1941-1945: la guerre entre deux permissions

© RIA Novosti . Natalia GubarevaSaveli Tchernychev
Saveli Tchernychev - Sputnik Afrique
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La guerre n'a pas surpris Saveli Tchernychev lorsqu'il sortait de l'école militaire. Mais elle l'a tout de même pris au dépourvu.

La guerre n'a pas surpris Saveli Tchernychev lorsqu'il sortait de l'école militaire. Mais elle l'a tout de même pris au dépourvu. En 1941, les officiers soviétiques ont reçu l'ordre de former les soldats au combat en raison de l'expérience de la guerre de Finlande. Mais comme beaucoup d'autres militaires, Saveli Tchernychev pensait que les affrontements contre les nazis ne commenceraient pas avant l'automne, et à la veille du 22 juin il rentrait à la maison, lors d'une permission bien méritée, afin de voir sa famille, ses amis et sa fiancée.

Un congé interrompu

Ce congé était très attendu. Après avoir terminé l'école militaire, Saveli Tchernychev n'a plus pu quitter l'armée. Après la campagne dans l'ouest de la Biélorussie en 1939, son régiment se préparait à la guerre de Finlande, à laquelle il n'a pas été envoyé, puis il a été muté dans la région de Tambov. Pendant la formation, sachant ce qui se passait en Europe occidentale, les soldats ne comptaient pas partir en permission. Mais en juin 1941, Saveli Tchernychev a tout de même demandé à rentrer à la maison, et une permission de 10 jours lui a été accordée. Il a pris le train à Rada, près de Tambov, le 20 juin, et le 22 juin il était arrivé dans le village de Korenevo, dans la région de Koursk. Le lieutenant a changé de train pour se rendre dans son village natal de Jadino.

Saveli se souvient que le temps était magnifique. Le Soleil, le ciel bleu, la fraicheur de la verdure. Evidemment, il ne pensait pas à la guerre ou à la situation internationale difficile, dont on lui avait parlé pendant sa formation.

"Je pensais à mon école, nous étions la première génération à avoir fait 10 ans d'études secondaires. Je me souvenais aussi du film Tchapaïev que j'avais visionné dans la ville de Rylsk. C'était le premier film [soviétique] sonorisé, très patriotique. A l'école je m'intéressais à Tchapaïev, à Boudenny, à Vorochilov et d'autres héros de la guerre civile russe, c'est en partie la raison pour laquelle j'ai décidé de devenir militaire", raconte Saveli Tchernychev.

Il est descendu du train à la station Pouchkarny pour se rendre dans son village natal, Jadino. Il était environ 10 heures du matin, lorsqu'il a vu sa mère près de la maison. Il n'avait pas prévenu de sa visite, on peut donc imaginer à quel point elle était heureuse. Ils sont entrés. Ensuite son oncle est venu. Ils ont parlé assis à table. Ou c'est plutôt Saveli qui parlait, et sa mère avec l'oncle l'écoutaient. Le jeune lieutenant racontait à ses proches que la guerre était inévitable, sans savoir qu'elle avait déjà commencé.

Plus tard ils ont vu le père qui s'approchait rapidement de la maison.

"Qu'est-ce que tu fabriques ici?", a-t-il demandé en voyant son fils.

"En permission", a répondu Saveli.

"Quelle permission?! C'est la guerre!", s'est écrié son père.

Cela ne signifiait qu'une chose pour Saveli: il fallait rentrer au régiment. Entre temps, la maison a été rapidement remplie par les habitants du village. Les femmes pleuraient, les hommes discutaient avec anxiété. Saveli est allé dire au revoir à ses amis et à sa fiancée Maria.

"On s'est promis de se marier après la guerre. Mais quand je suis rentré en 1945, j'ai appris qu'elle était mariée. Ce n'était pas très agréable, bien sûr", raconte Saveli.

Il ne se rappelle pas à quoi il a pensé pendant la nuit précédant son départ. Il se souvient seulement qu'il n'a pas dormi. Sa mère pleurait dans la chambre voisine.

"Bien sûr, beaucoup de pensées lui traversaient la tête, car on ne sait jamais ce qui peut se passer à la guerre: on peut être blessé ou mourir. Mais j'étais militaire, et c'était mon devoir. D'ailleurs, nous étions tous des patriotes et nous allions à la guerre avec enthousiasme", se souvient le vétéran.

Il est parti le 23 juin à l'aube.

De retour à Morchansk, dans la région de Tambov, où était cantonné son régiment, Saveli Tchernychev a eu le temps de sauter dans le dernier train militaire. Les soldats ont traversé les villes de Moscou et de Kalinine (aujourd'hui Tver) en chantant et en plaisantant. Ils chantaient "Si demain la guerre commence…", chanson célèbre bien connue dans le pays à la fin des années 1930. Convaincus de leur victoire, ils se préparaient à anéantir l'ennemi. Et seulement à la gare de Bologoïe (à mi-chemin entre Moscou et Leningrad), en voyant les destructions causées par les bombardements et les trains soviétiques détruits, ils ont arrêté de chanter. La guerre n'était plus pour demain, elle était ici et maintenant.

Une opération sans anesthésie

Saveli Tchernychev est un véritable homme de terrain, qui sait ce qu'est une longue retraite, écrire des lettres à la maison sans recevoir de réponse et de vivre pendant quatre ans et demi sur la ligne avancée du front – la plus dangereuse partie du front.

Toutefois, sur la ligne avancée il n'y a avait pas seulement la mort, mais également l'amour – Natacha du QG de leur bataillon, qui a été envoyée dans son bataillon par les chefs militaires qui n'avaient pas réussi à conquérir la jeune femme. Il se souvient encore de Natacha, à qui il n'a pas eu le temps de dévoiler ses sentiments.

Il y avait beaucoup de douleur sur la ligne avant du front. En juillet 1944, en Pologne un obus a éclaté dans le poste de surveillance où se trouvaient les artilleurs, et un éclat a touché le capitaine Tchernychev à la tête.

"Ça y est, la guerre est finie pour moi!", s'est-il dit. Puis il a compris qu'il était en vie, mais il ne sentait pas la partie droite de son corps et ne pouvait pas parler. Les camarades l'ont aidé à rejoindre l'unité médicale d'où il a été envoyé à l'hôpital de campagne.

"Les médecins ont extrait les éclats d'obus de mon crâne sans anesthésie. Selon la première version, il n'y en avait pas, selon l'autre, les médecins craignaient que je ne me réveille pas. J'ai été attaché à la table avec des sangles. Le chirurgien a pris un instrument ressemblant à un burin et a commencé à creuser mon crâne pour en extraire les éclats. A mes cris et mes pleurs il répondait: "Camarade capitaine, camarade Tchernychev, tiens le coup, je vais sortir l'éclat." Ils l'ont retiré et posé dans ma main. Je me suis évanoui et je suis resté sans connaissance pendant trois jours", se souvient le vétéran.

Un village qui ne reste que dans les souvenirs

Ironiquement, la ligne avancée du front passait par son village natal. Quand son unité revenait de la bataille de Koursk, Saveli Tchernychev a demandé à son commandement de l'autoriser à se rendre pour quelques heures à Jadino, d'où il n'avait jamais reçu aucune lettre durant toutes ces années. Mais il n'y avait plus de maison. A l'endroit où elles se trouvaient avant il n'y avait que des cheminées carbonisées. Son école, à laquelle tant de souvenirs étaient associées, était complètement détruite. Le village a été rasé pendant l'attaque de la ligne avancée du front, il ne restait que des longues herbes.

Saveli a trouvé sa mère dans la cave de pierre humide de leur ancienne maison. Elle y vivait seule – son père avait été également envoyé à la guerre. En voyant son fils, la femme le regarda en silence, puis a fondu en larmes. Les voisins se sont rassemblés. Ils ont préparé une table avec la nourriture amenée par Saveli Tchernychev. Ils ont parlé toute la nuit, et à l'aube il est parti pour rattraper ses camarades.

C'était sa dernière rencontre avec sa mère. Lors de la permission suivante, après la victoire de 1945, en revenant de Tchécoslovaquie il a trouvé la cave vide. Sa mère était morte de typhus. Il a revu son père seulement en 1956. En apprenant que sa femme était morte, et sans avoir des nouvelles de son fils, il s'est installé en Sibérie.

Le seul de sa classe

Saveli Tchernychev a écrit un livre intitulé "Sur la ligne avancée du front" pour parler de ses proches, dont il ne reste aucune photo, de Natacha, qu'il n'a pas pu rencontrer après la guerre, même sachant qu'elle était en vie, et de ses camarades de front.

"Bien sûr, je faisais des conférences à l'école pour parler de la guerre, et c'était difficile, parfois j'avais comme une boule dans la gorge. Je m'y rends souvent et j'ai donné beaucoup d'affaires au musée qui a été créé là-bas", raconte Tchernychev.

C'est le seul de sa promotion à être revenu de la guerre.

 

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