Pas de coca pour Pyongyang

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Par Dmitri Kossyrev, commentateur politique de RIA Novosti

Les participants au nouveau round de négociations intercoréennes à six qui doit débuter le 25 février à Pékin se sont si bien préparés à l'événement que grâce à des fuites savamment organisées dans les médias américains et autres on a appris ce dont il y serait question. La seule chose qui reste encore dans le domaine du secret, c'est la question de savoir si l'administration américaine est disposée ou non à faire des pas vers ce qui pourrait ressembler à un règlement du conflit. Ce que l'on ignore aussi, c'est ce qu'elle entend par règlement.

D'après ce que l'on sait de la position américaine, on peut conclure que sur le "front coréen" l'administration Bush en pleine campagne électorale a besoin d'une action médiatique à même de plaire aux électeurs républicains. Et cette action est tellement nécessaire à Washington que celui-ci est disposé à sacrifier ses intérêts réels en Asie.

Succinctement, les Etats-Unis voudraient proposer à la Corée du Nord, qu'ils accusent de créer un armement nucléaire, un "scénario libyen" en vertu duquel Pyongyang abandonnerait de plein gré son programme d'armements de destruction massive comme le leader libyen Muammar Kaddafi l'a fait récemment sous la pression des Britanniques. Maintenant l'entourage de Bush voudrait montrer que lui aussi a de l'influence.

La divulgation dans les médias américains de la position qu'occupera Washington aux prochaines négociations avait été décidée au cours d'une conférence tenue à la Maison-Blanche au début du mois. Cette position implique l'abandon de la proposition nord-coréenne de "geler" le centre nucléaire de Yongbyon où, comme on le suppose, du plutonium militaire était traité depuis le scandale du mois d'octobre 2002, lorsque les Etats-Unis avaient accusé la Corée du Nord de réaliser des programmes nucléaires. Ce qu'il faut à Washington ce n'est pas le "gel", mais la liquidation totale de tous les programmes d'armements de destruction massive. En ajoutant au programme plutonium le programme uranium, les Etats-Unis soulignent qu'il ne faudrait pas que les Nords-coréens s'avisent de prétendre qu'un tel programme n'existe pas. Ce dernier a été évoqué après les déclarations récentes du père de la bombe atomique pakistanaise, Abdul Qader Khan, selon lesquelles il avait vendu certains éléments et technologies à la Corée du Nord. Exception faite des dires d'Abdul Qader Khan, il n'y a aucune autre preuve attestant l'existence de ce programme.

Ainsi, la Corée du Nord doit tout révéler et détruire, même ce qu'elle ne possède probablement pas. Par contre, la délégation américaine n'entend apporter aucun éclaircissement sur ce que Pyongyang obtiendra en échange. Parce que, annoncent des sources, au sein du gouvernement américain il y a des divergences à ce sujet. Dans le meilleur des cas les Etats-Unis accepteraient que ses alliés octroient une aide à la Corée du Nord. Enfin, l'administration américaine a l'intention d'entamer aux négociations une longue discussion sur les nombreux griefs formulés à la Corée du Nord en ce qui concerne les droits de l'homme, ses liens avec les terroristes, la vente de missiles.

Tout récemment, au cours de l'intense diplomatie menée en coulisse la veille des pourparlers de Pékin, il a été question de l'élaboration d'un code très général de principes de règlement de ce que l'on appelle le "problème nord-coréen", dont la mission serait d'indiquer la marche à suivre. Personne n'espérait davantage, les positions des deux principales parties aux négociations - les Etats-Unis et la Corée du Nord - étant par trop divergentes. C'est pourquoi les efforts des quatre autres participants - Russie, Chine, République de Corée et Japon - se bornaient à prévenir tout scandale sous forme d'échange de discours virulents comme celui qui avait marqué la fin du premier round de négociations tenu au mois d'août de l'année dernière. Mais peu de gens s'attendaient à ce que la hantise d'un éventuel succès du second round aille jusqu'à inciter Washington à concocter une position encore plus dure que la précédente de manière à réduire à néant toute possibilité d'accord.

C'est évident, il s'agit là d'une décision électorale prise pour que la véritable discussion à Pékin soit reportée à après la présidentielle. Pour le moment, il faut simplement proposer à Pyongyang le "scénario libyen" susmentionné non seulement pour que la Corée du Nord l'accepte, mais encore pour qu'il séduise l'électorat américain. L'administration américaine actuelle croit sincèrement que ses électeurs ne sont pas en mesure de comprendre une politique autre que la politique musclée. C'est pourquoi en cas de réussite il faut faire valoir ses succès aux yeux des électeurs. Si ce n'est pas le cas, comme en Irak, par exemple, mieux vaut reporter la solution du problème à plus tard, de manière à ne pas irriter ces mêmes électeurs.

Ici il convient de rappeler que voici quatre ans en élaborant leur politique coréenne les démocrates (l'administration de Bill Clinton) misaient sur un électorat tout à fait différent. Celui qui avait applaudi la visite manifestement "électorale" effectuée à Pyongyang par Madeleine Albright en automne 2000. Celui qui auparavant avait appris avec enthousiasme la levée des sanctions économiques prises par les Etats-Unis à l'égard de Pyongyang et l'acheminement en Corée du Nord des premières marchandises américaines, dont le sempiternel coca-cola. Les démocrates avaient misé sur une réforme du régime nord-coréen, d'autant plus que des réformes de marché y avaient justement été entamées (un frein y a été mis surtout en raison des incertitudes planant sur les rapports avec les Etats-Unis). Les électeurs républicains, eux, ils ne comprendraient pas que leur parti envoie du coca-cola à Pyongyang, aussi vaut-il mieux faire l'impasse sur tout. D'où le scandale du mois d'octobre 2002. Les Etats-Unis avaient alors affirmé que la Corée du Nord avait admis travailler à la conception d'armes de destruction massive, ce que Pyongyang s'était empressé de démentir. Quant aux services secrets des pays voisins de la Corée, ils sont quasi certains qu'au moins avant octobre 2002 la Corée du Nord ne possédait pas de programme de ce genre tant soit peu sérieux. Seulement maintenant, depuis que l'hiver dernier Pyongyang a chassé de Yongbyon les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), tout est possible, mais pas avant dix ans. Que va-t-il se passer maintenant le 25 février à Pékin? La situation est d'autant plus absurde que Pyongyang propose lui-même une "variante libyenne" et il le proclame ouvertement. Il l'avait déjà fait en 1994, avec l'administration démocrate, en montrant l'exemple du même Kaddafi. Aujourd'hui aussi, des fuites, nord-coréennes celles-là, semblent indiquer que la Corée du Nord serait disposée à régler le problème par parties. Par exemple, en invitant les inspecteurs de l'AIEA à revenir à Yongbyon en échange de la reprise des livraisons de fuel pour alimenter les centrales force-chaleur nord-coréennes. Cependant, il est patent que la position des Etats-Unis exclut cette solution, comme toutes les autres d'ailleurs.

La diplomatie américaine risque de perdre énormément dans cette affaire. Par exemple, elle pourrait se heurter à un "front uni" des parties aux négociations, ce qui au fond est le cas depuis longtemps. Lors des nombreuses rencontres préparatoires les diplomates chinois ont déclaré qu'ils ne croyaient pas à l'existence d'un programme uranium nord-coréen et ils ont même initié des fuites à ce sujet dans les médias mondiaux. De son côté, la presse nippone est très prolifique en articles selon lesquels il serait ridicule de s'attendre à ce que les services secrets américains fournissent une appréciation quelconque sur la Corée alors que George W.Bush enquête sur leurs bévues au sujet de l'Irak. Tout ceci témoigne d'une réalité évidente depuis longtemps: si l'Amérique estime qu'elle n'a pas de place dans une politique raisonnable dans la péninsule de Corée, alors la politique se passera d'elle.

Cependant, comme de toute évidence ces problèmes n'ont rien à voir avec l'état d'esprit de l'électeur américain moyen, l'administration Bush préfère les ignorer. Au moins tant que la "question coréenne" ne devra pas être impérativement tranchée.

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