Moscou, otage d’Alexandre Loukachenko

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Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
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Les relations entre la Russie et ses voisins slaves n’ont rien d’un long fleuve tranquille.

Les relations entre la Russie et ses voisins slaves n’ont rien d’un long fleuve tranquille. A peine le conflit douanier ayant opposé, à la mi-août, Moscou et Kiev était-il (provisoirement ?) clos qu’un nouveau front s’ouvrait, avec la Biélorussie cette fois.

Bref rappel des faits. Fin juillet, le groupe russe Uralkali – premier producteur mondial de potasse – annonçait sa décision de se séparer de son partenaire biélorusse Belaruskali, avec lequel il avait formé, en 2005, une coentreprise, BPC, chargée d’écouler leur production à l’étranger. A l’origine de cette décision – des exportations biélorusses « sauvages » jugées déloyales par Uralkali, mais aussi sans doute une volonté de modifier les grands équilibres sur le marché international de la potasse.

Rappelons que ce dernier était jusqu’ici partagé entre deux cartels, BPC et l’américain Cantopex, qui représentaient environ 70% de la production mondiale. Ce duopole avait contribué à une forte augmentation des cours de la potasse, passés de 140 dollars la tonne au début des années 2000 à près de 400 dollars. En annonçant son divorce avec Belaruskali et sa volonté d’accroître de façon significative sa production, Uralkali fait planer le spectre d’un effondrement des cours. Ce qu’il peut se permettre, ses coûts de production – estimés à environ 60 dollars la tonne – étant sensiblement moindres que ceux de ses concurrents nord-américains (PotashCorp, Mosaic) et Allemands (K+S).

La réaction de Minsk ne s’est pas fait attendre. Il faut dire que Belaruskali est en quelque sorte à la Biélorussie ce que Gazprom est à la Russie – un « Etat dans l’Etat », qui assure une part substantielle des rentrées en devises du pays. Des accords ont ainsi été signés avec la société de courtage Muntajat au Qatar (pays avec lequel le président Loukachenko entretient une relation aussi étroite que méconnue) et des contacts pris au Brésil en vue de la construction d’infrastructures devant permettre l’exportation de la potasse biélorusse. Les choses ont pris une tournure politique le 26 août avec l’arrestation, à Minsk, du directeur général d’Uralkali, Vladislav Baumgartner, à l’issue d’entretiens avec le Premier ministre biélorusse Mikhaïl Miasnikovitch.

Dès lors, la tension est montée d’un cran. Moscou a exigé la libération de Baumgartner, tout en ordonnant à ses compagnies pétrolières de réduire leurs expéditions vers la Biélorussie et en interdisant l’importation de cochons et viandes porcines biélorusses (officiellement pour sanitaires). Les observateurs attentifs notent cependant que le Kremlin semble en retrait dans ce dossier. Souleïman Kerimov, le principal actionnaire d’Uralkali, est en effet réputé proche de Dmitri Medvedev et des libéraux du gouvernement (Chouvalov, Dvorkovitch), et non de Vladimir Poutine comme l’a écrit la presse occidentale.

Le bras de fer entre Moscou et Minsk n’est pas terminé, mais on peut déjà en tirer quelques conclusions. La principale est que la Russie, bien qu’ayant sauvé l’économie biélorusse de la banqueroute en 2010-2011 et ayant fait d’importantes concessions commerciales dans le cadre de l’Union douanière, n’est pas en mesure de contrôler son « allié » Alexandre Loukachenko. Elle en est même l’otage.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

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