1812: Napoléon et l'incendie de Moscou

© Sputnik1812, incendie à Moscou, par Vassili Verechtchaguine
1812, incendie à Moscou, par Vassili Verechtchaguine - Sputnik Afrique
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Le 15 septembre 1812 Napoléon est entré victorieusement au Kremlin par la rue Arbat. Il arrive qu'on rêve de quelque chose de grand et de magnifique. Et qu'on l'obtienne. Mais pas toujours dans le sens qu'on le rêvait.

Le 15 septembre 1812 l'empereur français Napoléon est entré victorieusement au Kremlin par la rue Arbat. Les rues de Moscou étaient désertes.

Lorsqu'il est entré dans Moscou, il a été surpris de voir que les Russes avaient laissé aux Français tous leurs canons et des milliers de prisonniers tout en emportant les pompes à incendie et ruinant les casernes de pompiers.

Il arrive qu'on rêve de quelque chose de grand et de magnifique. Et qu'on l'obtienne. Mais pas toujours dans le sens qu'on le rêvait. Tandis que Napoléon courait derrière l'armée russe, après avoir envahi la Russie en 1812, il rêvait d'une seule grande bataille après laquelle le tsar Alexandre Ier demanderait immédiatement la paix. Il rêvait d'une grande victoire. D'une seule. Et il rêvait de Moscou.

Mais Napoléon n'arrivait pas à battre les Russes. Pourquoi? Il n'arrivait pas à les retrouver. Ils esquivaient, se cachaient et s'enfonçaient plus loin dans le pays en laissant derrière eux des villages et des villes en cendres. Alexandre Ier ne se comportait pas comme un homme ni chevalier. Au lieu de rentrer dans la bataille il entraînait derrière lui l'ennemi dans les profondeurs du pays asiatique, effrayant et inconnu. Bref, il était un seigneur faible et perfide. Ses généraux étaient faibles et dépendants. Le général russe Piotr Bagration suggérait de livrer le combat, Mikhaïl Barclay de Tolly insistait sur le contraire, et tous les deux étaient considérés comme des espions. Il n'y avait qu’un seul véritable homme russe, le chef de l'armée russe Mikhaïl Koutouzov, mais Alexandre ne le supportait pas, d'autant qu'il avait déjà perdu Austerlitz. Alexandre était en permanence au sein de l'armée, ce qui la paralysait littéralement car sa protection personnelle nécessitait un millier d'hommes.

Napoléon se moquait de l'état de l'armée russe et riait au visage du ministre de la police Balachov, envoyé par Alexandre pour demander la paix. "Qu'est-ce qu'ils font tous? a répondu Napoléon avec insolence à Balachov, parlant des militaires russes. Phull propose, Armfelt contredit, Barlaï chargé d'exécuter ignore quoi conclure, et le temps passe sans qu'ils ne fassent rien". La fable de Krylov Le cygne, l'écrevisse et le brochet décrit bien cette situation, dans laquelle les trois protagonistes veulent atteindre le même objectif mais, pas les moyens contraires qu'ils utilisent, annulent complètement l'efficacité de leur action.

Finalement le partisan de la tactique du retrait, Barclay, a été remplacé par Koutouzov: cela signifiait que le combat aurait lieu. L'armée russe, qui haïssait ses chefs pour la retraite en arrière, en rêvait également. Même si Koutouzov ne voulait pas particulièrement se battre les Russes ont ralenti, se sont arrêtés et ont pris position. "Comment s'appelle cet endroit?", a demandé Napoléon. "Borodino, Sire", a répondu l'éclaireur français. Simplement Borodino…

Et voici que l'on reçoit quelque chose de grand justement quand on en rêvait — mais pas dans le sens où on l'a rêvé. Borodino a été la plus importante et sanglante bataille de l'histoire avec près de 100.000 corps laissés à l'abandon pendant un an et demi sur les lieux des combats. On ignore qui a vraiment remporté la bataille de Borodino — ou bataille de la Moskova. Les deux camps se sont appropriés la victoire mais sans joie. En revanche, les Français et les Russes ont tous les deux admiré leur courage mutuel. Mortellement blessé, Bagration, le meilleur général russe selon Napoléon, a crié "bravo" aux soldats français qui avançaient en courant sous la pluie d'obus. Un jeune officier français se tenait seul au milieu d'un champ. "Où est votre régiment?", a demandé Napoléon. "Ici", a répondu l'officier en pointant du doigt le sol semé de corps. Pendant ce temps les Russes battaient en retraite lentement, en formation, sans même courir quand 300 canons napoléoniens leur tiraient dans le dos. Ils tombaient — mais ne couraient pas. Apparemment, il existe des nations qui savent mieux mourir que vivre.

Napoléon voulait rattraper Koutouzov mais il était attiré par Moscou. Premièrement, il pensait que les Russes étaient une nation primitive et superstitieuse qui tomberait immédiatement après avoir perdu son cœur. Deuxièmement, il était lui-même superstitieux.

13 septembre. Napoléon est sur le mont Poklonnaïa. Devant lui: Moscou. Le matin est dégagé. Le soleil tape sur les coupoles des églises. Ses rêves se réalisent…

Les Russes se retiraient pas la route de Riazan tandis que Napoléon entrait pas la rue Arbat absolument vide. La Marseillaise sonnait funestement dans les ruses vides quand quelqu'un a crié: "Il va y avoir un incendie!". Les maisons étaient pillées et abandonnées. La Russie – un sphinx…

Puis c'est la perfidie orientale habituelle qui attendait Napoléon. Au lieu de rendre la ville de manière "civilisée" comme à Vienne, Berlin et Madrid où les vaincus abandonnaient le pouvoir et la police pour donner les clés de la ville au vainqueur, les Russes sont partis en emportant ou en détruisant tous les dispositifs d'incendie, en abandonnant leurs blessés, avant de mettre le feu à la ville le lendemain. Le Kremlin était en flammes. La rue Solianka, le quartier Zamoskvoretchie – de même. Napoléon a failli périr dans l'incendie puis s'est perdu dans les rues en feu de l'Arbat, a traité les Russes de barbares et s'est installé dans un autre endroit en les maudissant.

Par la suite le maire de Moscou Rostopchine se vantera d'avoir mis le feu à la ville, tantôt niera en être à l'origine. Pas étonnant car les habitants auraient demandé d'être indemnisés et il s'avérera que jusqu'à 20.000 blessés de guerre russes soient morts dans l'incendie. Rostoptchine était un patriote et haïssait la mode française, ce qui ne l'a pas empêché de s'installer à Paris après la guerre.

L'Armageddon de Moscou a duré du 15 au 18 septembre. L'incendie s'est éteint après quatre jours. Napoléon est revenu à Moscou. Les provisions n'avaient pas brûlé dans l'incendie.

Après avoir occupé le centre du monde barbare Napoléon a demandé la trêve à trois reprises. Ne recevant aucune réponse il écrivait sans relâche à Alexandre: "Seigneur, mon frère, Moscou n'existe plus. Vos hommes l'ont brûlée…". Suivi de demandes humiliantes de paix. Mais Alexandre ne répondait pas. Les chevaux tombaient par milliers: il n'y avait pas de verdure. Paris et la civilisation étaient loin. Un grand homme s'est retrouvé dans un piège. Que faire? Jouer la carte de la liberté qui avait autrefois réussi à séduire et à duper le peuple? Promettre un décret de libération des serfs? Le servage au XIXe siècle en Russie s'apparentait à l'esclavage: les propriétaires possédaient des harems, les paysans étaient torturés et les serfs égorgeaient périodiquement leurs propriétaires. Mais Napoléon détestait les mouvements populaires, de même que le peuple lui-même, et il préférait le terme d'empire à celui de révolution. A Moscou Napoléon a étudié l'histoire des révoltes paysannes et réfléchissait à une révolte russe. L'endroit y était propice. Mais il ne s'est pas décidé à le faire.

Napoléon a été trahi par les siens, lassés de lui et de son éternelle bravoure militaire, ses généraux favoris, Talleyrand et Fouché, ses "ministres chouchous". Napoléon avait mis sous son aile ces deux serpents sachant qu'ils le trahiraient mais ils étaient trop talentueux. Talleyrand avait dit à Alexandre Ier en 1808: "Le peuple français est civilisé, son souverain ne l'est pas; le souverain de la Russie est civilisé, son peuple ne l'est pas". Ils ont fini par "balancer" l'empereur et ont eux-mêmes fait entrer Alexandre dans Paris.

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