Moscou-Bakou: une coopération au beau fixe

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Par Alexeï Malachenko, membre du Conseil scientifique du Centre moscovite de la Fondation Carnegie

La première visite officielle effectuée en Russie par le président azerbaïdjanais Ilkham Aliev n'apportera rien de qualitativement nouveau dans les relations russo-azerbaïdjanaises du moment que ces dernières n'avaient jamais été aussi bonnes. En tout cas, il n'existe aucun problème gravissime entre les deux pays. Quant aux frictions observées ça et là, elles peuvent être aplanies sans difficultés particulières.

Cette situation prévalait déjà à l'époque du président Gueïdar Aliev qui s'employait à éviter toute querelle avec Moscou.

La Russie et l'Azerbaïdjan sont sur la même longueur d'onde en ce qui concerne le partage de la mer Caspienne en secteurs inégaux avec droit des Etats de prendre part à la mise en valeur des gisements pétroliers des voisins. Les ententes intervenues entre Bakou et Moscou ont beaucoup fait progresser la question du règlement définitif de la problématique caspienne.

Bakou se montre compréhensif à l'égard de la position de Moscou sur la Tchétchénie, soulignant qu'il s'agit là d'une affaire exclusivement russe. Bakou souhaiterait que Moscou ait la même attitude vis-à-vis du problème du Nagorny-Karabakh qui figure parmi les rares complications observées dans les relations de la Russie et de l'Azerbaïdjan.

Dans la question du Nagorny-Karabakh Moscou s'est toujours employé à faire le grand écart, mais sans pouvoir ne pas révéler une certaine inclination pour l'Arménie. C'est à celle-ci que des armes avaient été livrées dans les moments de crise.

Ilkham Aliev souhaite que le Groupe de Minsk de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) pour le Nagorny-Karabakh, dont fait partie la Russie, propose des solutions plus efficaces pour régler ou au moins atténuer ce conflit. Cependant, l'homme intelligent qu'il est comprend que c'est là une chose difficile. Il est curieux de voir quelle sera sa réaction à la proposition du Groupe de Minsk d'établir un moratoire de 15 ans sur la crise azerbaïdjano-arménienne à condition que les deux Etats prennent des mesures de confiance ou tout au moins s'engagent à ne pas exacerber le conflit. Au cours des pourparlers qu'Ilkham aura à Moscou la partie russe voudra connaître son opinion à propos de cette proposition.

A Bakou des rumeurs circulent selon lesquelles si la Russie prêtait assistance à l'Azerbaïdjan dans le problème karabakh, alors il n'y aura jamais de bases militaires américaines en territoire azerbaïdjanais. En est-il vraiment ainsi? Difficile à dire. Cependant, une chose est indéniable, la présence occidentale, américaine surtout, dans l'espace postsoviétique est pour la Russie source d'irritation. Il semble toutefois que l'aménagement d'une base américaine chargée de la protection de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan soit une chose entendue.

Cependant le problème en ce qui concerne l'Azerbaïdjan ne réside pas dans le remplacement de bases russes par des bases américaines. A la différence de la Géorgie, dans ce pays la Russie n'a pas de bases militaires, exception faite de la station radar de Gabala qui est restée. A l'époque sa présence avait été à l'origine de tiraillements entre les deux Etats, mais maintenant ce problème a été ôté de l'ordre du jour grâce à la souplesse manifestée par Moscou et Bakou.

Un autre problème épineux : le passage possible de l'Azerbaïdjan aux standards occidentaux en matière d'armement. Il est notoire que Bakou ne manifeste aucun empressement à acheter des matériels de guerre russes et que Moscou souhaiterait modifier cet état de choses. Seulement y réussira-t-il?

Le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) est un autre sujet de tiraillements - bien moins vifs il faut bien le dire - entre les parties. Ce tube modifiera l'itinéraire principal - via la Russie - par lequel le brut azerbaïdjanais est exporté.

En 1996, la Russie et l'Azerbaïdjan ont signé un accord selon lequel cinq millions de tonnes de pétrole seront transportées au moyen de l'oléoduc Bakou-Makhatchkala-Novorossisk. En 2002-2003, cette quantité est tombée à deux millions et demi de tonnes. La veille de la visite d'Ilkham Aliev à Moscou le ministre russe de l'Energie, Igor Youssoufov, s'est déclaré mécontent de cette situation. La Russie va s'employer à ce que le volume du brut azerbaïdjanais transitant par la Russie soit porté à cinq millions de tonnes. Igor Youssoufov a aussi ajouté que le débit potentiel du pipeline Bakou-Makhatchkala-Novorossisk était de 15 millions de tonnes l'an.

Au demeurant, la Russie est pleinement consciente que la différenciation des itinéraires pétroliers est inévitable tandis que l'Azerbaïdjan n'a aucun intérêt à froisser la Russie.

De son côté, Bakou est préoccupé par le fait que les compagnies russes rechignent à travailler dans le secteur pétrolier azerbaïdjanais. C'est que les chiffres concernant les réserves de pétrole de l'Azerbaïdjan sont très imprécis. Au début des années 1990 ce pays était comparé aux Etats du golfe Persique, mais en réalité ses réserves d'hydrocarbures sont assez limitées et pas toujours d'accès facile. C'est la raison pour laquelle les projets de mise en valeur des gisements azerbaïdjanais sont coûteux et ne seront pas rentabilisés rapidement. On comprend bien que les géants pétroliers russes soient enclins à participer à des projets plus importants qu'en Azerbaïdjan.

Certes, à Moscou Ilkham Aliev rencontrera des hommes d'affaires russes et tentera de savoir s'ils sont oui ou non disposés à travailler en Azerbaïdjan. Si la coopération dans le secteur pétrolier soulève une kyrielle de questions, ce n'est pas le cas dans le domaine de l'électricité où Moscou se montre très actif. Ainsi, Igor Youssoufov a relevé que la Russie entendait prendre part à la privatisation de sites électriques azerbaïdjanais.

Cette privatisation irait dans le droit fil de l'idée du patron de RAO EES Rossia (Electricité de Russie), Anatoli Tchoubaïs, conformément à laquelle le secteur énergétique pourrait être pour la Russie le principal instrument pour affermir ses positions dans l'espace postsoviétique.

Les immigrés azerbaïdjanais sont un autre facteur d'attraction réciproque des deux Etats. Selon des spécialistes azerbaïdjanais, de 1,5 à 2 millions d'immigrés azerbaïdjanais vivent en Russie et tous les mois chacun d'eux envoie au pays une moyenne de 100 dollars, ce qui au total représente une somme supérieure au budget national du pays.

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