Affaire Le Scouarnec, pédocriminel, et omerta familiale: «C’est le déni habituel»

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Un enfant cache les yeux  - Sputnik Afrique
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De nouveaux éléments s’ajoutent à l’affaire Le Scouarnec. Sur les 349 victimes du pédocriminel se trouvent ses nièces. Malgré des alertes auprès de la famille, personne n’a pris en compte leur parole. C’était il y a 20 ans. Qu’en est-il de l’omerta aujourd’hui? Sputnik a interrogé à ce propos le Dr Muriel Salmona, psychiatre.

Joël Le Scouarnec, incarcéré depuis 2017, est accusé d’agressions sexuelles et viols sur pas moins de 349 mineurs au cours de ses 30 ans de «carrière». Certains actes étant prescrits, ce sont toutefois 197 plaintes qui ont été déposées à son encontre. Une ampleur qui met la lumière sur la pédocriminalité qui touche tous les milieux. Son procès se déroulera du 13 au 17 mars 2020, devant la Cour d’assises de la Charente– Maritime.

Parmi les plus anciennes victimes se trouvent ses propres nièces. Aujourd’hui âgées de 29 et 34 ans, elles expliquent avoir alerté les membres de la famille, en vain et dénoncent l’omerta familiale, comme le révèle au Parisien, Delphine Driguez, leur avocate.

«Joël Le Scouarnec sera jugé pour des viols sur l’une, commis entre ses trois et ses neuf ans, mais il est uniquement renvoyé pour des agressions sexuelles sur l’aînée. Or l’analyse du dossier –les propres écrits de l’accusé, qui tenait un journal intime très détaillé des sévices qu’il infligeait–, ainsi que des photographies prises par l’intéressé, sont sans aucune ambiguïté sur la nature de ce qu’elle a subi. Il doit être jugé en conséquence. Mes clientes estiment qu’il est temps qu’il réponde de ses actes, lui qui a si longtemps été couvert par sa propre famille», détaille Me Driguez au Parisien.

Docteur Muriel Salmona, psychiatre-psychothérapeute, chercheuse et Formatrice en psychotraumatologie et en victimologie, Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, analyse pour Sputnik cette terrible affaire.

Sputnik France: Dans l’affaire Le Scouarnec, on dénombre 349 victimes sur 30 ans. Comment ce médecin a-t-il pu agir impunément, alors que même sa femme était au courant?

Muriel Salmona: «C’est malheureusement extrêmement habituel, puisque la loi du silence et le déni prévalent. C’est le cas pour l’immense majorité des victimes, puisque l’impunité est la règle, il n’y a que 4% de plaintes, dont 10% qui aboutissent à un jugement, donc c’est le déni habituel et on ne croit pas les enfants.

Les violences sexuelles faites aux enfants, c’est tout récent qu’on en parle plus. Là, on sait qu’il y a eu des alertes, des signalements au Conseil de l’ordre, une condamnation pour détention d’images pédocriminelles, pourtant il a continué à travailler, donc il y a vraiment un déni. On ne veut pas savoir et on ne veut pas prendre en compte les alertes, même quand il y en a.

On attend que les enfants parlent. Or, ils mettent beaucoup de temps à parler, du fait de leur trauma, de la stratégie de l’agresseur et de la société qui ne veut rien savoir, au lieu d’essayer de prendre en compte les chiffres qui sont énormes. On parle d’une fille sur cinq et d’un garçon sur 13. C’est aussi le travail des médecins de faire les liens entre symptômes et les violences subies et puis que ces mêmes médecins se rendent compte que leurs confrères peuvent commettre ces actes.»

Sputnik France: Lorsqu’il s’agit de pédocriminalité, pourquoi l’omerta subsiste-t-elle, notamment dans le cadre familial, alors que 44% des violences sont incestueuses?

Muriel Salmona: «L’omerta persiste, car les enfants sont piégés, ils sont soumis a une emprise et sont en contact permanent avec leur agresseur, parfois très longtemps. Et ce contact maintient l’emprise, les troubles psychotraumatiques sont très importants, avec des amnésies traumatiques dans 40% des cas.

Et puis il y a la protection de la famille, qui est fermée au monde extérieur et qui protège son système, avec souvent des violences sexuelles sur plusieurs générations, avec pas mal de personnes qui sont touchées. Donc beaucoup d’agresseurs dans une même famille, qui va maintenir le silence en position dominante. Et si on ne pose pas de questions aux enfants, qui ont du mal à mettre des mots et à comprendre ce qui leur arrive, alors les violences persistent.

Et puis à qui parlent les enfants en premier lieu? À la famille et c’est justement les interlocuteurs qui sont en conflit d’intérêts total par rapport à ces violences. Et pour les 69% qui parlent, rien ne se passe, seuls 8% vont être protégés. C’est pourquoi les enfants doivent être questionné en dehors de la famille, être informés et ce n’est pas en leur disant “il faut dire non, ton corps est ton corps”, qu’ils vont échapper à des violences sexuelles par des personnes qui sont en position d’autorité ou de domination.»

Lorsqu’en 2012, le chirurgien –à la retraite aujourd’hui– devient grand-père d’une petite fille, ses nièces veulent porter plainte par peur pour la fillette, ils préviennent leur mère, qui l’annonce à la femme de Le Scouarnec, laquelle s’y oppose catégoriquement, promettant de lui parler. «Alors, quand mes clientes lisent une interview dans laquelle leur tante dit être tombée des nues et ne s’être “doutée de rien”, c’est pour elles insupportable…», déclare Me Degriez au quotidien.

Sputnik France: Que pensez de la psychologie de la femme Le Scouarnec? Est-elle complice de son mari?

Muriel Salmona: «Le Scouarnec n’a pas développé cette carrière de pédocriminel haut de gamme sans avoir développé de stratégies très performantes pour manipuler tout le monde. Il faut aussi connaître la stratégie avec sa femme. On ne sait pas si elle a aussi été victime, donc traumatisé et pas en état de pouvoir le dénoncer parce que sous emprise. Après, elle peut aussi être une complice active. Mais tout ça demande une enquête.

Ce que je trouve beaucoup plus grave, c’est que le Conseil de l’ordre ait continué à le laisser exercer. Lorsqu’un de ses collègues l’a signalé, il n’y a eu aucun suivi, c’est quand même fou. Beaucoup de gens ont failli, comme toujours, et heureusement qu’il y a eu cette petite fille, dont la parole a été prise en compte par sa mère, parce que les enfants entendus, c’est aussi très rare. Là, ils ont fait une fouille réelle de qui est Joël Le Scouarnec et ça n’a pas été le cas dans sa première condamnation, qui aurait pu éviter beaucoup d’enfants agressés.»

Sputnik France: Comment décrire le psychisme de Joël Le Scouarnec?

Muriel Salmona: «Il écrit dans ses carnets qu’il est très fier d’être un monstre, c’est quelqu’un d’extrêmement pervers. Il ne minimise pas, il sait que c’est une transgression grave. C’est un médecin, il sait très bien ce qu’il fait, il en connaît la gravité.

Et il faut arrêter avec le terme pédophile, il n’est pas pédophile c’est un pédocriminel. Il n’aime pas les enfants, mais les transforme en objets pour les utiliser et les dégrader, c’est de la haine absolue.

La scène internationale est d’accord pour qualifier ces violences envers les enfants comme des tortures. S’attaquer à un enfant, c’est plus facile et beaucoup plus transgressif. C’est une atteinte à l’humanité beaucoup plus importante. En plus, de le faire dans le cadre de son travail, alors qu’il est censé soigner ces enfants, c’est de l’ordre de la perversion. C’est une excitation de la toute-puissance, et plus ils en font, plus ils sont drogués et plus ils sont en état de jouissance à faire le mal.»

Sputnik France: Les adultes victimes de pédocriminalité dans leur enfance deviennent pour la plupart ultra-traumatisés. Comment libérer la parole d’un enfant que l’on soupçonne victime, pour éviter le traumatisme?

Muriel Salmona: «Déjà, si la société en parlait un peu plus, comme on parle de n’importe quel danger. Je veux dire que les enfants savent qu’il peut leur arriver un accident, ils ont accès à des contes avec des grands méchants, le loup, l’ogre, hé bien il faut faire le parallèle. En l’occurrence Le Souarnec, c’est un ogre. Et suivant leur âge, les enfants peuvent dire tout de suite s’ils sont mal à l’aise, s'il se passe quelque chose d’anormal et leur dire qu’effectivement, il y a des gens qui vont vouloir leur faire du mal, même des personnes insoupçonnables.

Il faut leur dire et surtout leur poser des questions, et pas seulement quand on a des doutes, parce que plus les enfants sont hyper traumatisés, plus ils sont dissociés, déconnectés. Les chiffres sont tels qu’il faut agir. Et au moindre doute, il faut emmener l’enfant à quelqu’un qui est spécialisé.»

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