Réflexions sur les manifestations en Russie

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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L’année 2011 se termine et avec elle un mois de décembre placé sous le signe des manifestations politiques. Rappelons les faits: suite aux élections du 04 décembre 2012 qui ont entraîné une baisse de Russie Unie et une forte hausse des partis nationalistes ou de gauche, des fraudes électorales ont été dénoncées.

L’année 2011 se termine et avec elle un mois de décembre placé sous le signe des  manifestations politiques. Rappelons les faits: suite aux élections du 04 décembre 2012 qui ont entraîné une baisse de Russie Unie et une forte hausse des partis nationalistes ou de gauche, des fraudes électorales ont été dénoncées. Ces fraudes auraient permis au parti au pouvoir et disposant de la ressource administrative, de gonfler son score et de fausser les résultats. Pourtant, près de deux semaines après les élections, alors que des enquêtes sont en cours suite aux plaintes déposées, le nombre de fraudes recensées dans le pays y compris Moscou ne semble pas avoir faussé notablement le scrutin, dont les résultats sont conformes aux nombreux sondages et estimations d’avant et d’après vote.

Revenons aux manifestations: Le 10 décembre 2011, un grand meeting unitaire  d’opposition avait lieu à Moscou, rassemblant 30 à 40.000 personnes. J’ai déjà décrit la relative incohérence politique de cette manifestation qui rassemblait côte à côte des membres de la jeunesse dorée Moscovite, des nationalistes radicaux, des antifascistes, ainsi que des libéraux et des communistes. Souhaiter le départ à la retraite de Vladimir Poutine n’est pas un programme politique, et quand à la tenue de nouvelles élections, on se demande en quoi elle concerne des dizaines de sous-groupuscules politiques non candidats à la représentation  nationale. 

Le 17 décembre le parti d’opposition libérale Iabloko a rassemblé quelques 1.500 partisans, alors que le meme jour qu’un millier de sympathisants du mouvement eurasien et du syndicat des citoyens russes (Профсоюз Граждан России) se réunissaient pour dénoncer les manipulations oranges et rappeler la nécessité d’un état fort. Le lendemain, le 18 décembre, ce sont près de 3.500 militants du parti Communiste qui se sont réunis. Le 10 décembre, lors de la grosse manifestation dopposition, l’un des leaders de l’opposition liberale, Mikhaïl Kassianov, avait affirmé que "Si aujourd'hui nous sommes 100.000, cela pourrait être 1.000.000 demain". Celui ci a appelé à un printemps politique en Russie, un discours étrangement similaire à celui de l’excessif républicain John Mc Cain ces dernières semaines. Pour autant aucune marée humaine n’a  déferlé dans les villes du pays, au grand dam de nombre de  commentateurs occidentaux qui annonçaient déjà l’Armageddon en Russie, et c’est seulement une neige abondante qui a recouvert le pays le 24 décembre, jour de la manifestation unitaire.

Cette journée du 24 décembre n’aura finalement été un succès qu’a Moscou. En province, dans les autres villes de Russie, la mobilisation aura faibli par rapport aux rassemblements du 10 décembre. A Vladivostok, la manifestation a réuni 150 personnes, contre 450 le 10 décembre. A Novossibirsk 800 personnes ont défilé contre 3.000 le 10 décembre. A Tcheliabinsk dans l’Oural, les manifestants étaient moins de 500 contre 1.000 le 10 décembre, à Iekaterinbourg 800 personnes ont manifesté contre 1.000 le 10 décembre dernier. A Oufa, 200 manifestants se sont rassemblés, soit autant que le 10 décembre. Enfin 500 personnes ont défilé à Krasnoïarsk contre 700 le 10 décembre. Notons qu’à Saint-Pétersbourg, haut lieu de la contestation et bastion libéral en Russie, de 3 a 4.000 personnes ont défilé, contre près de 10.000 le 10 décembre dernier. (Sources : Ria-Novosti et Ridus.ru).

Dans la capitale le 24 décembre, 3 meetings différents ont eu lieu. 2.000 nationalistes du parti nationaliste Libéral-Démocrate de Vladimir Jirinovski, et 3.000 sympathisants du politologue Sergueï Kurginyan ont manifesté séparément pour répondre à la "peste orange". Enfin et surtout dans ce qui est sans doute le plus gros meeting d’opposition de l’année, avenue Sakharov, ce sont 40 à 50.000 personnes qui se sont rassemblées. La manifestation de Moscou s’est déroulée sans incidents notables, si ce n’est à la fin du meeting, quand des radicaux d’extrême droite ont tenté de monter sur la tribune en force, alors même que le leader ultra nationaliste Vladimir Tor (dirigeant du mouvement NazDems) avait pris la parole quelques minutes auparavant. On peut du reste se demander pourquoi les nombreux journalistes occidentaux présents n’ont pas relevé le fait que plusieurs milliers de jeunes nationalistes radicaux sifflaient ou criaient "russophobe" en direction de certains orateurs de diverses confessions et scandaient  des slogans tels que: "les russes ethniques de l'avant", ou "donnez la parole aux russes ethniques". Un deux poids deux mesures pour le moins surprenant.

Dans le pays et donc surtout à Moscou, les rassemblements du 24 décembre ont tourné à la  cacophonie politique totale. Les meetings ont de nouveau rassemblé  toutes les composantes politiques les plus improbables, des nationalistes radicaux aux antifascistes, en passant par les libéraux, les staliniens, les activistes gays et lesbiennes ou quelques stars du Show Business russe. Plus surprenant, toujours lors de la manifestation de Moscou, la présence du milliardaire Prokhorov et de l’ancien ministre des finances Aleksei Koudrine, pourtant proche de Vladimir Poutine. Aleksei Koudrine a d’ailleurs pris la parole, ajoutant à la cacophonie ambiante et déclenchant un record de sifflements du public. Pour la première fois un député d’opposition très connu a  mis le doigt sur cette désunion systémique de la soi disant opposition, en quittant la manifestation avant même de prendre la parole. Même son de cloche pour  l’analyste politique Vitali Ivanov, pour qui l'opposition à Vladimir Poutine est une nébuleuse qui mène des conversations de cuisine.

La prochaine grande journée de manifestation devrait avoir lieu en févier, c’est à dire pendant le mois précédant l’élection présidentielle du 4 mars 2012. Pour autant, on imagine difficilement comment Vladimir Poutine ne serait pas réélu et tout d’abord au vu de la situation économique que connaît le pays. La croissance du PIB devrait frôler les 4,5% en 2011 et sans doute autant en 2012. Le taux de chômage est descendu à 6,3%, la dette du pays est faible, inférieure a 10% du PIB, et les réserves de change sont d’environ 500 milliards de Dollars. L’inflation est à la baisse, estimée pour cette année à 6,5% soit son plus faible niveau depuis 20 ans. La Russie est aujourd’hui la 10ieme économie du monde en produit intérieur brut nominal et la 6eme économie mondiale à parité de pouvoir d'achat. Selon les analyses du centre de recherche britannique CBER la Russie devrait être la 4ieme économie de la planète aux environ 2020.

Il est donc très difficile d’imaginer comment la personne jugée directement responsable de ce redressement économique par la majorité des citoyens pourrait ne pas être réélue. Bien sur il est plausible que la vague de mécontentement se reflète dans les scores de la présidentielle de mars 2012, et que Vladimir Poutine ne soit pas élu au premier tour avec 71% des voix, comme en 2004, ou avec 72% des voix, comme Dimitri Medvedev en 2008, dans une Russie en totale euphorie économique. Celui ci devra probablement envisager un score plus proche de celui de mars 2000 (Vladimir Poutine avait obtenu 52% des voix) voire se préparer à un second tour. Si tel est était le cas, il y affronterait probablement le candidat du parti communiste, Guennadi Ziouganov. Un choix cornélien pour les occidentaux, mais qui refléterait parfaitement la tendance électorale initiée par les dernières élections législatives russes qui ont vu les partis de gauche augmenter fortement leur poids électoral.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

 

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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