L’«Internet souverain» est un moyen de «survivre si la Russie est déconnectée de force»

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Dans un entretien avec Sputnik, le vice-président de la Chambre de commerce franco-russe, Dmitri Demidenko, estime que l’«Internet souverain» sert «non pas à se déconnecter du Web, mais à survivre, si la Russie est déconnectée de force». Balayant de fait les soupçons de censure, de contrôle, d’isolement autour de la «souveraineté numérique russe».

Dans un récent entretien avec des journalistes, Vladimir Poutine s'est dit convaincu que la Russie devait être prête à se déconnecter d'Internet, car cette menace depuis l'Occident existe. Selon le Président russe, si cela se produit, les dégâts seront énormes. Dmitri Demidenko, vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe (CCIFR), a expliqué dans une interview accordée à Sputnik ce qu'il y avait vraiment derrière l'idée de créer un «Internet souverain» en Russie, quel était son but, ainsi que son fonctionnement.

Sputnik: Certains médias mainstream parlent de la tentative du gouvernement russe de censurer les informations disponibles aux citoyens. Qu'y a-t-il vraiment derrière l'idée de créer un «Internet souverain» en Russie?

Dmitri Demidenko: «Le concept d'"Internet souverain" a déjà suscité beaucoup de rumeurs et de conjectures. Dès le début, je voudrais donc mettre les accents nécessaires: l'"Internet souverain" n'implique pas que la Russie disposera d'une sorte d'Intranet dans lequel elle vivra, alors que seules les personnes spécialement sélectionnées, munies de pass spéciaux et de cartes, seront autorisées à utiliser l'Internet externe. Non. L'idée de base est que la Russie devrait avoir aussi la possibilité de vivre et de travailler dans des conditions où Internet serait fermé, au cas où quelque chose arriverait à l'extérieur. Ce cas sous-entend essentiellement, selon les auteurs du projet de loi, une agression extérieure, faisant référence au concept de défense américain, où la possibilité d'attaques contre la Russie sur Internet était spécifiquement mentionnée.

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De ce point de vue, le projet de loi est clair et plutôt logique, bien que j'aie entendu l'opinion que pour des raisons de sécurité, il suffirait de placer des objets critiques d'infrastructure et de sécurité dans le réseau interne (ce qui est déjà fait), alors que l'idée d'y mettre tout ce qui est sur le Net ne serait qu'un besoin de contrôle universel. Cette idée est à contester, car à notre époque de numérisation totale, on peut semer le chaos dans la société, non seulement en coupant le réseau électrique de la ville, mais en privant les gens de la possibilité de commander un taxi via une application. J'exagère certes, mais les cas de meurtres provoqués par des rumeurs lancées via WhatsApp sont connus. C'est pourquoi, la volonté d'inscrire dans l'infrastructure essentielle les réseaux sociaux, les messageries et les applications bancaires, et tout l'Internet en général, est tout à fait compréhensible. Alors que la censure, ou plutôt la capacité de l'exercer, n'est dans ce cas qu'un des effets secondaires. En bref, je ne pense pas que ce soit le but de ce projet de loi».

Sputnik: Et comment fonctionnera «l'Internet souverain» en Russie? À quoi s'attendre?

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Dmitri Demidenko: «On suppose que certaines solutions techniques seront mises en œuvre, à l'aide desquelles, si c'est nécessaire, la partie russe d'Internet pourra exister de manière autonome, indépendamment du fait que cela se produise dans le "réseau externe". Il s'agit du routage interne du trafic, ainsi que des noms de domaine. Dans ce cas, bien entendu, ces solutions techniques pourront désactiver complètement tout le trafic externe, ainsi que filtrer le trafic interne. Et grâce à ces méthodes de verrouillage il sera impossible de le contourner à l'aide d'un serveur proxy».

Sputnik: Comment pouvez-vous commenter les craintes concernant les conséquences imprévues provoquées par la déconnexion temporaire du World Wide Web et l'utilisation exclusive de l'«Internet souverain»?

Dmitri Demidenko: «"L'Internet souverain" est nécessaire non pas pour se déconnecter du World Wide Web, mais pour survivre si nous [la Russie, ndlr.] sommes déconnectés de force. Un isolement complet de l'extérieur est bien sûr théoriquement possible, mais techniquement il est très difficile de le mettre en œuvre. D'autre part, la possibilité de «s'enfermer dans un cocon» sera certainement utile dans le cas d'attaques informatiques globales ou d'autres actions agressives. Aujourd'hui, ils semblent relever de la science-fiction, mais beaucoup de choses semblaient impossibles il y a quelques années encore».

Sputnik: En essayant de créer un Internet complètement autonome, la Russie elle-même ne l'affaiblit-elle pas? Ainsi, Andrew Sullivan, directeur général d'Internet Society (l'organisation engagée dans le développement et la maintenance de l'accès à Internet) a déclaré: «Si vous développez un système pouvant être désactivé, cela signifie qu'un tel système peut s'éteindre par accident».

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Dmitri Demidenko: «Eh bien, il y a une certaine logique. La capacité technique de vivre sans le monde extérieur suggère que la communication avec le monde extérieur peut être interrompue de l'intérieur. C'est comme une arme à feu entre les mains d'un policier: bien sûr, on suppose qu'elle sert à de bonnes fins et, avec son aide, le policier sera en mesure de protéger les citoyens de la criminalité. Cependant, avec le même succès, en cas d'intentions hostiles, ce pistolet peut être utilisé à des fins directement opposées. Par conséquent, il ne reste plus qu'à espérer que les intentions de ceux entre les mains desquelles il y aura ‘'l'interrupteur d'Internet'', sont exceptionnellement bonnes. Ainsi les accidents sont peu probables».

Sputnik: Est-il possible de comparer le modèle de «l'Internet souverain» de Russie avec celui de la Chine? Faudrait-il emprunter à la Chine quelques inventions dans ce domaine?

Dmitri Demidenko: «En introduisant des restrictions importantes dans l'utilisation de l'Internet mondial, la Chine a simultanément créé de nombreuses conditions pour que son industrie numérique locale affiche une croissance explosive. Il s'agit d'un écosystème développé composé d'entreprises, d'institutions de support, d'une promotion de la formation en informatique et d'un accès aux entreprises-demandeuses. Ce sont ces éléments de la stratégie de développement de l'Intranet que je voudrais emprunter aux Chinois. Bien sûr, uniquement en fonction du nombre d'utilisateurs, la taille du marché russe, y compris l'Internet, n'est pas comparable à celle du marché chinois, mais elle reste assez importante, alors que nous avons assurément suffisamment d'inventions techniques et de ressources humaines talentueuses».

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La Douma (chambre basse du Parlement russe) a soutenu le 12 février un projet de loi qui, de l'avis de ses initiateurs, est capable de garantir le fonctionnement ininterrompu d'Internet en Russie, même en cas de déconnexion du réseau mondial.

Après son adoption, les médias étrangers se sont mis à débattre vivement de ce sujet, comparant la Russie à la Chine, accusant les autorités russes de contrôler le cyberespace et de se préparer à une cyberguerre.

Pourtant, les initiateurs de ce projet, la sénatrice Ludmila Bokova et le sénateur Andreï Klichas, l'expliquent par la mesure de se préserver contre la stratégie nationale de cybersécurité des États-Unis, signée par Donald Trump en septembre dernier, qui énonce le principe du «maintien de la paix par la force».

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