Napoléon Bonaparte, un symbole de l’Europe moderne

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Le 15 août 1769 naissait le grand chef militaire corse et futur Empereur des Français, qui de son vivant fut l’objet de légende et qui représente encore la modernité européenne avec toutes ses contradictions.

A cette date est lié d’ailleurs un fait très significatif de la personnalité du Général. Comme il manquait la fête du prénom « Napoléon », Bonaparte décida d’inventer, d’accord avec le Cardinal Caprara, un jour consacré à un présume martyr nommé Saint-Napoléon. Selon le martyrologe romain, le 2 mai était la fête de Saint Néopolus, un chrétien martyrisé dans l’Antiquité dont en réalité on n’avait pas d’informations historiques suffisantes. D’abord le prénom fut changé de Néopolus en Napoléon, puis, par un décret impérial de 1806, on imposa la célébration du Saint le 15 août, jour qui coïncidait avec la date de naissance de l’Empereur de même que avec la signature du Concordat entre Etat et Eglise en 1801. Cette anecdote révèle bien le propre de l’œuvre napoléonienne: l’élément politique et la dimension personnelle sont constamment entremêlés.

C’est avant tout en cela qu’on peut remarquer la modernité de Napoléon Bonaparte, qui a été peut-être le premier véritable « dictateur » au sens propre du terme de l’histoire européenne. Avant de lui, le pouvoir en Europe avait été bien sûr géré d’une façon autoritaire, mais la personne qui l’exerçait était pour ainsi dire « absorbé » par l’institution qu’elle incarnait. Ce principe avait toujours caractérisé les vicissitudes des monarchies européennes dans l’Ancien Régime: même lorsqu’on assistait à des formes de « dévotion » d’un grand souverain, l’objet de culte était le Roi en tant qu’institution, plus que la personne qui occupait le poste à un moment donné. Avec le bonapartisme le principe se renverse : c’est l’individu Napoléon qui est exceptionnel, c’est sa grandeur personnelle qui donne du sens aux institutions. A l’impersonnalité de l’Ancien Régime se substitue la centralité de l’individu qui caractérise la modernité.

Pour la culture russe, notamment, Napoléon est devenu très tôt le symbole de la puissance, de l’orgueil démesuré, du sentiment d’exceptionnalité par rapport aux autres. Dans les œuvres de Pouchkine et Tolstoï, il apparaît en toute la cruauté de sa force militaire, influencé bien évidemment par la campagne de Russie de 1812. Dans le roman Crime et Châtiment de Dostoïevski, Napoléone est l’image du surhomme qui inspire le héro Raskolnikov à tuer des innocents: le grand individu est au-delà du bien et du mal et sa force, c’est justement le droit de commettre des crimes au nom d’un but exceptionnel. Pour l’historien et philosophe soviétique Lev Gumilev, Bonaparte est aussi l’icône de l’individu « passionnaire », c’est-à-dire un homme doué d’une énergie psycho-physique hors du commun, qui fuit le calme e qui ne saurait vivre sa vie qu’en se consacrant à des aventures extraordinaires.

Sur le plan proprement politique, la modernité de Napoléon se trouve par contre dans l’exportation des principes de la Révolution française : détachement de la tradition religieuse, centralisation du pouvoir, diffusion des Codes civils, laïcisation des coutumes sociales. Au-delà des impressionnants succès militaires, l’héritage napoléonien est bien visible surtout en cela. Mais cette modernité napoléonienne, avec toute évidence, n’est pas synonyme de progrès morale et culturel dans tous les champs: le rétablissement de l’esclavage en 1802 est à son tour très symbolique de la mixture de modernisation et ethnocentrisme qui distingue encore aujourd’hui l’Europe occidentale. Enfin, il y a un aspect peu connu de la vie personnelle de l’Empereur des Français : son rapprochement à la religion catholique, voire sa conversion, pendant l’exile sur île de Sainte-Hélène. Dans ce séjour Napoléon regrettait sa politique anticléricale et reconnaissait dans le christianisme quelque chose d’unique dans l’histoire humaine, supérieur à toute autre structure politique ou religieuse. Il s’agit peut-être d’un énième élément de symbolisation de la modernité dans sa personne: comme si l’homme européen contemporain, qui se constitue lui aussi par le culte de l’individu et de la grandeur extérieure, ne savait extirper à jamais l’écho de sa propre tradition et la recherche de l’absolu qui qualifie toute existence humaine.

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