Histoire et traditions de la vodka russe

© RIA Novosti/Avrora Artem PavlovLe personnel du musée est convaincu que la vodka est un produit russe
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Les Chinois, les Polonais, les Italiens et bien d'autres ne tomberont jamais d'accord - et continueront à nier que la vodka est une invention russe.

Les Chinois, les Polonais, les Italiens et bien d'autres ne tomberont jamais d'accord - et continueront à nier que la vodka est une invention russe.

Il y a beaucoup d'avis et tous divergent. Cependant, au musée d'histoire de la vodka, le personnel est persuadé que cette boisson est un produit purement russe.

Le moine Isidore et l'alambic du monastère Tchoudov

"On estime que la vodka – ou plutôt la gnôle – a été inventée au XIVème siècle par le moine Isidore, explique l'administratrice du musée d'histoire de la vodka russe, Janna Gagarinova.

Il était d'origine grecque mais a créé cette boisson au monastère Tchoudov, à Moscou.

Isidore avait un alambic à sa disposition mais l'histoire ne nous dit pas comment il s'était retrouvé entre les mains des moines."

Le produit obtenu par le moine Isidore fut appelé pendant quatre siècle "vin de pain" en Russie, car on le préparait à partir de blé, de seigle et d'orge. D'ailleurs, cette "boisson de pain" n'avait pas de teneur en alcool fixe et variait entre 20 et 60 degrés.


Les premières distilleries, le verre de pénalité et la médaille d'ivrogne

Au XVème siècle, quand les premières distilleries ont commencé à produire de l'alcool, le grand prince Ivan III a établi le premier monopole public sur la production et la vente de vin de pain. L'argent coulait alors dans les caisses de l'Etat.

Les dirigeants suivants ont ensuite supprimé et rétabli ce monopole sur le vin selon les époques. Toutefois, aucun d'entre eux n'a jamais douté de l'avantage commercial de cette boisson.

"Au début du XVIème déjà, la Russie vendait son eau de vie à l'étranger : en Suède, en Livonie et dans d'autres pays. Pour sa propre population, la vodka était vendue uniquement dans les tavernes ou les pubs à partir de 1533. A noter : la vodka était vendue "à emporter" dans des seaux de 12,3 litres jusqu'en 1885", explique Janna Gagarinova.

Diverses traditions associées à la consommation de boissons alcoolisées, vénérées par les Russes de nos jours, puisent leurs racines dans un passé très lointain. Par exemple, le verre de pénalité bu par un retardataire a été instauré par le tsar réformateur Pierre Ier. Toutefois, aux réceptions impériales, le verre de pénalité était une coupe du "Grand Aigle" de 1,5 litre.

"Le retardataire devait boire cette coupe d'un coup, explique Janna Gagarinova. Les étrangers venaient aux soirées de Pierre Ier accompagnés. Autrement dit, un homme buvait la coupe et tombait immédiatement. Il pouvait ne pas se relever jusqu'à la fin de la fête. Et l'autre discutait pendant ce temps de politique et des affaires d'importance nationale."

On sait que le tsar se rendait volontiers au synode des "idiots" et des "bouffons" où l'on buvait de l'alcool par seaux. Cependant, on sait à coup sûr que c'est Pierre le Grand qui a instauré en 1714 "l'ordre en fonte de l'ivresse".

"Souvent on appelle cette ordre "médaille", car on en accrochait une de 6,8 kg aux ivrognes, avec des chaînes. Il était impossible de retirer cette récompense honteuse et en général, on la portait pendant une semaine. Parfois, la punition était prolongée", dit Janna Gagarinova.

La vodka, les nobles et le chimiste Mendeleev

Les historiens affirment que le terme "vodka" apparaît pour la première fois dans le décret d'Elizabeth Ier "qui avait le droit d'avoir des cubes de doublement de la vodka" en 1751. Cependant, le grand public n’a commencé à utiliser ce terme qu’au milieu du XIXème siècle.

On sait que toutes les castes, à l'exception des nobles, devaient acheter de la vodka vendue par l'Etat.

"Catherine II autorisait les nobles à fabriquer leur vodka eux-mêmes, mais seulement pour leur propre consommation, déclare Janna Gagarinova. La vodka fait-maison fermentait avec diverses herbes, baies et fruits. Il y avait de la vodka de gland, de cumin, d'aneth, dont chacun déterminait la teneur en alcool lui-même."

D'ailleurs, en parlant de degrés : en 1894, la boisson contenant 40% d'alcool et passée à travers un filtre à charbon a été brevetée comme vodka nationale russe.

"Beaucoup sont persuadés que l'inventeur de la vodka était le célèbre chimiste Dmitri Mendeleev. Il aurait prétendument déterminé que 40% était le degré idéal pour la boisson, raconte Janna Gagarinova. En réalité, le terme "vodka" n'est employé nulle part dans ses Considérations sur la combinaison de l'alcool et de l'eau. Le scientifique s'intéressait davantage aux solutions à base d'alcool et leurs propriétés. Il n'a jamais essayé d'améliorer la recette de la vodka. D'ailleurs, il a défendu sa thèse en 1865 alors que le brevet pour la vodka n'a été obtenu qu'en 1894."

Peine de mort pour l'ivresse

La première "loi sèche" a été instaurée avant la Révolution d'octobre. En 1914, pendant la Première guerre mondiale, l'empereur Nicolas II signe le décret interdisant la production et la vente de boissons alcoolisées.

Lorsque les bolchéviques sont arrivés au pouvoir, ils ont maintenu la loi et ceux qui la transgressaient étaient punis avec une sévérité révolutionnaire. La peine capitale n'était pas exceptionnelle.

Vladimir Lénine semblait indifférent à la vodka : il aimait la bière brune de Munich qu'on lui amenait depuis la Bavière, même pendant les pires années de famine du début de l'époque soviétique.

"En effet on fusillait les gens assez souvent. Bien sûr il y avait d'autres méthodes : on faisait la propagande d'une hygiène de vie saine, l'alcoolisme était assimilé à la syphilis ou la tuberculose. Parfois, on détruisait des caisses de vodka sous les yeux des travailleurs, pour l’exemple", explique Janna Gagarinova.

La sobriété et la culture

Toutefois, la masse ouvrière sobre a pu souffler - ou plutôt expirer des vapeurs d'alcool - dès 1923. C'est à cette époque que le pays des Soviets a rétabli la vente libre de boissons alcoolisées. Et la population s'est littéralement lâchée.

Six ans plus tard, en 1929, même les écoliers se rassemblaient devant les usines le jour du salaire, munis de pancartes "Papa, ne bois pas !", "Papa, apporte le salaire à la maison !".

Staline n'avait pas instauré de loi sèche mais il a tout de même lancé une campagne de lutte contre l'ivresse. Les pubs étaient remplacés par des salons de thé qui ne vendaient pas d'alcool. Le magazine Sobriété et Culture a également vu le jour, qui n'a été fermé qu'en 1997 en raison du manque d'abonnés.

Nikita Khrouchtchev, qui a succédé à Staline en 1958, a interdit la vente de vodka dans les réfectoires ouvriers et les snacks. Les prix sont montés en flèche – environ trois roubles, et les Soviétiques ont dû apprendre à "penser à trois".

La contribution de chaque participant était d'un rouble. L'initiateur d'une consommation d'alcool en groupe levait le doigt devant un magasin de boissons alcoolisées. C'était un signe qui signifiait "Rejoignez-moi avec un rouble".

Cette pratique s'est poursuivie à l'époque de Brejnev. Mais on se rassurait : "Camarade !

Ne désespère pas, le prix de la vodka baissera…". Mais les prix ne faisaient qu'augmenter et les compagnons de boisson partageaient la bouteille à 'oreille, en fonction du nombre de "glou".

Quelqu'un a compté qu'il y avait exactement 21 "glous" dans une bouteille – soit 7 "glous" par personne.

Les "boucles" de Gorbatchev

Le 17 mai 1985, des mesures contre l'alcoolisme et pour l'éradication de la production d'alcool illégale étaient annoncées. Ce document a été publié dans les journaux, annoncé à la télévision et à la radio.

Le lendemain, Mikhaïl Gorbatchev est devenu le héros des plaisanteries, se transformant du secrétaire "général" en dirigeant "minéral". Et tout le pays, de Brest à Vladivostok, a commencé à faire la queue pour acheter de la vodka, désormais vendue à des heures restreintes et sur présentation d’un ticket.

"Il y avait de très longues files d'attente devant les magasins d'alcool. On les appelait même les "boucles" de Gorbatchev, déclare Janna Gagarinova. Les gens devenaient fous dans ces files d'attente, il y avait beaucoup de bagarres et d'infractions administratives. A l'époque, une personne avait droit à deux bouteilles par mois."

Les vignes de Crimée, de Moldavie et de Kouban étaient impitoyablement détruites. Les caisses de l'Etat perdaient des milliards de roubles. Trois ans plus tard, le sevrage général du pays était reporté pour une durée indéterminée.

Le personnel du musée d'histoire de la vodka russe espère que le pays ne connaîtra jamais cette époque. Il préférerait voir l'arrivée d'une autre ère – celle de la culture de consommation d'alcool. Car c'est précisément pour cela, pour connaître les subtilités de cette culture, que le musée d'histoire de la vodka a été créé.

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