Ces derniers pensent que la politique étrangère et la position de la Russie sur la scène internationale doivent passer — et passeront certainement — au second plan à la fin de la troisième présidence de Vladimir Poutine pour se focaliser sur la politique nationale. Jusqu'à la fin de ce mandat et pendant le suivant s'il se présente et remporte une quatrième élection, Vladimir Poutine va se consacrer à la reconfiguration du système pour le priver d'une gestion manuelle.
Dans le même temps, les experts notent que l'image de réussite dont il bénéficie pourrait faiblir s'il n'entreprend pas de réformes.
Nicolas Ier, Alexandre III, Roosevelt ou Adenauer?
Le président américain, explique-t-il, est arrivé au pouvoir en pleine crise économique aux États-Unis et sa nouvelle ligne a permis de surmonter la Grande dépression. Adenauer a dû remettre sur pied l'Allemagne vaincue pendant la Seconde Guerre mondiale, et de Gaulle a dû reconstruire la France d'après-guerre. "Ces hommes politiques bénéficiaient d'un grand soutien et de la confiance de la population. Il y a une certaine ressemblance", pense Konstantin Kostine. Selon lui, aucun politicien n'a aujourd'hui l'envergure de Vladimir Poutine.
"Poutine doit maintenant suivre la voie du réformateur Alexandre II, d'autant que son crédit de confiance actuel est suffisamment grand, qu'il y a le potentiel nécessaire et l'expérience historique, estime Nikolaï Mironov. Son quatrième mandat officiel doit être réformateur. Cela ne peut pas continuer. La stabilité apparente s'est transformée en stagnation".
Qui est Poutine? Encore une question pour l'Occident?
"Le plus important pour Vladimir Poutine est qu'il a le bon profil et un certain avantage parce que la Russie peut mener sa politique sans consulter d'autres partenaires, contrairement à l'Occident où ce processus d'influence politique est bien plus complexe", ajoute le politologue.
Selon Hoffmann, l'image du président russe s'est détériorée aux yeux des élites principales: "Poutine n'est peut-être pas perçu comme un ennemi, mais comme un homme qui poursuit des intérêts complètement différents de l'Occident à l'heure actuelle".
C'est également l'avis de Fedor Loukianov, président du Conseil de politique étrangère et de défense, qui pense que l'Occident ne se pose plus cette question depuis longtemps: "Poutine n'est plus considéré comme une personne mais comme une marque, une marque très exagérée".
"L'hystérie autour de Poutine qui, soi-disant, étrangle la démocratie avec ses tenailles, s'ingère dans toutes les élections, est un stratège incroyablement rusé: tout cela relève des peurs psychologiques des élites occidentales qui ne comprennent pas ce qui se passe. Tout ne se déroule pas comme ils l'avaient prévu et voici l'explication qu'ils ont trouvé", explique l'expert.
Mais en Russie également, poursuit Fedor Loukianov, la perception de Poutine n'est pas dépourvue d'une certaine "mythologisation". "Il reste toutefois le pilier de notre système politique — que cela plaise ou non. C'est un fait. C'est pour cela, je pense, qu'il est perçu de manière adéquate comme un dirigeant absolument irremplaçable aujourd'hui", ajoute l'expert.
"Tout le monde comprend que Poutine est un politicien déterminé. Des milliers d'articles lui sont consacrés. J'ai lu plus de vingt livres publiés en Occident où les experts cherchent à expliquer les motifs du comportement de Poutine. Je pense que la réponse est à chercher du côté des valeurs. Les plaintes de dirigeants étrangers concernant l'imprévisibilité du président russe semblent très étranges. En politique, comme aux échecs, l'avantage est à celui qui arrive le mieux à comprendre les actions de ses concurrents, sachant qu'il est impossible de calculer ses coups jusqu'à la fin de la partie", résume-t-il.
Deux mandats, ou "les six piliers de Poutine"
D'après Nikolaï Mironov, le président a réussi à créer une image stable qui n'a connu que des changements mineurs au long de sa présidence.
"Évidemment, au début il était plus jeune et il n'a plus le même âge aujourd'hui: cela laisse une empreinte, l'homme paraît plus sérieux et important. Mais les principales tournures rhétoriques et les images utilisées dans son discours, les outils et les méthodes politiques, la présentation de ses actions n'ont pas vraiment changé. Il s'est positionné depuis le départ comme un leader national unificateur et capable de rétablir l'ordre", explique l'expert.
Cette image, précise Nikolaï Mironov, s'est formée pendant la première période — pendant laquelle il a surmonté le chaos des années 1990. La seconde période est arrivée après les turbulences politiques et les manifestations de 2011-2012 "qui n'étaient pas anti-Poutine mais dirigées contre le système politique injuste". A cette époque, un nouvel élément s'est ajouté à l'image du président.
"Pendant la seconde période, l'un de ses principaux exploits restera la Crimée. La politique internationale arrive alors à l'ordre du jour et, à sa rhétorique, s'ajoute l'image d'un homme qui porte le pays vers de nouvelles positions sur la scène internationale. Le rétablissement d'un grand État a été inscrit à l'agenda. C'est le deuxième grand problème qui existait chez nous. Ça et le problème des années 1990. Cette nouvelle rhétorique et cette nouvelle image ont parfaitement réussi", analyse Nikolaï Mironov.
Selon Konstantin Kostine, depuis que Poutine est au pouvoir ses actions reposent sur un même socle de valeurs, qui est à la base du soutien actuel du président russe.
"La stabilité et la prévisibilité font partie des principaux exploits de Vladimir Poutine, c'est ce pourquoi les Russes l'apprécient le plus selon tous les sondages russes et étrangers", rappelle-t-il.
Avec la réforme fiscale, les transformations économiques et le rétablissement de l'ordre dans les relations fédératives on voit que "le mouvement en avant était continuel mais prudent, conscient des circonstances réelles". "C'est évidemment une approche très conservatrice qui est également propre à Poutine", estime Konstantin Kostine.
Les problèmes à l'ordre du jour
Selon les experts, aujourd'hui Vladimir Poutine cherche à reconfigurer le système pour qu'il ne nécessite plus de gestion manuelle. Le principal socle de valeurs, selon eux, reste toutefois inchangé.
D'après lui, la sixième année du mandat de Vladimir Poutine se déroulera dans des conditions différentes à cause d'un changement évident de la situation internationale, notamment de la politique américaine. "Ses anciens exploits ne seront pas effacés mais on ne pourra plus avancer avec les anciennes approches", analyse-t-il.
Le politologue Nikolaï Mironov est également de cet avis et pense que l'image de politicien accompli dont bénéficie Vladimir Poutine pourrait faiblir car de nombreux problèmes des années 1990 refont surface. "Le niveau de vie a chuté et au premier plan reviennent les problèmes de corruption et de communication entre le pouvoir et la population… Le problème de l'élite privilégiée, de l'oligarchie, que Poutine avait traité au début de sa présidence, réapparaît", remarque-t-il.
Fedor Loukianov est du même avis, qui note que dans un contexte où certains pays se tournent vers les problèmes intérieurs, comme le montre le slogan du nouveau président américain Donald Trump "L'Amérique avant tout", la Russie devrait agir de même "car sans cela les succès extérieurs ne sauveront plus" l'image du président.
De plus, estime Loukianov, Vladimir Poutine pourrait reconfigurer le système et le libérer de toute gestion manuelle: "Je pense qu'il devra s'en occuper pendant son prochain mandat s'il le briguait", a-t-il dit.
Poutine prendra-t-il des mesures radicales?
Nikolaï Mironov suggère de lancer un programme de réformes socioéconomiques et politiques "en les appelant par leur nom au lieu de les cantonner à des paroles ou à des mesures palliatives pour resserrer certaines vis".
Nikolaï Mironov entrevoit la répétition du problème de 1996, quand Boris Eltsine avait été élu avec une popularité en déclin et que, dans les années qui avaient suivi, il avait dû chercher un successeur "car il n'arrivait pas à rétablir sa légitimité".
Dans le même temps, selon Alexeï Zoudine, "la rigueur soulignée et la fermeté ne sont pas inhérentes au président russe, au contraire". "Mais l'exigence est inhérente au politicien Poutine: l'exigence vis-à-vis de lui-même et de ses subordonnés, des membres de son équipe et ainsi de suite. Je ne pense donc pas qu'il faille s'attendre à terme à une certaine fermeté, mais je pense que l'exigence de Poutine restera à un niveau élevé", estime le politologue.
Nikolaï Mironov se demande si Vladimir Poutine entreprendra les démarches radicales nécessaires pour assurer sa légitimité et améliorer son image dans le pays.