Le Mali, un nouvel Afghanistan ?

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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Le nord du Mali s’étend, à peu de choses près, sur la même superficie que l’Afghanistan (650.000 km2). Comme lui, c’est un pays enclavé, une zone sans débouché sur la mer. Leur principale différence : la population y est clairsemée avec moins d’un million et demi d’habitants, soit deux par km2…

Le nord du Mali s’étend, à peu de choses près, sur la même superficie que l’Afghanistan (650.000 km2). Comme lui, c’est un pays enclavé, une zone sans débouché sur la mer. Leur principale différence : la population y est clairsemée avec moins d’un million et demi d’habitants, soit deux par km2…  Il n’y a que trois villes : Gao, Kidal et la célèbre Tombouctou. C’est un territoire immense et vide, au cœur de l’Afrique. Un territoire refuge tombé sous la coupe des islamistes radicaux, l’équivalent africain des talibans afghans. Ils ne sont pas nombreux : quelques milliers de combattants tout au plus, sans doute moins pour le noyau dur.

A la suite de la chute de Kadhafi en Libye et de troubles politiques à Bamako, la capitale du Mali, trois groupes armés (AQMI, Mujao et Ansar el-Dine) ont pris le contrôle de cet immense territoire et ils y imposent, de force, la charia. Accusés d’être des lieux d’idolâtrie, les sites religieux de l’islam traditionnel sont détruits ; les couples adultères sont, au sens propre, lapidés à coups de pierre jusqu’à ce que mort s’en suive ; la musique et l’alcool sont strictement prohibés. Le mollah Omar pourrait s’y sentir chez lui. Onze ans après l’intervention occidentale en Afghanistan, avec les succès que l’on sait, nous voilà avec un nouveau front à 3000 kilomètres de Paris.

Depuis des années, on évoquait ce scénario avec inquiétude dans les cercles stratégiques et les écoles militaires : il est désormais réalisé ! Et que fait-on ? Rien. A part de grands moulinets diplomatiques qui, à défaut de modifier la situation sur le terrain, occupent les médias et donnent au moins l’illusion de l’action.

Le 25 septembre, depuis la tribune des Nations Unies, le président François Hollande a, par exemple, décrit la situation malienne comme « insupportable, inadmissible, inacceptable », ajoutant que «nous avons le devoir d’agir, d’agir ensemble et d’agir vite, car il y a urgence ». On se croirait dans un opéra italien, lorsque les cuivres sonnent et que, sur scène, les troupes partent à la bataille… en marchant vaillamment mais sur place !

Quelle est, en effet, la situation réelle ? A la veille de la session annuelle de l’Assemblée générale des Nations Unies, le gouvernement malien – ou ce qui en tient lieu depuis l’insurrection militaire de mars dernier et la partition de fait du pays – a réclamé du bout des lèvres une intervention extérieure pour l’aider contre les islamistes. Par la voix de François Hollande, la diplomatie française n’a pas manqué d’enfourcher ce cheval aimablement fourni, mais qui, pour l’heure, se révèle être plutôt une rosse.

Avant d’agir, il faut encore attendre une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies, sous le chapitre VII, qui autorise l’usage de la force armée. Contrairement à la Syrie, la Russie ou la Chine ne devraient pas bloquer l’adoption d’un tel texte lorsqu’il sera déposé. Quand ? On l’ignore.

Deuxième étape et non des moindres : la constitution de la force. On a trouvé son nom mais c’est à peu près tout… Elle s’appellera le Micema, l’acronyme de Mission de la Cedeao au Mali. Il s’agira d’une force africaine de l’ordre de trois milles hommes. Elle sera mise en place par la Cedeao, la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui regroupe 15 pays de la région, dont le plus puissant d’entre eux, le Nigéria. Cette Micema sera soutenue par quelques parrains occidentaux, au premier chef, la France qui fournira une aide logistique, de la formation et des moyens de renseignements.

La France est déjà militairement présente sur place, de manière discrète. Quelques dizaines d’hommes du Commandement des opérations spéciales (COS) sont à pied d’œuvres avec des avions et des hélicoptères, dans le cadre de l’opération Sabre – qui dure depuis trois ans. Des moyens de renseignements aériens supplémentaires sont en cours de déploiement dans des pays voisins.

Paris espère toujours embarquer d’autres pays européens dans cette nouvelle aventure africaine et se dépense sans compter pour tenter de convaincre des partenaires peu motivés. Les pays africains ne le sont en réalité guère plus. Au premier rang desquels le Mali lui-même. François Hollande le reconnaissait dans son discours aux Nations Unies quand il disait : « Je sais qu’il peut y avoir encore la tentation de mener des négociations » avec « les groupes terroristes ». Car, à Paris, chacun sait que le Mali s’accommodait fort bien et depuis longtemps de la présence de ces « groupes terroristes » sur son territoire, contrairement à la Mauritanie voisine qui, elle, les traquent sans merci.

Autre épine dans le pied : l’Algérie. Le grand voisin n’est pas mécontent d’avoir « exporté » les terroristes, souvent d’origine algérienne, hors du sol national… Et, passé colonial oblige, il voit d’un très mauvais œil toute intervention militaire de la France dans ce qu’Alger considère être son arrière-cour. Un récent roman d’espionnage « Katiba » (Flammarion 2010), rédigé par un ancien ambassadeur très bien informé, Jean-Christophe Rufin, éclaire bien la réalité complexe du terrain et les coups tordus qui peuvent en résulter…

« Négocier avec des groupes terroristes, il ne peut en être question » assure le chef de l’Etat français. Ah bon ? Mais alors avec qui discutent, ou tentent de le faire, les émissaires français dans cette région ? Car ces « groupes terroristes » détiennent six otages français, dont quatre d’entre eux ont entamé à la mi-septembre leur troisième année de détention. Leurs ravisseurs, des membres d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), n’ont pas manqué de le rappeler, dans une vidéo du 19 septembre : une action militaire française au Mali aboutirait à « la mort des otages ».

La France et son président sont aujourd’hui sur le fil du rasoir : il leur est impossible de laisser Al-Qaïda s’installer dans un nouveau sanctuaire en Afrique comme il est tout aussi impossible de sacrifier la vie de six otages français. L’habileté politique et les gesticulations diplomatiques suffiront-elles pour sortir de ce choix cornélien ? Pour l’heure, l’impuissance domine. Et ce n’est une bonne nouvelle pour personne.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

(1)  Jean-Dominique Merchet « Défense européenne : la grande illusion » Larousse 2009.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

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