probablement un tout nouveau système d'une portée minimale de 1.500 km. Les nouveaux missiles pourraient fonctionner avec le même système, en utilisant un vecteur commun qui utiliserait le même groupe de véhicules logistiques. Cette technologie a déjà été testée avec l'Iskander-M.»

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Face au retrait unilatéral US, la Russie suspend sa participation au Traité FNI
Le ministère russe de la Défense a déclaré samedi que les États-Unis avaient commencé à se préparer au retrait il y a deux ans déjà. En particulier, la compagnie Raytheon située à Tucson (Arizona) a déjà construit de nouvelles usines.

«Raytheon fait partie des plus grands groupes d'armement américains et mondiaux. Il fait partie des dix plus grandes compagnies de défense. En termes de vente de missiles, ce groupe est un leader mondial incontestable. Les autres producteurs ne pourront pas se rapprocher de ses chiffres à court terme. Le matériel balistique, et notamment les missiles, sont son principal secteur d'activité. Le groupe construit tous les types de missiles contemporains, notamment air-sol, air-air et sol-sol», note Andreï Frolov, rédacteur en chef du magazine Export Vooroujeniï.

Selon le ministère russe de la Défense, cela fait longtemps que les Américains mènent des travaux sur des missiles à moyenne portée. Il est question du missile-cible Hera, développé depuis 1992, dont le premier vol d'essai a eu lieu en 1994. En 2013, le Pentagone a commandé une version modernisée de Hera pour un montant total de 74 millions de dollars, selon les experts.

«Hera est utilisé pour tester les systèmes de défense antimissile. Mais de par sa trajectoire de vol et ses particularités de construction il ne se distingue pratiquement pas des missiles de moyenne portée. Il suffit d'y ajouter une ogive guidée pour le transformer en arme offensive», déclare l'expert militaire Vladislav Chouryguine.

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Raytheon planche également sur des missiles similaires aux Iskander-M russes. L'un d'eux, le DeepStrike, est basé sur les systèmes de missiles aérobalistiques. Ils suit une trajectoire balistique, mais ne quitte pas l'atmosphère terrestre et peut éliminer des cibles dans un rayon de 500 km.

«Après des travaux de recherche et développement, il est possible de créer un système de bien plus grande portée sur la base du DeepStrike. En particulier, il faut augmenter la longueur du missile et créer un nouveau vecteur. Ce qui est une tâche parfaitement à la hauteur des moyens de Raytheon», indique l'expert militaire Anton Lavrov.

L'obéissance transatlantique

«Le traité serait inéluctablement détruit si les USA n'étaient pas stoppés dans leur élan, si personne ne parvenait à faire revenir les Américains à la table des négociations, où toutes les initiatives russes connues restent en vigueur. Soit les alliés de Washington au sein de l'Otan continueront de ne faire qu'un avec Washington en couvrant sa politique destructive dans le domaine du contrôle des armements, du désarmement et de la non-prolifération, soit ils se réveilleront, prendront conscience de leur responsabilité dans la situation et s'armeront de courage politique pour appeler les choses par leur nom. C'est seulement dans ce cas que le traité FNI pourrait avoir une chance de survivre, et il est inutile d'attendre davantage de la part de la Russie», a déclaré le sénateur Konstantin Kossatchev.

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Les risques que représente cette situation inquiètent l'Europe au plus haut point. Les tentatives d'empêcher la rupture du traité FNI sont entreprises avant tout par l'Allemagne, qui a obtenu cette année le statut de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Les intérêts de la sécurité européenne sont affectés de «manière fondamentale» aujourd'hui, a reconnu le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas, qui s'est rendu fin janvier à Moscou pour évoquer les solutions permettant de préserver le traité avec son homologue Sergueï Lavrov.

De nombreux représentants officiels de l'UE se sont rangés du côté des Américains. Plusieurs diplomates européens ont expliqué que les USA avaient fourni «suffisamment d'informations» aux alliés de l'Otan qui prouveraient que la Russie a enfreint plusieurs termes du traité FNI. Mais ces interlocuteurs n'ont pas pu expliquer en détail de quoi il s'agissait, se référant à la confidentialité des informations obtenues.

«Malheureusement, comme c'est souvent le cas dans les affaires entre l'Est et l'Occident, l'Allemagne n'incite pas activement Washington à respecter ses engagements. Nous observons également la même «obéissance transatlantique» dans d'autres pays de l'Otan, en particulier chez les nouveaux États membres de l'Alliance, avec leur politique et rhétorique russophobes irrationnelles», déclare Alexander Neu, député allemand du parti Die Linke.

La rupture du traité FNI est un scénario que l'Europe préférerait éviter quoi qu'il arrive.

«Nous perdrons l'un des plus importants niveaux de sécurité en place depuis des décennies», a déclaré une source haut placée de l'UE.

D'après Jarmo Viinanen, ambassadeur au contrôle des armements du ministère des Affaires étrangères de la Finlande, le traité FNI est le plus abouti et apporte une contribution considérable à la garantie de la sécurité de l'Europe.

«Nous avons appelé les États-Unis et la Fédération de Russie à poursuivre le dialogue sur la stabilité stratégique. Il faut examiner toutes les options pour préserver le traité FNI. Pour les pays tiers qui ne sont pas membres du traité, il est très difficile d'élaborer des propositions concrètes pour sa préservation», a déclaré le diplomate finlandais, reconnaissant que l'Europe ignorait comment il était possible de le faire.

Et après?

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En fin de semaine dernière, Udo Bullmann, leader de la deuxième plus grande fraction du Parlement européen — le Groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates — a suggéré d'inscrire la question relative au traité FNI à l'ordre du jour de la session de février du Parlement européen, tout en déclarant que c'était Donald Trump, et non la Russie, qui mettait en péril la paix et la sécurité en Europe.

Toutefois, il ne s'agit plus de savoir qui en est le fautif. Il est indispensable de comprendre quelles sont les démarches à engager. Pour l'instant, tout prête à penser que les Américains déploieront de nouveaux missiles en Europe — certainement sur le territoire de nouveaux membres de l'UE, estime Alexeï Arbatov.

«Les missiles russes viseront toute l'Europe. Mais la course aux armements n'est pas inévitable — ce n'est un séisme ou une météorite. Il serait tout à fait possible de l'éviter si la Russie et les USA parvenaient à s'entendre», conclut l'expert russe.

L'une des solutions consisterait à créer un nouveau mécanisme d'inspections et de vérifications, estime Alexander Neu.

«Je proposerais de mettre en place de nouvelles inspections, c'est-à-dire d'accepter la proposition de Moscou d'examiner les nouveaux missiles russes, ainsi que les systèmes américains Aegis Ashore installés en Roumanie et sur le point d'être déployés en Pologne», a déclaré le député allemand.

Selon Alexander Neu, ces inspections devraient prendre en compte la participation de spécialistes de pays neutres, par exemple l'Afrique du Sud qui n'est pas impliquée dans la sécurité en Europe.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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