Extrême-Orient russe: le volant à droite provoque une révolution

© RIA Novosti . Alexeï EremenkoMarché automobile de Vladivostok Zeleny Ougol (Coin vert)
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La circulation routière surprend beaucoup - et rend même perplexes - les visiteurs de Vladivostok, dans l'Extrême-Orient russe.

La circulation routière surprend beaucoup - et rend même perplexes - les visiteurs de Vladivostok, dans l'Extrême-Orient russe.

"Regarde, cette voiture a le volant à droite", observent deux délégués chinois du récent sommet de l'Apec (Coopération économique pour l'Asie-Pacifique) par la fenêtre d'un bus. Leur surprise s'est renforcée quand ils ont constaté que les trois voitures suivantes avaient la même caractéristique.

En Russie, on circule du côté droit de la route mais en Sibérie et en Extrême-Orient, les véhicules avec conduite à droite, importés du Japon, sont plus nombreux. Le volant à droite est donc un phénomène courant.

Le fait ne surprend pas que les visiteurs – il a engendré un problème politique qui aurait pu devenir une véritable bombe à retardement. Les autorités renforcent constamment la pression sur les automobilistes à coups de taxes douanières et autres mesures visant à accroître le coût d'importation des voitures, pour tenter de mettre un terme à l'"indépendance automobile" de la région.

Car l'éloignement économique de la capitale s'est progressivement transformé en aliénation politique: l'empiètement étranger sur ce secteur, représentant des milliers d'emplois, a provoqué une vague de protestations trois ans avant celles qui ont eu lieu ces derniers temps à Moscou.

Quatre ans auparavant, le degré de tension avait atteint son point culminant et il a même fallu envoyer la police anti-émeute à Vladivostok pour rétablir l'ordre public. A l'heure actuelle, 60% des véhicules dans le kraï du Primorie ont le volant à droite.

Par ailleurs, les leaders du mouvement protestataire se préparent aux élections locales, où l'opposition compte s'imposer face au parti au pouvoir Russie Unie.

L'époque du déclin

Le marché automobile de Vladivostok Zeleny Ougol (Coin vert) est très impressionnant pour celui qui vient y chercher une voiture pour la première fois. Les régiments de voitures s'étendent sur plusieurs collines et le paysage s'apparente à une véritable armée motorisée qui aurait pris position aux abords de la ville.

Les commerçants du marché s'accordent pourtant à dire qu'auparavant, même au milieu des années 2000, il était encore deux fois plus grand qu'aujourd'hui. En septembre 2012, il représentait déjà près de 7 000 voitures.

"On continue à toucher nos 5% sur les ventes, comme avant", déclare Sergueï, vendeur, qui passe ses journées au travail sous le soleil brûlant de septembre. "Mais les acheteurs payent plus aujourd'hui".

Les Toyota, qui représentent 60% des voitures en circulation à Vladivostok, sont des véhicules avec la conduite à droite importés du Japon.

A la charnière des deux siècles, une voiture d'occasion japonaise valait en moyenne entre 2 500 et 3 500 dollars alors qu'elle coûte aujourd'hui près de 10 000 dollars, principalement en raison de diverses taxes sur l'importation, explique Sergueï, qui préfère ne pas dévoiler son nom.

Sergueï et ses collègues, torse nu en raison de la chaleur, ne perdent pas leur temps à critiquer les autorités ou à discuter de plans de départ à l'étranger. Les seuls hommes politiques qui suscitent chez eux une réaction positive sont les membres du mouvement TIGR, un groupe local né des protestations régionales contre la hausse des taxes sur l'importation des véhicules.

"Ils visent à évincer les personnes puissantes des affaires", déclare le fondateur de TIGR,

Maxim Vedenev, évoquant la politique du centre fédéral de la région. "Aujourd'hui, les plus obstinés partent simplement en Nouvelle Zélande, en Australie, à Singapour ou à Bangkok."

Entre 1989 et les années 2010, la population du kraï de Primorie s'est réduite de 300 000 personnes - jusqu'à atteindre 1,9 million d'habitants.

Les premiers manifestants

Les premières taxes douanières sur les voitures d'importation avec le volant à droite ont été instaurées au milieu des années 1990 et depuis, le coût de ces véhicules n'a cessé d'augmenter. La dernière mesure a été prise en septembre dernier avec l'adoption d'une taxe dont le montant variera entre 3 000 et 700 000 roubles (entre 75 et 17 500 euros) en fonction de la valeur du véhicule.

La pression des autorités a soudainement augmenté en 2008, lorsque les taxes douanières sur les véhicules d'occasion importés ont augmenté de 100% pour les véhicules légers et de 200% pour les camions.

Des manifestations ont été organisées dans toute la ville de Vladivostok et les protestataires sont rapidement passés des exigences économiques aux slogans antigouvernementaux. Des milliers de conducteurs bloquaient les routes et avaient même tenté - en vain - d'assiéger l'aéroport local.

"Un officier de police m'a dit que des cartouches avaient disparu de tous les magasins de chasse", se souvient un fonctionnaire du gouvernement. "J'ai discuté avec plus d'une cinquantaine de manifestants que je connaissais personnellement et leur ai dit: Vous êtes fous? On ne veut pas de violence."

En fin de compte, la violence était unilatérale. Lorsque les forces de l'ordre locales ont refusé d'intervenir, Moscou a envoyé des troupes spéciales qui ont réprimé par la force la révolte des conducteurs. Les manifestations ont été dispersées, des centaines d'acheteurs de voiture en colère ont été interpelés et les tarifs élevés ont été tout de même adoptés.

"Ces mesures ont effectivement infligé un grand préjudice au commerce, dans toute la ville on pouvait voir les pancartes signalant la fermeture d'une enseigne", déclare Maxim Vedenev.

Mais grâce aux manifestations, les autorités n'ont pas osé adopter un plan encore plus radical, qui visait à interdire complètement les voitures avec le volant à droite, déclare Artem Samsonov, député régional du parti communiste qui a également participé aux manifestations.

Le député Artem Samsonov, qui a participé aux manifestations de 2008, espère que son parti prendra le pouvoir à Vladivostok.

Les meilleurs 4x4 sont fabriqués au Japon

La part des importations de voitures dans le PIB de Primorie est passée de 15% en 2008 à 1,7% en 2012, selon le département régional du développement économique. Cependant, entre janvier et juillet, cet indice a augmenté de 13% en termes annuels.

60% des véhicules - près de 970 000 unités en chiffres absolus - ont toujours le volant à droite en Extrême-Orient, selon les résultats du sondage réalisé en juillet par l'agence Avtostat. 950 000 voitures avec conduite à droite roulent également en Sibérie, contre 560 000 véhicules à l'ouest de l'Oural.

A Vladivostok un monument pour le volant à droite a même été érigé – un bas-relief sur la rue Sportivnaïa à l'est de la ville -, représentant un marin tenant son volant au -dessus de sa tête, dans la main droite. Il a été inauguré en août dernier seulement.

En 2009, le constructeur automobile russe Sollers a ouvert dans la région une usine subventionnée par l'Etat et à l'heure actuelle, deux autres sont construites en collaboration avec des partenaires japonais. Elles fabriqueront des véhicules Mazda et Toyota. On étudie également la création de coentreprises avec des compagnies japonaises et coréennes pour la production de pièces détachées dont des sièges, des tableaux de bord et des amortisseurs.

3 000 emplois seulement seraient créés dans ces usines alors qu'en 2008, jusqu'à 200 000 personnes travaillaient dans la région pour importer des voitures.

Le chiffre réel pourrait être largement supérieur car beaucoup n'étaient employés du secteur que partiellement, achetant à l'occasion une voiture aux enchères au Japon pour la ramener à Primorie et la revendre, explique M. Samsonov.

Dmitri Zabora fait partie de ceux qui ont commencé de cette façon. Il a revendu sa première voiture achetée au Japon avec de l'argent emprunté à ses parents en 2003. Aujourd'hui, sa compagnie Carwin.ru vend entre 70 et 100 véhicules par mois et la majorité d'entre eux sont importés du Japon.

L'industrie de l'importation et de la revente de voitures ne disparaitra pas, en dépit de la hausse des taxes, jusqu'à ce que certains types de véhicules comme les 3-5 portes fiables, les minibus 7 places ou des voitures quatre roues motrices de qualité soient directement accessibles en Russie, déclare Dmitri Zabora.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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