Le terrorisme comme technologie politique

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par Vladimir Simonov, RIA-Novosti

Tout porte à croire que ce n'est plus l'Amérique mais la Russie qui devient aujourd'hui la principale cible du terrorisme. En effet, depuis le 11 septembre 2001, les USA n'ont pratiquement plus été visés par les terroristes, alors qu'en Russie, que ce soit à Essentouki, à Kislovodsk, à Makhatchkala ou à Moscou, des voitures piégées ne cessent de sauter, et les explosions déchirent les trains de banlieue.

L'explosion de vendredi dernier dans le métro de Moscou se distingue de tous les attentats précédents. Cette scélératesse commise en plein centre de la capitale n'est pas une simple tragédie qui a fait de nombreuses victimes, mais elle est aussi le reflet en quelque sorte de la politique intérieure russe.

Juste la veille, la campagne électorale avait démarré en Russie, et plus précisément, les premiers candidats officiels à la présidence venaient d'être enregistrés, y compris le Président sortant - Vladimir Poutine. Il ne reste plus que quelques semaines à peine avant le jour du scrutin qui doit avoir lieu le 14 mars prochain.

Et c'est justement ce facteur auquel le "gratin" de la clandestinité tchétchène armée ne manque pratiquement jamais de réagir invariablement de la même façon: s'imposer d'urgence par de nouveaux attentats. Qui plus est, ces attentats sont en règle générale emballés dans du papier cadeau et accompagnés "d'initiatives de paix" qui ne tendent pas tellement au bien-être de la Tchétchénie elle-même, mais s'assignent plutôt pour objectif de gagner les sympathies de certains milieux à l'étranger.

Souvenons-nous du 11 juin 1996 quand une explosion à la station de métro "Toulskaïa" à Moscou avait fait quatre morts. Il est difficile de supposer que les terroristes ne visaient pas alors les présidentielles, prévues cinq jours plus tard. Or, toute une série d'attentats a aussi servi "d'ouverture" aux récentes législatives - l'élection des députés à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe) de la quatrième législature.

Qui plus est, de toute évidence, le crime de vendredi dernier dans le métro moscovite a été synchronisé avec des événements en Russie, mais aussi ailleurs.

Aux fins d'illustration, reconstituons la suite des développements. Fin janvier dernier, Akhmed Zakaïev, l'émissaire de l'ex-Président Tchétchène, Aslan Maskhadov, homme qui fait objet d'un avis de recherche internationale pour formation de bandes armées et implication dans des assassinats, fait une apparition surprise en Allemagne. Le membre du groupe social-démocrate au Bundestag, Gerd Weiskirchen, a sans doute décidé que ce terroriste endurci était l'homme tout désigné pour éclairer les participants à la discussion publique sur le thème intitulé "Tchétchénie: les possibilités d'un processus de paix".

Comme il s'est avéré quelques jours plus tard, lesdites possibilités se réduisent, selon Maskhadov-Zakaïev et leurs partenaires étrangers, à la nécessité de soustraire la Tchétchénie à la souveraineté de la Russie pour la mettre sous une quelconque tutelle provisoire de l'Organisation des Nations Unies. Bien plus, une déclaration en faveur de ce projet de Maskhadov a été signée par 145 députés au Parlement européen.

Cette idée a manifestement servi d'emballage à ces 5 kilogrammes de TNT qui ont transformé en enfer le wagon d'une rame du métro moscovite. On n'avait même pas eu le temps de ramasser les fragments de corps sur les rails qu'Aslan Maskhadov proposait déjà aux autorités russes, samedi dernier, d'entamer "immédiatement" des négociations et ce, "sans aucune condition préalable". Quoi qu'il en soit, il est très difficile de se défaire de l'idée que l'explosion qui a tué 39 Moscovites et blessé 134 autres était justement cette condition préalable.

Le terrorisme tend manifestement à participer à la campagne présidentielle en Russie, y compris du côté des opposants les plus agressifs du Président sortant.

C'est que ni le nœud des séparatistes tchétchènes en émigration avec Aslan Maskhadov à leur tête, ni ses compagnons de route involontaires parmi les radicaux russes de droite ne peuvent évidemment se réjouir de la stabilisation et de l'amélioration de la vie constatées en Tchétchénie depuis cette dernière année. Les résultats favorables pour Moscou du référendum constitutionnel de mars dernier en République de Tchétchénie et des présidentielles d'octobre dernier ne profitent guère à ces forces.

Aslan Maskhadov et ses acolytes sont de plus en plus voués à l'oubli parmi le peuple tchétchène. D'autre part, les intransigeants adversaires russes de Vladimir Poutine s'aperçoivent avec amertume que leur atout électoral - la critique virulente de la politique fédérale en Tchétchénie - ne cesse de faiblir.

Tout indique que la récente explosion dans le métro moscovite a ouvert les yeux à bien des Russes pensants. Ils ont sans doute perçu ce lien involontaire, mais tout à fait logique qui existe entre les terroristes-kamikazes, d'une part, et ces opposants intérieurs au pouvoir en place, de l'autre, qui accordent, bon gré, mal gré, une signification politique à cette folie sanglante. On dirait que le terrorisme y est même érigé en une sorte de technologie politique électorale.

Le Kremlin se rend bien compte de l'éventuelle aggravation de ce danger à mesure que le 14 mars approche. En effet, la tentation d'essayer d'ébranler par des explosions le prestige même du Président, de rabattre sa cote de popularité, d'attiser les états d'esprit oppositionnels au sein de la société et de déstabiliser, finalement, le pays à la veille des élections, cette tentation ne va sans doute que s'accentuer. Dans l'une de ses récentes déclarations publiques, Vladimir Poutine n'a pas exclu que les actes terroristes et les appels venant de l'étranger à mener des négociations avec Aslan Maskhadov puissent être utilisés dans le cadre de la campagne présidentielle en Russie et à titre de levier pour faire pression sur l'actuel chef de l'Etat.

Or, on ne connaît que trop la capacité de résistance de Vladimir Poutine aux pressions extérieures. Et ce, d'autant plus que ni Aslan Maskhadov lui-même ni son entourage ne sont manifestement à même d'exercer de telles pressions, le Président Poutine les associant directement à l'organisation des actes de terreur.

Les tentatives pour transformer le TNT en facteur du processus politique intérieur incite à penser que ce n'est guère la variante américaine de surveillance totale de la population, qui rappelle tant l'URSS des années 1930-1950, ni l'introduction d'un état d'urgence que la Russie n'a pas les moyens d'instaurer, ni même le rétablissement de la peine capitale - les terroristes-kamikazes ne pourraient alors que s'en réjouir -, qui seraient le moyen le plus efficace de lutte contre le terrorisme en Russie.

Il se peut qu'un moyen efficace soit tout simplement la cohésion de la nation tout entière face au terrorisme, cohésion pareille à celle qui s'était produite en Union Soviétique à la suite de l'agression hitlérienne. Les signes en sont d'ailleurs perceptibles. Des centaines de Russes donnent aujourd'hui leur sang, essayant d'aider les victimes de la tragédie à survivre. Les Moscovites contactent plus souvent leurs voisins qu'ils ont tout simplement ignorés auparavant. Ils forment des patrouilles bénévoles dans les rues de la capitale. Somme toute, le pays commence à sentir qu'il forme une seule et même famille en danger.

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