La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie I. 24 Juin 1812, L’Empereur Napoléon passe le Niémen

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Le 24 juin 1812, l’Empereur Napoléon qui est sorti depuis quelques semaines de sa torpeur parisienne, et qui vient de passer quasiment trois années dans une certaine inaction, a décidé, à contre cœur l’invasion de la Russie.

C’est bel et bien un peu la mort dans l’âme, que l’Empereur s’était résolu à cette invasion qu’il savait risquée, mais Napoléon n’était pas homme à reculer devant un défi. Entre 1805 et 1809, il était venu à bout de ses ennemis les plus constants, les Autrichiens, mais aussi des Prussiens et des Russes qui après une série de défaites, d’Austerlitz, en passant par Eylau et Friedland avaient consenti une paix à la France.

L’Empereur à la sortie de ses plus brillantes victoires, en 1807, devait pourtant commettre une série d’erreurs compromettant ses chances de succès face à une Europe rétive à accepter la domination du héros de la Révolution. Dans son île la perfide Albion n’avait cessé de fomenter des complots contre l’homme, de susciter des guerres contre la France, grâce à sa flotte, grâce à son or, et grâce à la destruction de la principale escadre franco-espagnole à la bataille de Trafalgar.

Cette ennemie, l’Empereur avait cru la toucher dans son système de blocus continental qui devait l’emporter dans d’imprudentes conquêtes, notamment celle de l’Espagne et du Portugal, conquêtes inachevées, installant un chancre sur les arrières de l’Empire. Menacé et attaqué à nouveau par l’Autriche en 1809, l’Empereur est une fois encore vainqueur et expulse l’ennemi anglais de la péninsule ibérique. Ces affaires privées vont toutefois l’éloigner du théâtre espagnol, où malheureusement il ne remettra plus les pieds.

L’Armée française est enlisée dans le bourbier espagnol, dans une guerre cruelle, où les généraux font des fortunes, les conscrits meurent atrocement torturés par les guérilleros, et où les conflits d’intérêts, les manipulations et les mesquineries s’épanouissent entre les généraux et les maréchaux français. La guerre donc perdure dans la péninsule, donnant un allié inespéré à l’Angleterre qui va y poursuivre une guerre d’usure contre la France. L’Angleterre n’est pas vaincue, elle est en guerre plus ou moins permanente avec la France depuis de nombreux siècles, un bras de fer un temps apaisé, qui renaît lorsque la France devient une grande puissance maritime.

Entre les deux cousines européennes, il ne peut y avoir qu’un vainqueur, les guerres de l’Ancien régime ne furent qu’une succession de passe d’armes entre les deux ennemies, jusqu’à la guerre d’indépendance américaine, et jusqu’aux guerres révolutionnaires. Pour la première fois, l’une d’elle, la France, menace la seconde sérieusement, au point de déclencher un conflit en 1793, qui durera sauf pendant l’intermède de 1802 et 1803, jusqu’en 1815. L’une et l’autre luttent en effet pour la domination de l’Europe et du Monde. Les Français ont été vaincus dans les précédentes manches, en Amérique, aux Indes. La victoire américaine a certes écornée l’étendard de l’Angleterre, mais elle n’a pas rétabli l’équilibre. A la guerre révolutionnaire, à la guerre d’expansion que mènent les révolutionnaires de Paris, l’Angleterre s’accroche, maintes fois vaincues, mais toujours insaisissable dans son île. Elle trouve en Europe des soutiens nombreux, motive les Habsbourg, les Bourbons de Silice, soutien les Turcs, les Prussiens, les Russes.

Ces coalitions sont défaites par la jeune République française pépinières de généraux de génie, dont le plus célèbre et le plus redoutable est Napoléon Bonaparte. Quelques années plus tard, ayant saisi le pouvoir, l’Empereur a échoué à subjuguer la Russie dans un projet de partage du Monde. Les projets les plus fous sont réapparus, Napoléon s’est laissé tenter par ce mirage, espérant du Tsar russe une aide concrète. Une expédition à travers la Perse jusqu’en Inde est envisagée, le dépècement de l’Empire Ottoman et la reprise de Constantinople un temps évoqué, ombre, plutôt que projet. Mais Alexandre Ier attiré ou non par ces projets, souffre d’une opinion publique dans l’aristocratie extrêmement hostile à la France.

Il faut dire, que cette aristocratie, notamment de Saint-Pétersbourg avait vu arriver dès 1790, les premiers émigrés. Elle avait pris en horreur cette Révolution menaçante et honnie. Elle s’était enrichie du commerce avec l’Angleterre et avait durement été touchée dans sa chair lors des sanglantes défaites des années 1805-1807. C’est une alliée rétive que Napoléon ne peut dominer, et si un instant Alexandre se laisse bercer, c’est assez rapidement qu’il doit pour des raisons pragmatiques éviter les offres françaises. Déjà au congrès d’Erfurt, où un parterre de Rois et de Princes étaient accourus à l’appel de Napoléon, Alexandre avait éludé une nette alliance contre l’Angleterre.

Ne pouvant obtenir plus qu’une neutralité, Napoléon est vite inquiété par les préparatifs de guerre russes et surtout par quelques entorses au blocus continental malgré la promesse des traités de ne pas commercer avec l’Anglais. Désormais dans l’esprit de Napoléon, la guerre est inévitable, la Russie, si elle ne consent à abattre l’Angleterre, ne peut être qu’une ennemie, et Napoléon pense à cet instant que cette guerre spectaculaire amènera une victoire qui forcera l’Anglais à conclure une paix stable. Car en Angleterre, l’année 1811 a été une année difficile économiquement, le pays est au bord de la ruine, des mouvements révolutionnaires ouvriers se sont profilés, le pays est fatigué et incertain. Napoléon imprudemment pense vraiment pouvoir en terminer en soumettant la Russie.

Il prépare une armée gigantesque, à cette époque inégalée par son nombre, une Grande Armée hétéroclite composée de 20 nations et d’autant de langues dit la légende. Après quelques aventures d’espionnages dignes des films modernes, l’Empereur a même mis la main sur la matrice de cartes russes, préambule obligatoire à une invasion qui ne peut se faire sans carte, dans un pays totalement méconnu par l’envahisseur. Le 23 juin 1812, le gros de cette armée est rassemblé au bord du Niémen et commence la traversée et l’invasion sans déclaration de guerre, dès le 24 juin. Le futur Général Griois, décrit les premiers jours de cette invasion dans ces mémoires :

« Nous quittâmes Seyny le 23 ou 24 juin. Cette petite ville assez jolie renfermait beaucoup de juifs, mais bien différents de ceux que nous avions vus, ils étaient propres et bien vêtus, la plupart avec des espèces de soutanelles de soie noire. Je logeai chez l’un d’eux et sa maison était fort bien tenue. Le 24, nous eûmes en route un orage effroyable, le ciel était embrasé et l’horizon couvert d’une fumée noire et épaisse, elle s’élevait des forêts qui bordent le Niémen du côté de la Pologne, on y avait mis le feu dans une étendue de plusieurs lieues, pour masquer nos mouvements à l’ennemi. Le 25 juin, notre corps arriva vers les 10 heures sur les bords du Niémen, environ une lieue au-dessus de Kovno. Trois ponts avaient été jetés depuis Kovno au point où nous nous trouvions, et une partie de l’armée avait déjà passé le fleuve, sans presque éprouver de résistance. Nous passâmes sur le pont de droite et prîmes position sur le territoire russe au bord du fleuve qui en forme la limite. Il faisait ce jour-là un temps magnifique et le soleil dardait sur les armes et les cuirasses des innombrables troupes de toutes les nations qui se succédaient sans interruption sur les trois ponts. Il est impossible de décrire ce spectacle. Toutes ces troupes rivalisaient de tenue et d’ardeur et couvraient au loin les deux rives. Jamais armée européenne ne présenta un ensemble aussi brillant et d’une majesté aussi imposante. Le passage dura trois jours ». /L

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