Laurent Alexandre: intelligence artificielle, «l’Europe n’a rien compris»

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L’intelligence artificielle bouleverse déjà nos habitudes, demain elle bouleversera notre civilisation. C’est en tout cas le pari de Laurent Alexandre dans son ouvrage prospectif, La guerre des intelligences. Éthique, philosophie, géopolitique, sommes-nous prêts aux prochains rapports de force?

Novembre 2017, l'avenir est à la mode. L'esthétique et la métaphysique de Blade Runner émerveillent les critiques de cinéma, tandis que l'Arabie Saoudite accorde la citoyenneté à un robot prénommé Sophia, dont la sagesse semble indéniable: «I love Parisian bakeries» a-t-elle ainsi déclaré…
Et puis, quand même un peu plus sérieusement, on trouve dans les librairies un ouvrage à la couverture blanche et noire, titré en rouge La guerre des intelligences, intelligence artificielle versus intelligence humaine, publié chez Lattès. Et son auteur, le Docteur Laurent Alexandre, est donc dans le studio de Sputnik.

La disparition d'un monde

Intelligence artificielle: opportunité ou menace?
Un essai important, tant les études prospectives, le regard prospectif en général, sont indéniablement sous-développés en France… Trépidant, haletant, cet ouvrage suit les grandes tendances de la science pour dessiner les traits incertains de la société à venir, une société où l'Intelligence artificielle sera aussi puissante qu'omniprésente.
Laurent Alexandre admet lui-même ouvrir d'innombrables fenêtres, mais une chose selon lui est sûre: «le monde d'aujourd'hui va disparaître», écrit-il avant d'ajouter que «le débat éthique et philosophique ne fait que commencer». Nous faisons face à un bouleversement de civilisation et le vieux continent serait en retard dans cette guerre de l'intelligence artificielle.

L'IA est une guerre

«On voit bien qu'il y a quatre entités géopolitiques: les États-Unis avec la Silicon Valley, qui a tout compris, la Chine, qui fait un rattrapage éblouissant, il y a la Russie, qui a compris l'équation géopolitique, même si elle n'a pas la puissance informatique de la Silicon Valley ou de la Chine. Poutine a dit cet été: celui qui aura le leadership en IA sera le maître du monde… et puis l'Europe qui n'a rien compris, qui n'a ni la puissance technologique des États-Unis ou de la Chine ni la vision géopolitique qu'a Poutine. Finalement, en matière technologique, l'Europe est en train de sortir: elle n'a pas compris que l'IA est une guerre. L'Europe pense qu'elle est en paix pour les mille prochaines années. Nous rentrons vers des confrontations entre nos cerveaux biologiques et les différents ensembles géopolitiques. Ce sera un monde dur, l'histoire est toujours tragique.»

Des dieux et des naufragés?

«Il y a des zones entières où l'esprit humain va être dépassé par l'intelligence artificielle. Pour l'instant, il n'y a pas d'IA forte, qui sait qu'elle existe. Mais même une IA qui ne sait pas qu'elle existe peut diagnostiquer un cancer mieux que le meilleur cancérologue du monde. Les gens malins, intelligents, auront encore plus d'argent et de boulot. Les autres seront sans doute dans une situation délicate. Comme nous n'avons pas modernisé l'école, réfléchi aux gens les moins doués de progresser, nous risquons d'avoir des Dieux et des inutiles: une petite aristocratie de l'intelligence gouvernant un monde où une horde de naufragés est réduite au revenu universel.»

Le tabou de l'intelligence?

«L'intelligence est un tabou: le fait qu'elle est la source de tous les pouvoirs est un tabou. La réalité est bien là: le pouvoir est détenu par les gens les plus intelligents. Si Mélenchon est le patron des Insoumis, ce n'est pas parce qu'il colle les affiches mieux que les autres. Dans tous les secteurs d'activité, le pouvoir est aux mains des plus intelligents. Si Poutine a pris le pouvoir en Russie, c'est parce qu'il est plus intelligent que les autres à la sortie du communisme. C'est prime à l'intelligence va devenir de plus en plus problématique: nous risquons un apartheid intellectuel. Nous allons passer d'un tabou de l'intelligence, et de sa mesure par le QI, à une obsession de l'intelligence: on va monitorer, développer notre intelligence biologique pour ne pas être bouffés par l'intelligence artificielle.»

L'échec d'une réaction conservatrice?


«Nous allons vers une situation moralement dégueulasse: pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous n'aurons plus besoin des gens pas très doués. Nous avons toujours eu des petits boulots pour les gens pas très malins. Mais à l'heure de l'IA et des robots, il n'y aura plus besoin, vers 2040/2060. Ils seront dans un grand souci si on ne les aide pas.»
«Les gens qui ne seront pas transhumanistes vont disparaître, pour deux raisons: comme ils ne voudront pas utiliser les technologies NBIC [nano, bio, informatique et cognitives, ndlr] pour vivre plus longtemps, ils seront moins nombreux. Les transhumanistes seront mécaniquement majoritaires. Et puis les transhumanistes vont être les premiers à accepter les technologies d'augmentation cérébrale, et seront plus intelligents que les bioconservateurs, et donc ils prendront le pouvoir. Pouvoir démographique puis politique. Il est probable que les bioconservateurs seront laminés à moyen terme par les transhumanistes.»

Des intellectuels «dépassés»?

​«Quand Finkielkraut dit qu'Internet est la plus horrible chose que l'humanité ait créée, il ne nous aide pas beaucoup à avancer. Certains de nos philosophes n'ont pas de mail, de portable, ou de vieux Nokia, ils sont un peu âgés —je parle de leur âge psychologique. Ils sont un peu restés au programme de Normale Sup» des années 60… Les réactions conservatrices à la Finkielkraut ne servent à rien et seront balayées par la technologie… Nous ne pouvons pas accepter qu'une aristocratie de l'intelligence abandonne à son sort des millions de gens moins doués. Il faut réduire les inégalités intellectuelles. Il est évident que l'intelligence doit être partagée, sinon nous aurons une société inégalitaire.»

​Un fascisme neurotechnologique?


«Une partie de la Silicon Valley veut nous faire fusionner avec les microprocesseurs, que nous abandonnions notre corps physique, c'est le cas de Kurzweil, l'un des Vice-Présidents de Google. Je pense qu'il faut garder un corps. Je ne veux pas de l'espèce de grande neurosphère, sans individualité. C'est une nouvelle forme de fascisme neurotechnologique. Et puis il faut garder une part de hasard. S'il n'y a plus de hasard, nous n'avons plus de vie. Nous devons garder une part de hasard pour que la vie ait toujours un sens.»

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