La politique monétaire russe en 2005 : tout est possible

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MOSCOU, 22 novembre. Commentatrice politique de RIA-Novosti Yana Yourova.

En 2005, la politique monétaire russe promet d'être souple. Et même de faire des virages en épingle à cheveux. Le texte "Les grands axes de la politique monétaire unique", rédigé conjointement par la Banque centrale et le Gouvernement fédéral, est présenté tous les ans à la Douma d'Etat pour approbation, conjointement avec le projet de budget pour l'année à venir.

Cette enveloppe définit les principaux objectifs de la politique économique du pays pour l'année prochaine, ainsi que les moyens d'y parvenir.

C'est ce qui devait se produire cette année. Le projet des Grands axes était fin prêt dès l'été dernier. C'était un document comme tous les autres, sauf qu'il comportait, à l'opposé du texte de l'année précédente, non pas deux mais trois scénarios d'évolution monétaire. Le président de la Banque centrale de la Fédération de Russie, Sergueï Ignatiev, explique qu'ils se distinguaient en fonction des prévisions des cours du pétrole en 2005. Les indices évoqués par les deux premières versions - 22 et 26 dollars le baril - coïncidaient avec les prévisions macro-économiques du ministère du Développement économique et du Commerce. Quant à la troisième, elle représente un calcul du "programme monétaire" en partant d'un prix éventuel à 28 dollars le baril, car ce même chiffre se trouve à la base du projet de budget fédéral pour 2005.

Mais le marché mondial a réservé une surprise. Dès l'été, les cours du pétrole entamaient une remontée irrésistible. Une croix a été mise sur les plans des financiers russes. Luttant contre le renforcement du rouble, la Banque centrale s'est mise à augmenter ses réserves de change qui, au lieu des 10 milliards de dollars d'accroissement prévu pour 2004, ont déjà progressé, à ce jour, de 24,5 milliards. Résultat, l'inflation projetée à 10% s'est avérée un scénario trop optimiste par rapport à la réalité. Sans oublier de mentionner les relations inattendues du couple euro-dollar, avec la hausse du premier et la baisse du second. La Banque de Russie, dans le but d'alléger la charge supportée par le rouble, devait donc intervenir pour ajuster en permanence le cours flottant des monnaies. Résultat, fin août, le gouvernement charge la Banque Centrale d'étudier plus attentivement les processus mondiaux. Et, pour ne pas répéter les erreurs de l'année en cours, d'apporter, à l'avance, des correctifs au projet des Grands axes de la politique monétaire pour 2005.

A la mi-novembre, revu et corrigé, le document se retrouve à la Douma, car repousser une nouvelle fois est inconcevable: le 24 novembre, les députés auront à voter le budget 2005. Or sans connaître les priorités annoncées de la politique gouvernementale, dresser le budget revient à errer dans une forêt inextricable sans boussole.

Mais ce document, même s'il est mis à jour, n'a que de faibles chances d'aider réellement le parlement. Ce que les hommes de finances ont réussi fait rappeller un conte russe dont le héros se retrouve, à un carrefour, devant une pierre énorme. Toutes les inscriptions lui promettent des malheurs, mais il lui faut, comme le veut le conte, choisir une direction. Alexeï Oulioukaev, premier adjoint du président de la Banque centrale, dit que la version précisée des Grands axes de la politique monétaire pour 2005 comporte 5 scénarios différents, dont l'un est fondé sur un cours de 35 dollars le baril. Autrement dit, deux nouveaux scénarios sont venus s'ajouter aux trois déjà existants. Il faut bien comprendre que le dernier scénario, le cinquième, a été établi par la Banque centrale de sa propre initiative, en tablant sur un prix de 30 dollars pour un baril de Urals russe, tel qu'il s'était établi à la fin du premier semestre 2004.

Mais, comme le disait l'économiste hollandais Jan Tinbergen, "le nombre d'objectifs doit correspondre au nombre d'instruments par lesquels on peut y parvenir". Pourtant, le document stratégique rénové ne fait état d'aucun "instrument" nouveau. Tous les espoirs sont fondés sur les outils déjà connus : refinancement en cas d'insuffisance de la masse monétaire et absorption en cas d'excédent. Par ailleurs, le document ne détermine pas ce qui est plus important pour le pays, combattre l'inflation ou refréner le renforcement du rouble.

Pourquoi ces incertitudes ? Tout porte à croire que les financiers russes ont décidé de ne pas s'aventurer dans l'inconnu avant terme, préférant piétiner devant la pierre sinistre pour voir quelle route promet plus d'avantages. Ce qui veut dire que la politique monétaire en 2005 sera souple et laissera de l'espace pour manoeuvrer. Autrement dit, bien des choses dépendront de la conjoncture des marchés financiers et des marchandises. D'autre part, les impératifs historiques revêtiront également une grande signification. On le sait, en novembre, le nombre des pays qui se sont prononcés pour l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce pourrait dépasser la moitié des participants au processus de négociation. La fin de 2005 pourrait de ce fait devenir la date réelle de l'adhésion de la Fédération à l'OMC. Entre-temps, Washington a exigé de la Russie qu'elle libéralise complètement son marché des services financiers. Il n'est pas à exclure qu'au nom de cet objectif tant convoité Moscou accède aux voeux américains. Ce qui, cela va sans dire, apportera des correctifs substantiels à la situation sur le marché monétaire national. Le tableau risque de changer à tout instant sur le marché des devises également. Car, dans le cadre de la déréglementation en cours du contrôle des changes, les exportateurs russes ont maintenant le droit d'ouvrir des comptes auprès des banques étrangères. Oleg Solntsev, expert chef au Centre d'analyses macro-économiques et de prévisions à court terme, dit que jusqu'ici les entreprises jugent rentable d'avoir des comptes dans des banques russes, en raison des taux d'intérêt plus élevés qui y sont pratiqués. Mais si la conjoncture extérieure change et si les banques occidentales se mettent à relever les leurs, les agents économiques réduiront les sommes en devises qu'ils font rentrer dans le pays. Et les réserves qu'ils ont aujourd'hui sur leurs comptes seront résolument placées auprès de banques étrangères. La réduction des rentrées provoquera une demande plus soutenue des devises étrangères et donc une remontée de leurs cours. Il faut y être prêt. Et si les autorités monétaires ne sont pas liées par l'engagement d'aller dans un sens déterminé - et uniquement dans cette direction - , elles ont la possibilité d'occuper à tout moment une position plus avantageuse. Et même de sauter dans le train en marche, au lieu de pleurnicher sur le quai !

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