Jacques Abouchar. Une histoire oubliée

S'abonner
La première information officielle sur l'arrestation en Afghanistan du journaliste français d'Antenne 2 Jacques Abouchar a paru à la fin de septembre 1984. Radio Kaboul a annoncé la capture d'un Français muni d'un équipement d'espionnage.

A la mi-octobre sa conférence de presse a été organisée et retransmise à la radio. « J'ai voulu mieux comprendre les causes de l'hostilité des rebelles envers les autorités de Kaboul, leurs motifs, ainsi que les perspectives qu'ils pourraient offrir à l'Afghanistan », a dit le journaliste.

Jacques Abouchar et deux autres journalistes de la télévision ont pénétré en Afghanistan depuis le Pakistan avec un groupe de moudjahiddines pour tourner un reportage sur l'attaque de l'aérodrome de Kandahar. Les moudjahiddines en pick-ups ont franchi un secteur perdu de la frontière et ont fait un bon bout de chemin en territoire afghan avant de tomber dans une embuscade des forces spéciales.

Le 17 septembre 1984, une unité des forces spéciales soviétiques a arrêté un citoyen français. L'opération s'est déroulée dans le sud de la province de Kandahar. Dans la fusillade de nombreux moudjahiddines ont été tués, d'autres capturés. Les camionnettes avec les caméras de télévision et les armes ont brûlés. Les deux collègues d'Abouchar, un caméraman et un ingénieur du son ont pris fuite dans la nuit et ont atteint plus tard le territoire pakistanais. Abouchar a tenté de les suivre, mais ayant vu les phares des voitures arrivant en renfort, il est revenu et s'est placé dans la bande de lumière en poussant des cris et en agitant les bras.

Quelques heures plus tard le journaliste a été conduit pour subir un interrogatoire dans les locaux de la 70e brigade soviétique. Cette importante garnison était située à 20 km au sud de Kandahar non loin de l'aérodrome et de la route principale vers le Pakistan. Un témoin des événements, officier du service de propagande, se souvient :

« Autour de trois heures du matin j'ai été convoqué à l'état-major. Dans une pièce trois officiers et un homme vêtu d'un pantalon bouffant, d'apparence européenne et extrêmement épuisé, étaient assis sous une lampe brillante. Un militaire lui posait des questions en français et l'homme répondait brièvement. Des restes calcinés d'un dictaphone et d'une caméra ainsi que des boîtes rondes intactes avec de la pellicule de 16 mm, apparemment vierge, étaient posés sur la table devant le Français. On m'a demandé de traduire des papiers des moudjahiddines. L'interrogatoire a duré encore une heure. On a servi au Français un verre d'eau et un morceau de pain. Il a avalé d'un seul trait l'eau mais n'a pas touché au pain. Les papiers contenaient une liste d'armes

(Kalachnikov, mitrailleuses lourdes, munitions, roquettes, « bombes à main », c'est ainsi que les Afghans appelaient les grenades). Le prix en roupies pakistanaises était indiqué en face de chaque position ».

Le journaliste avait sur lui le scénario du reportage qu'il se proposait de tourner pendant l'attaque et une carte de l'aérodrome. Les moudjahiddines ne pouvaient pas causer un grand préjudice à l'aérodrome bien protégé. Le but consistait évidemment à montrer « la lutte du peuple afghan » contre les troupes soviétiques. Le choix d'Abouchar n'était pas le fait du hasard : il possédait l'expérience des guerres au Vietnam, du Liban et entre les Arabes et Israël. Les derniers reportages de Jacques Abouchar sur l'Afghanistan étaient consacrés aux moudjahiddines : il les filmés en train de prier, de jouer aux cartes, de décharger des armes fabriquées en Chine, de se préparer à des équipées contre les troupes soviétiques. De temps en temps on pouvait y voir le journaliste en personne et ses collègues.

Le 20 octobre la justice afghane l'a condamné à 18 ans de prison pour passage illégal de la frontière et liens avec les rebelles. Le verdict a choqué la France où un « Comité pour la libération de Jacques Abouchar » a été créé. Les passions ont été envenimées par l'interdiction pour les représentants de la France de contacter le journaliste et l'absence d'avocat français pendant le procès. Paris a promis de faire tout son possible pour la libération d'Abouchar.

L'histoire garde le silence sur les mesures entreprises. Mais dès le 25 octobre Jacques Abouchar a été relâché : il a été gracié par le président de l'époque Babrak Karmal. Sa libération a eu lieu à la veille du 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre l'Union soviétique et la France.

En France le journaliste a écrit un livre sur son épopée afghane intitulé Dans la cage de l'ours, il a dirigé des bureaux à New York et dans des pays de Proche-Orient. Plus tard il a rencontré des militaires à Moscou... L'officier qui l'avait interrogé en Afghanistan avait pris sa retraite et enseignait le français dans une école. Il ne savait rien de l'arrivée d'Abouchar à Moscou.

Après Abouchar, il n'y a plus eu d'arrestations retentissantes par les troupes soviétiques de journalistes occidentaux pénétrés illégalement en Afghanistan. Evidemment sous l'effet du « facteur Abouchar ». T

DiaporamaChemin du retour : la Russie célèbre le 25e anniversaire du retrait des troupes de l’Afghanistan

© © Photo : www.ina.fr
Jacques Abouchar. Une histoire oubliée - Sputnik Afrique
1/2
Jacques Abouchar. Une histoire oubliée
© © Photo : afg-hist.ucoz.ru
Jacques Abouchar. Une histoire oubliée - Sputnik Afrique
2/2
Jacques Abouchar. Une histoire oubliée
Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала