La terreur, a-t-il de la logique?

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par Marianna Belenkaïa, RIA-Novosti

La guerre en Irak, telle est sans doute la première explication possible des raisons des récents attentats en Turquie. Quoi qu'il en soit, la première ne signifie pas du tout l'unique. Tout porte à croire, en effet, que l'Irak n'est qu'un fragment de tout le tableau.

On voit bien que, ces derniers temps, par exemple, ce sont des alliés des Etats-Unis qui sont frappés partout dans le monde. Au début, ces frappes ne visaient essentiellement que les militaires américains en Irak. Par la suite, ce sont des soldats italiens qui en sont devenus victimes. Et voilà que la dernière frappe en date a été portée contre les Britanniques - diplomates et hommes d'affaires - et ce, déjà sur le territoire de la Turquie.

A signaler que tous ces attentats font aussi souffrir les musulmans - Irakiens, Turcs, Saoudiens, etc. Avant et après, des explosions ont aussi retenti en Arabie Saoudite et ainsi de suite.

Et là, une multitude de questions se posent d'elles-mêmes sur la logique de tous ces attentats.

Commentant l'attentat de ce mois de novembre dans son propre pays, l'ambassadeur de l'Arabie Saoudite en Grande-Bretagne et ancien chef du Renseignement saoudien, le prince Turki Al-Faisal, a rappelé qu'au début, la philosophie des terroristes se réduisait à chasser les "infidèles" de la Terre sainte (dans ce cas précis, c'est l'Arabie Saoudite). Des militaires sont devenus leurs premières victimes. Quoi qu'il en soit, dès 1997, les leaders de la nébuleuse "Al-Qaïda" lancent une fetwa qui exhorte les fidèles à attaquer tous les non-musulmans, y compris femmes, enfants et vieillards. Et voilà que maintenant des musulmans eux-mêmes tombent victimes des attentats, le prince Turki Al-Faisal estime que la philosophie des terroristes et leurs méthodes de lutte ont tout simplement perdu toute leur logique.

Néanmoins, certains experts estiment qu'il y a là sa logique. Comme l'a fait remarquer le membre du Conseil scientifique du Centre Carnegie à Moscou, Alexeï Malachenko, ce n'est sans doute pas par hasard que les terroristes ont pris pour cible la Turquie et l'Arabie Saoudite. La Turquie est un allié des Etats-Unis et membre de l'Alliance de l'Atlantique Nord. C'est un pays qui cherche à intégrer l'Europe et entretient des rapports étroits avec Israël, encore qu'il s'agisse là d'une coopération technico-militaire. La Turquie est un pays à un gouvernement islamique, alors que la laïcité y est déclarée en tant que principe fondamental de l'Etat. Qui plus est, bien que la Turquie ait refusé de participer directement à l'opération militaire en Irak, elle s'était quand même préparée à y dépêcher ses troupes pour aider les coalisés à maintenir l'ordre public dans ce pays. Somme toute, la Turquie y apparaît comme un exemple idéal et tout indiqué d'une "brebis galeuse dans le monde islamique".

Or, aussi étrange que cela puisse paraître, mais l'Arabie Saoudite - le berceau et le rempart de l'islam - est devenue, elle aussi, une "brebis galeuse" aux yeux des extrémistes. En effet, bien que, depuis ces deux dernières années, Riyad se soit attiré des critiques virulentes de la part de Washington pour sa complaisance face aux terroristes et l'absence des processus démocratiques dans le pays, il est toujours resté un partenaire sûr des Etats-Unis dans la région, que ce soit dans les affaires ou en politique.

Aux yeux des terroristes, les gouvernements de ces deux pays collaborent avec l'Occident, ce qui signifie qu'ils ne sont pas de vrais musulmans et méritent, par conséquent, une punition. Cela se rapporte au même titre aux citoyens de ces deux pays qui soutiennent leur direction et ne s'opposent pas à la politique que cette direction est en train de pratiquer. Aussi, méritent-ils, eux aussi, la mort. Comme on le voit bien, les terroristes ont bien leur logique à eux, logique qu'ils suivent aujourd'hui et suivront à l'avenir également dans d'autres pays musulmans, tant en Asie qu'au Proche- et Moyen-Orient.

Il n'en est pas moins vrai cependant que le prince Turki Al-Faisal a, lui aussi, raison quand il affirme notamment que les objectifs des terroristes sont plutôt flous aujourd'hui. Est-ce une lutte pour la lutte elle-même? Tout en a l'air, dirait-on.

Autrement dit, la libération du monde islamique de l'influence occidentale, l'indépendance de la Palestine et de la Tchétchénie, la délivrance de l'Irak et de l'Afghanistan des envahisseurs ne sont pour le terroriste que des prétextes pour des attentats. Si un prétexte fait défaut, on en trouvera bien un autre. Bref, la logique comme nous l'interprétons n'est guère nécessaire au terroriste. Les psychiatres ne connaissent que trop ce type d'individus pour qui la lutte n'est pas un moyen, mais bel et bien l'objectif et même l'unique mode de vie possible.

Or, tels sont les terroristes eux-mêmes. Pourtant, le problème est qu'ils exploitent très habilement une sorte de complexe d'infériorité des musulmans dans le monde contemporain qui est à son tour accablé de graves problèmes politiques, économiques et sociaux. Cela se rapporte d'ailleurs tant à certaines régions arabes et asiatiques qu'aux pays d'Occident où les migrants musulmans se retrouvent le plus souvent refoulés à l'échelon inférieur de la hiérarchie sociale.

Les hommes politiques arabes et occidentaux sont particulièrement préoccupés par un nombre sans cesse croissant de jeunes séduits par les idées des terroristes. Ainsi, la plupart des prévenus et d'inculpés, soupçonnés d'activités terroristes en Arabie Saoudite, ce sont des jeunes de 15 à 25 ans. Ce qui est d'ailleurs tout à fait naturel car les jeunes ressentent sans doute le plus l'injustice sociale et sont, en règle générale, très actifs, tout en étant bien influençables.

A signaler que les idéologues du terrorisme recrutent leurs adeptes parmi les démunis, mais aussi parmi les couches moyennes et riches de la population et même parmi de jeunes universitaires. Ces derniers s'engagent dans la voie de l'opposition à leurs propres gouvernements "réactionnaires" et à l'Occident qui ne fait, lui, que déclarer la justice sans faire quoi que ce soit pour qu'elle devienne réalité.

Ces "socialistes révolutionnaires", ces "Cromwell" et "Robespierre" de nos jours sont, en fait, les mêmes qu'autrefois à cette différence près qu'aujourd'hui on les implique de plus en plus facilement dans le réseau général de la terreur islamique, dans ce même réseau où se sont également retrouvés ceux qui luttent contre l'occupation de l'Irak ou pour l'indépendance de la Palestine.

En d'autres termes, ce mouvement de libération nationale qui était jadis considéré comme plutôt légitime est en train de revêtir aujourd'hui un accent manifestement terroriste. Pire, on dirait même qu'il fait fusion avec le terrorisme. Néanmoins, les politiques mondiaux ne se sont même pas prononcés explicitement à ce sujet. Qui plus est, il n'ont toujours pas élaboré de définition précise de la notion même du "terrorisme", en tant que tel, bien que des appels à le faire n'aient certes pas manqué. Une attaque, par exemple, contre les casernes des soldats US qui occupent, selon l'Organisation des Nations Unies, l'Irak, est-ce le terrorisme ou non? Et si les civils y ont souffert, c'est quoi alors?

Les idéologues du terrorisme déclarent que tout conflit dans les régions habitées par les musulmans est une lutte du "mauvais Occident contre le malheureux monde islamique". Selon une telle logique, tout conflit dans le monde musulman est un conflit religieux.

Le problème est que cette idéologie se montre plutôt efficace, en exerçant son impact néfaste sur les esprits, alors que l'on ne sait toujours pas comment faire face à cette idéologie. Cependant, il est absolument nécessaire de le faire. Il est tout à fait évident aujourd'hui pour les hommes politiques, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en Russie, que la force militaire ne peut pas, à elle seule, venir à bout du terrorisme. Et l'Occident n'est pas, non plus, à même, de résoudre, à lui seul, ce problème ardu.

On peut dire autant que l'on peut que l'islam n'est pas lié à la terreur. Mais si les terroristes utilisent, eux, la terminologie islamique et les postulats de l'islam à titre de leur idéologie, cela signifie qu'il est nécessaire de trouver une convaincante alternative idéologique à ceux-ci et ce, à l'intérieur même de l'islam. Il se peut toujours qu'une telle alternative devienne même en quelque sorte une réforme de l'islam.

Il est à savoir qui pourra le faire. Il convient de penser, peut-être, à faire entrer des islamistes modérés dans des structures d'administration et de gestion. L'exemple même de la Turquie montre bien qu'une fois au pouvoir et face aux besoins réels de la gestion de l'Etat, les islamistes se voient bien obligés de renoncer à leurs principes les plus immuables.

Il n'est pas non plus à exclure que ce soient justement les gens qui puissent réformer, comme il se doit, les systèmes politique, économique et social dans leurs propres pays. L'expérience de l'administration américaine en Irak montre on ne peut mieux à quel point il est difficile d'imposer des valeurs occidentales à la société orientale. Les réformes n'y sont possibles qu'à l'initiative des gouvernements locaux et seulement compte tenu de la spécificité de chaque pays concret.

Pour ce qui est des pays où les populations musulmanes deviennent chaque année plus nombreuses, ils devraient sans doute, eux aussi, réfléchir à ne pas admettre sur leur sol l'apparition d'un milieu favorable aux extrémistes. Pour le moment, une seule chose est parfaitement évidente: l'Occident n'a toujours pas réussi à absorber les migrants musulmans qui restent en quelque sorte une enclave isolée parmi des sociétés qui leur sont étrangères. La raison en réside sans doute tant dans le manque de volonté des migrants eux-mêmes de s'y absorber qu'à une attention manifestement insuffisante des gouvernements des pays d'accueil à ce problème de taille.

Or, ce ne sont certes pas là tous les problèmes que l'on doit résoudre pour triompher du terrorisme.

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